Connaissez-vous le matsutake, le champignon le plus cher du Japon, si pas du monde ? Au même titre que la truffe est un mets raffiné en Europe, le matsutake est considéré au Japon comme un produit de premier choix. Réputé pour son parfum délicat et reconnaissable entre mille, il est malheureusement de plus en plus difficile de s’en procurer sur l’archipel japonais et son prix peut atteindre des sommes folles… Enquête sur ce champignon nippon tant désiré des grands chefs, pourtant au bord de l’extinction…

Qu’est ce que le matsutake ?

Le matsutake マツタケ est un champignon qui pousse uniquement au pied des pins rouges du Japon. Contrairement à d’autres champignons, il n’est pas possible de le reproduire en conditions industrielles ! On ne peut donc le trouver que dans son milieu naturel en quantité limitée, et c’est bien ça le « problème »…

Le matsutake est un produit associé à l’automne, il peut se récolter uniquement entre septembre et mi-novembre. Et pour avoir la chance de tomber sur un spécimen, il faut se lever tôt. Les Japonais aiment beaucoup manger ce champignon de la manière la plus simple possible : grillé ou en accompagnement avec du riz (Matsutake gohan).

Ekiben (panier-repas que l’on peut acheter dans les gares) avec du riz aux matsutake (Matsutake Gohan). Source : commons.wikimedia.org

La tige du matsutake mesure entre 10 et 20 cm et son chapeau entre 8 et 20 cm de diamètre. Il commence seulement à pousser au pied des pins lorsqu’ils atteignent entre 20 et 30 ans, pas avant ! Autant dire que ce champignon a des goûts particuliers qui le rendent très rare. La particularité de son parfum sucré, qui en fait sa popularité, vient du Matsutakeol : l’alcool naturel contenu dans le matsutake. Au moment de l’automne les Japonais se ruent sur ce champignon : pas moins de 3 000 tonnes de matsutake sont consommés chaque année.

Pour répondre à une telle demande, le Japon est désormais obligé de faire appel à l’importation, mais comme la qualité des champignons étranger est manifestement différente, le prix au kilo du matsutake récolté dans les forêts du Japon peut atteindre de très fortes sommes : entre 100 000 et 160 000 yens (entre 700 et 1100€).

Récolte de matsutake au 18e siècle, par Niwa Tôkei. Source : commons.wikimedia.org

La popularité du matsutake

Le matsutake est un produit populaire au Japon depuis très, très longtemps. Une sculpture en argile datant de la période Jômon 縄文時代 (de -13000 à -400) représentant un matsutake fut même retrouvée. Le matsutake est également mentionné dans le Nihon Shoki, un des deux ouvrages historiques et mythologiques les plus importants du Japon, compilé en 720. Dans le Nihon Shoki, on découvre que le matsutake fait partie des cadeaux d’exception qui ont été offerts à l’empereur Ôjin.

Le champignon est également mentionné dans un poème du Man’yôshû 万葉集, le tout premier recueil de poèmes japonais, publié aux alentours de 760. Enfin, le matsutake est si populaire qu’il paraît même que pendant l’époque d’Edo (1603-1868) il était possible de payer ses taxes avec !

Un produit difficile à trouver ?

Bien que ce soit le champignon le plus populaire du pays, la plupart des matsutake actuels vendus chaque automne au Japon ne viennent plus des forêts japonaises. De nombreuses régions japonaises produisent encore pas mal de matsutake, mais ce n’est pas suffisant pour satisfaire la forte demande d’une population à plusieurs dizaines de millions de japonais.

Parmi les régions japonaises qui produisent encore du matsutake, Nagano est celle qui a le plus gros volume de production du pays. Là-bas, on peut en croiser sur les marchés au début de l’automne, récoltés le jour même par des locaux. On peut également trouver des matsutake venant des régions d’Iwate, Miyagi, Hyôgo, Kyôto ou encore Hiroshima.

Des matsutake sur les étals d’un marché aux États-Unis. Source : commons.wikimedia.org

Les principaux pays qui exportent des matsutake, ou des espèces qui s’en approchent, sont la Chine (66% en 2001), les États-Unis, le Canada ou encore la Turquie. Le matsutake importé dont le goût se rapproche le plus du matsutake japonais est celui venant de la Corée du Sud, mais il y en a peu de disponible à l’export.

Si le goût est différent, c’est généralement parce qu’il s’agit d’autres variétés de matsutake, mais aussi parce que le matsutake doit être consommé rapidement, en quelques heures, sous peine de perdre de son arôme. Les matsutake les plus chers, et les plus appréciés, sont ceux qui ont été cueillis alors que leur chapeau n’était pas encore ouvert, on les appelle alors tsubomi matsutake. Lorsque le matsutake a été récolté avec son chapeau déjà ouvert, on l’appelle au contraire biraki matsutake ! et son prix s’effondre…

Les matsutake importés sont un bon moyen artificiel de pallier au problème de la rareté, mais comme l’odeur est différente du matsutake japonais, certains restaurateurs prennent l’initiative de les parfumer avec de l’essence de matsutake japonais…

Si la production artificielle sous contrôle industriel du matsutake est impossible à ce jour, il y eu également des tentatives de fusion avec d’autres champignons comme les shiitake, mais le résultat ne fut pas satisfaisant. Il est très difficile de répliquer son odeur et son goût si unique. D’ailleurs, si l’odeur du matsutake est un incontournable au Japon, sachez qu’elle est un peu moins appréciée en dehors des frontières du Japon

Différents plats contenant du matsutake à Kinosaki Onsen. Source : commons.wikimedia.org

Pourquoi le matsutake disparaît-il ?

En juillet 2020, le matsutake fut officiellement déclaré comme étant une espèce en voie de disparition par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Plusieurs raisons peuvent expliquer le déclin du matsutake, parmi lesquelles on peut citer une baisse de l’entretien des forêts.

Auparavant, les forêts étaient primordiales pour la population japonaise qui avait besoin de bois pour le chauffage. Et celles-ci étaient gérées durablement, bien avant l’arrivée des questions écologiques d’aujourd’hui. Les habitations étaient situées en bordure de forêt pour pouvoir y accéder facilement. D’ailleurs, au Japon, on appelle la zone séparant la nature des habitations humaines « satoyama » : l’association de montagne/foret et de village.

Avec l’arrivée du pétrole pour se chauffer, les Japonais ont progressivement abandonné l’entretien des forêts, ce qui empêche les matsutake de pousser correctement comme avant. Aussi, le pin est un arbre sujet à une maladie grave appelée « flétrissement du pin » qui détériore l’arbre en quelques semaines seulement. Il nécessite donc une attention toute particulière pour éviter des épidémies dans les forets.

La production du matsutake au Japon est passée de 6 000 tonnes au début de l’ère Shôwa 昭和時代 (1926-1989), avec un pic à 12 000 tonnes en 1941, à 140 tonnes en 2010, ce qui est une absolument baisse énorme allant de paire avec l’augmentation des prix. D’ici quelques années, il n’est pas impossible que le champignon disparaisse du milieu naturel japonais ou presque.

À cause de son prix élevé et de sa rareté, le matsutake est un plaisir que tout le monde ne peut pas (plus) s’offrir. Si vous avez l’opportunité de goûter ce mets savoureux – du moins sur la langue des japonais – lors d’un séjour automnal au Japon, alors n’hésitez pas et donnez nous votre avis éclairé !

Claire-Marie Grasteau

Photo d’en-tête : des matsutake (commons.wikimedia.org)