Alors que le gouvernement japonais prend enfin le sujet au sérieux dans l’ambition de légiférer un cadre protecteur pour les jeunes filles, des victimes de l’industrie pornographique japonaise témoignent dans les médias nippons. Leur point commun : elle furent victimes de violences sexuelles par le passé, les entraînant indirectement à céder aux sollicitations de cette industrie. Contrairement à la croyance populaire, tourner dans un film pornographique n’est pas forcément un choix libre, surtout devant le manque d’aide sociale et dans une société où les hommes considèrent encore que les femmes sont avant tout des objets sexuels.

La pornographie est l’une des industries les plus florissantes au monde avec des chiffres estimés allant jusqu’à 100 milliards de dollars de revenus annuels. Le Japon est également un pays friand d’images pornographiques, si bien qu’on y trouve toujours de très nombreux magasins de location de DVD pornographiques en dépit d’une offre internet florissante. Par ailleurs, les actrices font l’objet d’un véritable culte auprès de nombreux consommateurs japonais masculins.

Si certaines actrices populaires peuvent jouir de cette activité dans un cadre sécurisé, c’est loin d’être le cas des actrices moins populaires, surtout de très jeunes filles souffrant de problèmes d’argent, familiaux ou d’instabilités psychologiques, ce qui constitue pourtant le plus gros de l’iceberg. Par ailleurs, la profonde crise économique du Japon pousse de nombreuses jeunes filles, parfois mineures, à la prostitution ou à la pornographie. Et ceci n’est pas forcément le fruit d’une pleine volonté : les pièges sont nombreux et les producteurs sont souvent loin d’être bienveillants… De la simple séance de photographies érotiques au viol organisé par plusieurs hommes, il n’y a qu’un pas. Alors que le gouvernement envisage de légiférer sur ce sujet pour protéger les plus jeunes, certaines filles prennent la parole publiquement. Voici les histoires de Maiko et Natsu qui, par leur complexité, mettent en brèche quelques clichés masculinistes au sujet de la prostitution.

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Des victimes témoignent pendant que le Japon entreprend de protéger les jeunes appâté(e)s par l’industrie pornographique




AVERTISSEMENT : Cet article traite du suicide, de la violence sexuelle et de la pornographie.

Alors que le Parlement japonais débat d’une nouvelle loi visant à protéger les jeunes ayant signés des contrats pour participer à des productions pornographiques, deux femmes témoignent des abus dont elles ont été victimes dans cette industrie, espérant que cette nouvelle législation constituera un « premier pas » vers la fin de l’exploitation.

Pour l’une d’entre elles, qui souhaite être connue uniquement sous le nom de Maiko, ce sont des difficultés économiques qui l’ont propulsée dans l’industrie pornographique il y a dix ans, alors que son entreprise spécialisée dans le domaine de la formation traversait une période difficile. Après une période d’agonie financière, Marko s’est décidée à faire une recherche avec le mot clé « porno » sur Internet, à la recherche d’un emploi bien rémunéré afin de pouvoir continuer à payer son loyer.

Ce qu’elle a perçu de prime abord lors sa recherche, furent des images d’actrices pornographiques célèbres, magnifiquement mises en scène et bien représentées. Maiko y a vu « un monde étincelant », ce qui a contribué à lui faire prendre la décision de passer un premier entretien dans une entreprise de recrutement d’actrices spécialisée dans les vidéos pour adultes.

Maiko a été engagée le jour même de son entrevue. Elle a accepté de participer à une séance de photographies de nus destinées à être utilisées dans des publicités, contre une rémunération d’un montant d’un million de yens (environ 7 000 euros). Elle se souvient du soulagement ressenti à l’idée de pouvoir payer son loyer.

Maiko a immédiatement été conduite à un entretien avec un réalisateur de films pornographiques, qui l’a interrogée sur ses expériences sexuelles passées. Cela a fait resurgir des souvenirs de violences sexuelles qu’elle avait subies auparavant dans sa vie, bien avant son entrée dans l’industrie des films pour adultes.

Lors d’une fête de travail, Maiko a bu une boisson qu’un associé lui avait proposée avant de perdre connaissance. Elle pense avoir été droguée (NB : l’usage de GHB est très courant au Japon dans les affaires de viol). Quand elle a repris connaissance, elle se trouvait seule dans une chambre d’hôtel avec l’homme en question. Après cet incident, elle fut victime d’un chantage sexuel qui l’obligea à avoir des relations physique avec cet homme sur une durée d’un an. L’homme l’avait menacée de partager des photos compromettantes qu’il avait prises sans son consentement.

