Jusqu’à quel âge avons-nous encore droit de croire en nos rêves ? Dans « Ocean Rush », Umiko décide enfin de ne plus se poser la question. À plus de 60 ans, elle va s’y jeter à corps perdue pour vivre enfin selon ses envies de créer et de faire du cinéma. Un très beau manga original, rafraîchissant et qui donne espoir en demain.

Ocean Rush est un manga signé John Tarachine (La Sorcière du château aux chardons, Goodnight, I Love you), publié au Japon depuis 2020 dans le magazine Mistery Bonita.

Nous y suivons Umiko, 65 ans, dont le mari est décédé depuis deux mois. Ayant perdu ses repères, elle se remémore son premier rendez-vous avec lui qui eut lieu dans un cinéma. Les deux adoraient louer des films, mais voilà au moins vingt ans qu’ils n’étaient pas entrés dans une salle obscure.

Pour se débarrasser d’une voisine un peu insistante, la sexagénaire décide d’y trouver refuge. Là, elle rencontre le jeune Kai, étudiant en cinéma, et toute sa passion pour le septième art lui revient comme une vague qui chamboule son destin. Elle se lance alors un défi : devenir réalisatrice de films !

Un deuil et une renaissance

Au début de Ocean Rush, Umiko fait face au deuil de son mari. Pour cette femme, la question se pose alors de la direction qu’elle doit donner au reste de sa vie. Femme au foyer dévouée depuis si longtemps, elle a peu à peu oublié qui elle était vraiment. Le scénario du manga nous la montre ainsi à la croisée de chemins et le sien va trouver celui de la pellicule. Fascinée par le cinéma, elle aussi veut donner de l’émotion à sa vie et aux spectateurs via le septième art.

Nous la suivons donc alors qu’elle s’apprête à repousser ses peurs et ses appréhensions pour s’inscrire dans une fac d’art alors que ses camarades de classe ont tous le tiers de son âge.

L’œuvre de John Tarachine se veut ainsi une véritable ode à la renaissance, aux barrières à repousser et à l’espoir. L’odyssée d’Umiko est touchante, puisant son énergie dans la fougue naturelle de la jeunesse pour commencer une seconde vie. Sa rencontre avec Kai étant le véritable déclencheur de cette métamorphose.

Apprendre encore et toujours

C’est en effet sous l’impulsion de ce jeune homme taciturne qu’Umiko va se lancer dans ce nouveau départ. Ici, le maître n’est pas le plus âgé, mais le plus jeune. La mangaka prend ainsi le contre-pied de la plupart des œuvres japonaises, nous dévoilant une ancienne avide de connaissance et d’apprentissage.

Ce schéma « maître/apprenti » différent nous offre une nouvelle perspective et nous permet de suivre l’avancée personnelle et professionnelle de tout un groupe de passionnés du septième art. L’important ici, ce n’est pas l’âge, mais de faire vivre sa passion et vibrer son cœur grâce à elle.

Dans une société japonaise plus habituée à remiser ses seniors au placard, Ocean Rush est au contraire plein de beaux moments de complicités intergénérationnels, soulignés par la beauté du dessin.

Ocean Rush : ravissement visuel et émotion dessinée

John Tarachine aime elle aussi le cinéma et lui rend hommage de bien nombreuses façons. Déjà dans le découpage de ses pages. Tous les plans y passent et transcendent l’émotion à travers des scènes de gros plans qui vous font souvent, l’air de rien, monter les larmes.

Les pages introduisant les chapitres sont également des hommages à des films existants revus à la sauce Umiko/Kai. Saurez-vous les retrouver ? C’est presque un jeu à lui tout seul le long des 6 tomes que compte pour l’instant le manga.

À grand renfort de métaphores, certaines planches sont vraiment très belles et nous partagent ce principe d’océan du titre pour nous emmener avec elles dans un tourbillon de sentiments. Les vagues de la création et de la vie vont tout emporter sur leur passage et personne ne semble vraiment prêt à affronter ce déluge. Le trait élégant de la mangaka nous garde toutefois dans un cocon chaleureux, même si les doutes viennent parfois obscurcir l’horizon et certaines cases.

Les personnages ont tous un charisme naturel. Kai va faire chavirer les cœurs avec son air androgyne et mystérieux. Quant à Umiko, elle est un peu la grand-mère pétillante et créative que tout le monde rêve d’avoir. Son monde sera rapidement peuplé de nombreux personnages hauts en couleurs, passionnés eux aussi de cinéma. Leurs histoires se complètent et leur art va les pousser à se dévoiler comme jamais.

Ocean Rush nous fait ainsi suivre avec délectation ce duo pas comme les autres alors que leur avenir se dessine devant et derrière une caméra. Il nous donnerait presque envie d’en agripper une à notre tour pour raconter nos propres histoires et, dans le même temps, découvrir qui nous sommes vraiment.

Après Zenkamono, Ocean Rush est notre nouveau coup de cœur manga dont les 6 premiers tomes sont disponibles chez Akata.

– Stéphane Hubert