Comment survivre quand les ombres d’hier vous poursuivent inlassablement ? Disparaître pour renaître ? « A Man » se penche sur un sujet de société japonais au cœur d’une enquête aussi palpitante que délicate.
A Man est un film réalisé par Kei Ishikawa, adapté du roman du même nom de Keiichirō Hirano.
Après avoir longtemps vécu à Yokohama, Rie (Sakura Andō, vue dernièrement dans Godzilla Minus One) est de retour à Miyazaki suite à son divorce. Elle y tient une papeterie où elle rencontre Daisuke (Masataka Kubota, croisé dans Death Note et Tokyo Ghoul), un homme discret et timide. Il vient lui aussi d’arriver en ville, travaille comme sylviculteur et est issu d’une famille qui possède une station thermale à Gunma.
« Rie découvre que son compagnon n’était pas celui qu’elle croyait »
Les deux âmes que l’on sent mises à l’épreuve par la vie, se rapprochent. Quelques années plus tard, alors qu’ils sont mariés et que leur idylle a donné naissance à une petite fille, tout semble aller pour le mieux pour eux. Pourtant, après la mort accidentelle de Daisuke, Rie découvre que son compagnon n’était pas celui qu’elle croyait. Elle engage alors Akiraun, un avocat (Satoshi Tsumabuki, déjà parfait dans La Famille Asada et The Housewife), pour découvrir la véritable identité de celui qu’elle aimait.
Un scénario au suspense implacable
L’histoire de A Man ressemble pendant une demi-heure à une histoire d’amour et de rencontre comme une autre. Puis, en quelques mots, une phrase remet tout ce que nous venons de voir en doute : « Ce n’est pas lui » se permet le frère du défunt. À partir de ce moment, le public ne pourra plus lâcher l’écran des yeux avec cette interrogation « Mais alors qui est cet homme que Rie a aimé pendant des années ? ». Était-ce réel ? Une façade ? Une couverture pour cacher un lourd passé ? Était-il un criminel ?
« Je me demande la vie de qui j’ai partagée. » se questionne Rie. Le réalisateur a décidé de nous dévoiler son intrigue de manière non linéaire, nous offrant une narration maligne qui nous tend les pièces de son délicat puzzle avec sobriété. L’histoire est toutefois ponctuée de quelques élans de violence, rendant ces soudains souffles de rage encore plus puissants au milieu de cette vallée d’ordinaire bien calme.
Tout y est possible et le scénario nous tiendra en haleine -tout comme ses promesses- jusqu’au bout. D’autant plus que l’enquête s’inspire d’un sujet de société très important et déroutant au Japon.
Le Japon et les fantômes
A Man parle en effet du phénomène des disparitions volontaires. Si 2 500 personnes décident de se volatiliser du jour au lendemain chaque année en France, ce nombre monte à 100 000 sur l’archipel. On les appelle les johatsu, ou « évaporés » dans la langue de Molière.
Pour éviter la honte d’un licenciement, d’un divorce, d’un prêt impossible à rembourser, certains préfèrent tout simplement quitter leur vie pour en recommencer une à zéro. « À partir d’un certain âge, on se traîne tous des casseroles. » assène un des collègues de Daisuke. Sauf que ces casseroles, dans la société japonaise, il est difficile de s’en débarrasser.
Les jugements défient ainsi le temps et les générations. Parfois même les frontières, comme s’en aperçoit l’avocat au quotidien.
A Man : une question d’identité
Akira est en effet issu d’une famille sud-coréenne installée au Japon depuis trois générations. Et pourtant, il continue à recevoir des piques sur ses origines de la part de Japonais « pure souche ». Son beau-père ne cache par exemple pas son racisme, mettant les problèmes du pays sur le dos des immigrés. Un pilier de bar se demande même si Daisuke n’a pas été enlevé par un agent secret nord-coréen. On sent qu’une partie de la population ne tient pas vraiment son voisin dans son cœur.
Alors comment se détacher soi-même d’un passé qui, finalement ne nous regarde plus ? Voire, comment échapper à ses gênes sans en ressentir le poids trop lourd qui nous fait nous questionner à chaque pas sur qui nous sommes ? A Man nous pose cette question universelle à laquelle nous aurons tous une réponse différente selon nos expériences de vie. Le long-métrage commence et se termine ainsi sur un tableau de René Magritte intitulé La Reproduction Interdite. Un symbole qui colle parfaitement à cette question d’identité.
Kei Ishikawa envoûte de sa réalisation feutrée et parfois anxiogène, bien servie dans l’entreprise par la musique du groupe Cicada et une distribution de haute volée.
En 2023, A Man a raflé quasiment tous les prix de la cérémonie des Japan Academy Prize, l’équivalent japonais des Oscars. Meilleur film, réalisateur, montage, scénario, acteur pour Satoshi Tsumabuki, acteur dans un second rôle pour Masataka Kubota, actrice dans un second rôle pour Sakura Andō et meilleur son pour Takeshi Ogawa. Une moisson méritée pour un film réussi au suspense implacable qui fait réfléchir au-delà de son intrigue.
A Man est à retrouver en ce moment sur Ciné+OCS.
– Stéphane Hubert