Lorsqu’elle a fait part de cette expérience au réalisateur, celui-ci lui a attribué sans aucun ménagement le rôle d’une femme qui a été « droguée et violée dans une chambre d’hôtel » dans un prochain film pornographique. Bien qu’elle ait été traumatisée par ce viol passé, elle s’est laissé convaincre : « Si je reproduis la scène dans un porno, je pourrai peut-être prétendre que ce qui m’est arrivé n’était pas si grave. Cela m’aiderait à surmonter les dégâts ». Elle s’est donc rendue au tournage en espérant que celui-ci l’aiderait à surmonter son traumatisme.

Au cours de l’année suivante, Maiko est apparue dans plus d’une douzaine de films pour adultes. Cependant, les actes qu’on lui demandait d’accomplir devenaient graduellement de plus en plus extrêmes. À une occasion, on lui a dit qu’elle jouerait dans une scène de viol simulé impliquant 50 hommes !

Maiko explique avoir du consommer de l’alcool pour se détourner de la détresse qu’elle ressentait durant les tournages, sans quoi elle ne pouvait même pas se tenir devant la caméra. Elle a finalement commencé à perdre la mémoire. Un examen à l’hôpital lui a révélé qu’elle souffrait d’une atrophie cérébrale. Son médecin lui a expliqué qu’elle était « soumise à un stress considérable » difficilement supportable par l’organisme.

Dans le même temps, l’agence qui l’avait inscrite a commencé à l’encourager à faire de la chirurgie plastique et à travailler également dans la prostitution. « Si je n’arrête pas maintenant, je vais avoir de gros problèmes » réalisa Maiko, qui sentait qu’elle avait atteint sa limite, tant sur le plan physique que mental. La jeune fille était également assaillie par la peur de devenir un simple objet de consommation. Maiko a fini par quitter l’industrie du porno en se mettant en faillite personnelle.

Aujourd’hui encore, Maiko explique toujours souffrir d’une perte d’audition qui serait due aux séquelles physiques du stress. À ce jour, elle continue de garder le secret sur cette épisode de sa vie dans le monde de la pornographie, y compris envers sa propre famille. Mais la peur que des séquences explicites la représentant puissent refaire surface à tout moment sur Internet la tourmente toujours. Elle a tenté à plusieurs reprises de retrouver les vidéos dans lesquelles elle apparaissait pour en demander la mise hors-ligne, cependant, le simple fait de regarder les titres lui donne aujourd’hui la nausée au point de renoncer à poursuivre ses recherches.

Maiko a fait le constat que de nombreuses personnes figurant dans des productions pornographiques ont été victimes de violences sexuelles tout comme elle, ou d’abus physiques et psychologiques dans leur foyer par le passé. Il est par conséquent douloureux pour elle d’entendre des personnes plaider en faveur du porno en arguant que les femmes choisissent de leur propre chef de figurer dans ces productions, ou qu’elles sont entièrement « responsables de leurs propres actes. » Au contraire, « ce sont elles qui ont le plus besoin du soutien de la société, et pourtant elles sont laissées pour compte », termine-t-elle.

Natsu, également un pseudonyme, avait 18 ans lorsqu’elle a été abordée par un homme d’âge moyen devant un konbini dans un quartier de divertissement. L’homme lui a dit : « Si acceptes une relation sexuelle, et que tu me laisses te filmer, je te donnerai 20 000 yens ». Natsu avait été régulièrement abusée sexuellement par son père à partir de son adolescence, et sa mère lui faisait également subir des violences verbales.

Elle a cherché de l’aide auprès des professeurs de l’école et du bureau de protection de l’enfance, mais personne n’est jamais intervenu.

 Comme elle fut continuellement trahie par des adultes au cours de sa vie, Natsu était dans l’incapacité de demander à nouveau de l’aide quand cela était nécessaire. À ses 18 ans, elle n’avait alors plus droit à une assistance des institutions, en vertu de la loi sur la protection de l’enfance. « Ni les lois ni les systèmes créés par les adultes ne pourront m’aider », en concluait-t-elle.

