C’est un détail peut-être peu connu en occident, mais les Japonais n’utilisent pas de signature manuscrite pour signer les documents. Avec Taïwan, c’est le seul pays au monde où on a recours à un sceau « hanko » (ou inkan). Pourtant, parmi les matières utilisées pour fabriquer les sceaux officiels on trouve traditionnellement de l’ivoire véritable. Une matière à l’origine du braconnage qui met en danger la survie des éléphants d’Afrique. Au Japon, une campagne de sensibilisation vient d’être lancée par l’association WildAid pour mettre fin à l’usage d’ivoire dans les hanko japonais.

Pour la petite histoire, les sceaux « hanko » sont arrivés au Japon via la Chine au Ier siècle de notre ère. À l’origine utilisés seulement par les hauts fonctionnaires pour cacheter les documents officiels, les sceaux à encre devinrent un moyen généralisé pour prouver son identité à l’ère Kamakura (1185-1333). Puis à l’ère Edo (1603-1868), ils étaient d’un usage commun tant chez les marchands que chez les paysans. C’est au début de l’ère Meiji (1868-1912) qu’une loi a obligé tous les citoyens à faire enregistrer leur sceau à la mairie, toujours en application aujourd’hui.

1907. Des artisans japonais travaillent l’ivoire.

Cet usage est donc toujours d’actualité et les Japonais disposent même de plusieurs sceaux, en général trois, d’usages différents. Le sceau officiel est le plus précieux, c’est celui qui est enregistré à la mairie et qui servira à signer les documents les plus importants jalonnant une vie (mariage, achat d’un logement…). Paradoxalement, en dépit d’être le plus beau, c’est celui dont les Japonais vont finalement le moins se servir.

Il doit être gravé selon des normes définies et de manière à ne pas pouvoir être imité. Un autre type de sceau est utilisé pour ouvrir un compte en banque. Il sera volontairement différent du sceau officiel pour minimiser les risques d’usurpation d’identité en cas de vol ou de perte. Puis pour signer tous les papiers et les formalités de la vie quotidienne (reçus, factures, inscriptions) les Japonais ont encore un autre sceau. On peut d’ailleurs en acheter – aux noms les plus communs – pour 100 yen !

Source : flickr

Le sceau officiel n’est pas qu’un simple objet pour les Japonais. Il est dépositaire de l’identité de son propriétaire. C’est celui qui accompagne toutes les démarches les plus marquantes d’une vie et il est souvent considéré comme un porte-bonheur. Signe de son importance autant matérielle que symbolique, il est conservé dans un petit étui lui-même enveloppé dans une petite bourse. Si les sceaux secondaires seront réalisés en bois ou en acrylique, une attention toute particulière est accordé au sceau officiel pour lequel de la pierre, de la corne et de l’ivoire peuvent être utilisés, pouvant faire monter son prix à plusieurs centaines de milliers de yens pour les plus précieux ! Et c’est de cette utilisation de l’ivoire que vient le problème, mis en lumière par la campagne de sensibilisation de l’ONG WildAid Japan and Tears of the African Elephant.

Certaines parties des défenses d’éléphants sont plus prisées que d’autres…

Le Japon a constitué d’importants stocks d’ivoire avant la Seconde Guerre Mondiale. Le pays a aussi plusieurs été autorisé par les instances internationales à acheter de l’ivoire à des pays d’Afrique. En 1999 par exemple, le Japon a acquis 50 tonnes d’ivoire en provenance du Zimbabwe, du Botswana et de la Namibie lors d’une vente aux enchères approuvée par la CITES (la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). On estime la quantité totale d’ivoire importée au Japon depuis les années 70 équivalente à une population de 250 000 éléphants. Et une partie importance de ce stock proviendrait du braconnage.

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Cependant, le marché intérieur est très surveillé, les fabricants et graveurs de sceaux doivent demander une autorisation au gouvernement pour en acheter mais seule une fraction de l’ivoire a une origine identifiée. Si l’ivoire est autant prisé, surtout des anciennes générations, c’est qu’il est encore considéré comme un porte-bonheur. Rien d’étonnant alors si les Japonais souhaitent faire réaliser leur sceau dans cette matière. D’ailleurs les stocks d’ivoire japonais servent à 80% pour la confection des hanko. Le restant est utilisé pour la confection d’œuvres et de baguettes de luxe. Réduire son utilisation dans la confection de sceaux serait donc un pas d’importance majeure, d’autant plus que le Japon reste un grand pays d’Asie importateur d’ivoire, générant une demande et un marché propice au braconnage.

C’est pour faire évoluer les mentalités que WildAid Japan propose une campagne de sensibilisation dénommée « Hankograph » diffusée dans les médias japonais, sur les réseaux sociaux et sur des affiches publicitaires. Une campagne à laquelle chaque Japonais peut apporter sa contribution avec le hashtag #私は象牙を選ばない (#Jenechoisispasl’ivoire). Une pétition contre l’usage de l’ivoire au Japon a également été mise en ligne.

Enfin, une courte vidéo artistique a été réalisée pour attirer l’attention de la population sur le braconnage des éléphants mis en relation avec les hanko. Simple et efficace, elle propose d’utiliser l’impression des sceaux pour raconter une histoire…

Plus de 500 hankos (en bois) et 2 400 feuilles ont été nécessaires pour les besoins de cette vidéo en stop-motion. On peut en résumer le message en une courte phrase : « Pour ne pas encourager le braconnage, ne demandez pas un sceau en ivoire ». Mais ce n’est pas tout. À partir de juillet 2019, une nouvelle législation entrera en vigueur au Japon : les marchands d’ivoire devront prouver à l’aide de datation au carbone 14 que leur ivoire est ancien et légalement acquis. Reste que son juteux commerce sera toujours possible sous le regard de l’État.

La meilleure solution ne serait-elle donc pas de ne plus utiliser l’ivoire au profit des nombreuses alternatives (pierres, bois, résines,..) et de fermer définitivement ce marché ? Si une telle décision était prise, le Japon améliorerait du même coup son image au niveau de l’engagement environnemental souvent entachée par la chasse à la baleine, un point non négligeable pour les autorités alors que le monde aura les yeux braqués sur l’Archipel prochainement pour les Jeux Olympiques en 2020.

S. Barret


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