Au Japon, les cybercafés sont des établissements ouverts 24h/24, tous les jours de la semaine. Offrant tout le confort dont on peut rêver, certains Japonais y vivent au mois ou à l’année. Ils attirent les jeunes mais sont aussi le refuge des salarymen qui ont loupé le dernier train pour rentrer chez eux ou encore, plus rarement, de jeune prostituées. Depuis les années 2000 toutefois, ils hébergent une nouvelle catégorie de clients, des travailleurs pauvres qui y font domicile sans quoi ils seraient à la rue. Rencontre avec les « réfugiés des cybercafés ».
Dans les cybercafés nippons, le client a accès à une bibliothèque de mangas, des DVDs, des jeux-vidéo et une connexion internet contre le paiement d’un forfait horaire ou pour la nuit. Des box individuels permettent de s’isoler des autres clients pour un semblant d’intimité. Les boissons à volonté sont comprises dans le forfait, et dans les meilleurs établissements on peut aussi se restaurer sans avoir à se rendre dans un conbini (soupe/riz gratuit).
Le prix pour la nuit dans un cybercafé est souvent plus intéressant que celui d’un hôtel, raison pour laquelle des salarymen qui ont raté le dernier train préfèrent y passer la nuit à l’image des capsules-hotels. À l’attention de cette clientèle, les cybercafés se sont mis à proposer des douches, des accessoires d’hygiène (rasoirs, serviettes, brosses à dent) et des couchages pour que l’infortuné employé puisse repartir travailler le matin suivant à peu près frais et dispo.
Toutefois, depuis bientôt une vingtaine d’années, les cybercafés accueillent un nouveau type de clients qui ont en fait leur domicile. Des travailleurs dont les revenus ne sont pas suffisant pour louer un logement « normal » dans les grandes villes où les loyers flambent. Une situation qui concernent aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers de personnes à qui on a donné le nom de « réfugiés des cybercafés ».
Le phénomène trouve son origine dans l’éclatement de la bulle économique à la fin des années 90 qui a vu la fin de l’emploi à vie dans les grandes entreprises, l’émergence d’une classe de travailleurs pauvres et la multiplication des SDF jusque là très rares (sans-abris qui eux aussi survivent souvent de petites activités). Le nombre de personnes embauchées en contrat précaire, en intérim ou en CDD pour un laps de temps court a considérablement augmenté pour représenter 40% des contrats actuellement contre moins de 20% avant la crise économique et les plus touchés sont logiquement les jeunes.
Reportage
Au Japon, jusqu’à l’éclatement de cette bulle économique, la norme dans le monde du travail voulait que l’entreprise recrute ses nouveaux employés à la sortie de l’université et leur offre des postes garantis à vie. Mais suite à la crise dans les années 90, les entreprises ont commencé à réduire le nombre d’embauches à vie ce qui laissa de plus en plus de jeunes diplômés sur la touche. Le système japonais étant déjà très compétitif, cette nouvelle réalité pousse les étudiants à un acharnement scolaire épuisant pour se démarquer du lot.
N’ayant pas réussi à se faire embaucher immédiatement après l’obtention de leur diplôme universitaire, les jeunes les « moins doués » – selon les notes et le prisme de l’éducation classique – tombent dans la spirale des petits boulots précaires dont il est quasi-impossible de sortir. Malgré leur acharnement à travailler et leur courage, ces employés précarisés n’engrangent pas de qualification suffisante pour décrocher un emploi fixe pour lequel sera de toute façon préféré un diplômé de l’année.
Non seulement il est pratiquement impossible de louer un logement avec un contrat précaire mais ces travailleurs ne bénéficient pas non plus de protection sociale, étant considérés comme des gens sans domicile, même si le cybercafé leur permet de recevoir du courrier. Une fonction indispensable pour les démarches administratives sans laquelle ils seraient relégués pour de bon en marge de la société. En outre, les logement sociaux ne sont pas développés au Japon, la politique en la matière n’étant pas une priorité pour les autorités. En dépit d’un esprit culturel collectiviste, le système japonais actuel est profondément capitaliste et le pays découvre peu à peu le goût de l’austérité. Un comble pour un peuple réputé – parfois à tort – pour son travail acharné.
Il existe toutefois des associations indépendantes comme Moyai qui leur viennent en aide. Celle-ci se porte garante afin que ces personnes en difficulté puissent accéder à un logement décent. Le dernier rapport effectué par le Ministère du travail en 2007 fait état de 60 000 « réfugiés du Net » qui passent au moins une nuit par semaine dans un cybercafé. Et dont environ 10% (soit 5 400 personnes) y vivent à plein temps. L’ultime solution avant de se retrouver à la rue. On gage que depuis le chiffre n’a pas baissé, au contraire, surtout après la nouvelle crise de 2008.
S. Barret
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Sources : youtube (1) (2) / waterweek.wordpress.com / nippon.com / lemonde.fr / lefigaro.fr / Image d’entête : The Guardian