Emmanuelle

Pour elle, le quartier des divertissements était l’endroit où les jeunes filles isolées comme elle pouvaient obtenir de l’argent facilement et un téléphone portable sans carte d’identité, ni autorisation parentale. L’homme a abordé Natsu à une période où elle avait décidé de « vivre » (survivre?) dans le secteur. Cet inconnu lui a d’abord montré des images de filles nues sur son smartphone. Il lui a alors promis de lui donner 5 000 ¥ si elle acceptait d’être photographiée, 15 000 ¥ de plus si elle était filmée en train d’avoir des rapports sexuels avec lui et 5 000 ¥ supplémentaires si elle acceptait de ne pas utiliser de préservatif.

Natsu a perçu cette somme de 20 000 ¥ comme un moyen de lui permettre de passer près de 10 nuits dans un cybercafé ouvert 24 heures sur 24 plutôt que dans la rue. Elle a finalement accepté d’être filmée et l’homme l’a immédiatement conduite dans un hôtel. Après l’avoir filmée, l’inconnu lui a dit qu’il allait charger sa vidéo sur un site internet afin de la vendre. Il lui a présenté un document afin qu’elle le signe pour accord, stipulant qu’elle ne pourrait pas prétendre au produit de la vente de cette vidéo.

Environ deux ans plus tard, Natsu a été sollicitée afin de participer à une manifestation « Flower Demo » contre les violences sexuelles. Lors de la manifestation, les personnes qui prenaient la parole au micro avaient eu des expériences similaires dans le domaine de l’industrie pornographique, et y avaient également subi des violences sexuelles.
« J’ai été une victime, moi aussi », a pensé Natsu, réalisant que ce qu’elle avait considéré comme une simple anecdote était en faite de l’exploitation sexuelle. Par ailleurs, cela s’est produit juste après que sa meilleure amie, qui avait également travaillé dans le milieu, se soit ôtée la vie.

Lorsqu’elle a appris que le projet de loi visant à protéger les personnes victimes de l’industrie pornographique était débattu au parlement, elle s’est réjouie que les politiciens se soient enfin penchés sur la question de l’exploitation sexuelle des jeunes de 18-19 ans. Le projet de loi, proposé par un groupe bipartisan de législateurs, permet aux personnes qui acceptent d’apparaître dans des contenus pornographiques de mettre fin à leur contrat et, dans ces circonstances, les vendeurs de vidéos sont tenus de procéder à la récupération des produits et à la suppression des enregistrements.

Le texte prévoit également qu’un mois doit s’écouler entre la signature d’un contrat et le tournage de la vidéo, et quatre mois entre le tournage de la même vidéo et sa diffusion publique.

Bien que cette loi s’applique aux personnes qui apparaissent dans des films pornographiques, sans distinction d’âge ou de sexe, les législateurs l’ont proposée après que le Japon ai reculé l’âge de la majorité en avril, de sorte qu’il ne soit plus possible pour les jeunes de 18-19 ans d’annuler les contrats qu’ils ont signés.

 Le projet de loi a été adopté à l’unanimité lors d’une session plénière de la Chambre des représentants fin mai. La Chambre des conseillers en délibérera en vue d’une éventuelle promulgation en juin.

Jusqu’ici, lorsque l’âge de la majorité était fixé à 20 ans, il était possible pour les personnes âgées de 18-19 ans, y compris celles qui étaient contraintes d’apparaître dans des productions pornographiques, d’arrêter la vente ou la distribution de vidéos, car elles pouvaient utiliser le « droit de résiliation du mineur », qui leur permettait d’annuler les contrats conclus sans le consentement des parents.

Tout en se félicitant de l’initiative du Parlement, Natsu a déclaré qu’il ne s’agissait que d’une « première étape » et que l’avenir devait se concentrer sur la manière dont la loi envisagée serait appliquée dans l’intérêt des victimes.

Maiko estime quand à elle que de nombreuses personnes sont contraintes de se livrer à la pornographie pour leur « survie » et qu’il devrait exister un moyen plus fiable pour elles de pouvoir bénéficier de soins médicaux et d’une aide sociale avant d’en arriver à cette extrémité.

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est en situation de détresse et a besoin d’aide, des ressources sont disponibles. En cas d’urgence au Japon, veuillez appeler le 119 pour une assistance immédiate (= les urgences). La ligne d’appel TELL est disponible pour ceux qui ont besoin de conseils gratuits et anonymes au 03-5774-0992. Pour ceux qui se trouvent dans d’autres pays, visitez le site International Suicide Hotlines pour une liste détaillée de ressources et d’assistance disponibles.

Article original par Yuki KAWAMINAMI initialement publié dans le Japan Times, traduit et adapté par Gilles CHEMIN pour Mr Japanization.