En visitant un sanctuaire, vous avez certainement croisé le chemin de très discrètes miko 巫女, ces jeunes femmes aisément reconnaissables à leur tenue blanche et rouge vif. Le rôle qui leur le plus souvent associé est celui de l’accueil des visiteurs et de la propreté du lieu sacré. Mais les fonctions qui leur sont confiées vont bien au-delà de ces tâches annexes. Retour sur l’histoire des miko et la manière dont elles se sont adaptés à l’évolution de la société modernes.
Même si vous n’avez jamais mis le pied au Japon, il suffit d’être un fan d’anime et de manga pour reconnaître la vision archétypale de la miko : vêtue d’une robe « hakui » blanche et d’un pantalon « hibakama » rouge, ses longs cheveux noués en une queue de cheval basse, elle s’applique à balayer le sol du sanctuaire dans le silence et la discrétion.
Ainsi, on visualise immédiatement des héroïnes connue comme Rei Hino dans Sailor Moon, Arashi Kishû dans X, Mitsuha Miyamizu de Your Name, et bien d’autres encore, tant l’archétype est répandu dans la pop-culture. Outre veiller à la propreté du sanctuaire, les miko sont préposées à la vente des amulettes porte-bonheur, des ofuda, des omikuji et à l’accompagnement des fidèles.
Mais plus que de simples servantes, les miko sont surtout des prêtresses à part entière dont le rôle est d’être au service des kamis, les dieux japonais. Prêtres et prêtresses ne sont pas moins que les intermédiaires entre les dieux et les humains. Ils doivent leur faire parvenir les vœux des croyants. Les miko assistent donc les prêtres pendant les cérémonies, les prières et les mariages. Elles se produisent également lors des danses sacrées « mikomai 巫女舞 » (ou mikokagura) dédiées aux divinités, comme ici au sanctuaire Heian de Kyoto durant le festival Reisai 例祭 :
Lors des divers rituels, les miko revêtent un imposant « chihaya » blanc (sorte de haut de kimono) par-dessus leur « hakui » ; elles peuvent aussi porter une couronne « kanmuri » ou des épingles florales « hanakanzashi ». Leurs fonctions les obligent à utiliser différents accessoires « toributsu » comme le « sakaki » (branche sacrée) lors d’offrandes tamagushi ou les « suzu » (clochettes) lors de danses.
L’origine reculée des miko
A vrai dire, on ne connaît pas avec précision l’origine des miko, tout au plus sait-on qu’elles existent sous diverses formes depuis les temps reculés de l’archipel. Elles sont sans doute issues de pratiques chamaniques de l’époque Jômon (-13 000 à -400 av. n. è.).
A l’origine, les miko avaient vraisemblablement la fonction d’oracle comme la célèbre Pythie de Delphes en Grèce antique. Et leur travail était beaucoup moins calme. Les miko « antiques » entraient en transe lors de danses rituelles pour que la divinité s’exprime à travers elles. Ces femmes sacrées en lien avec les dieux étaient choisies parmi les jeunes filles célibataires des villages aux environs des sanctuaires. Formées pour devenir des prêtresses et servir les kamis, elles jouaient un rôle important dans la vie religieuse de leur communauté et jouissaient d’un statut social élevé.
Les miko pratiquaient également la divination, des exorcismes et œuvraient comme médiums pour entrer en contact avec les esprits des défunts. On les croyait douées de pouvoirs magiques d’où la présence du kanji 巫 « sorcière/médium » dans leur nom.
Les premières mentions écrites des miko dans les documents historiques remontent à l’époque de Nara (710-794), alors que le bouddhisme et le confucianisme, religions importées, répandaient leur influence sur l’Archipel. Parmi les figures historiques, la reine Himiko du Yamatai (ancien royaume du Japon situé au nord de Kyûshû) passe pour avoir été une prêtresse douée de pouvoirs surnaturels. C’est la plus ancienne référence historique attestée.
On pense également qu’Izumo no Okuni, danseuse qui a donné naissance au théâtre kabuki au XVIe siècle, était une ancienne miko du sanctuaire Izumo Taisha.
Comment devenir miko ?
Autrefois on recrutait les miko parmi les jeunes filles célibataires, âgées de 15 à 18 ans, en fonction de leur beauté et leur aptitude à danser. Elles devaient et doivent toujours quitter cette fonction lorsqu’elles se marient ou quand elles atteignent la fin de la vingtaine. Par définition, les miko doivent être jeunes.
De nos jours, les jeunes filles qui deviennent miko sont des enfants de prêtres, ont de la famille ou des connaissances en relation avec un sanctuaire ce qui fait qu’il existe rarement des campagnes de recrutement mais il est toujours possible de postuler même sans recommandation particulière. Généralement aucune formation n’est requise pour devenir miko, cependant les candidates doivent tout de même remplir certaines conditions :
– Être de sexe féminin et célibataire
– Avoir plus de 18 ans (sauf s’il s’agit uniquement de participer aux danses),
– Ne pas se teindre les cheveux, ne pas mettre de vernis à ongles & de maquillage,
– Ne pas avoir de piercing, ni bijoux, ni montre et autres accessoires,
– Avoir des connaissances de base en religion shinto,
– Savoir danser ou jouer d’un instrument est un plus même si pas indispensable
Lors des moments les plus importants de l’année comme les cérémonies de fin d’années ou du Nouvel An, les sanctuaires ont besoin d’assistants et cherchent à embaucher temporairement des miko, postant parfois des annonces dans les collèges ou lycées. Et avec le développement du tourisme international, la maîtrise de l’anglais est appréciée pour communiquer et guider les visiteurs.
Les mikos demeurent toujours perçues comme des figures emblématiques de la tradition religieuse japonaise bien qu’elles aient perdu leur rôle d’oracle et de médium à l’époque Meiji (1868-1912). Tout comme la société japonaise elle-même a profondément changé au fil des siècles, il en a été de même pour les miko, sous l’impulsion des différents gouvernements qui ont régné sur le Japon et de leurs réformes.
Lors des périodes Nara (710-794) et Heian (794-1185), les autorités ont tenté de contrôler les actions des miko en interdisant la pratique de l’extase en dehors de l’autorité des sanctuaires. Pendant la période féodale de Kamakura (1185-1333), des miko ont été contraintes de quitter leurs sanctuaires qui avaient fait faillite. Elles sont devenues des miko itinérantes « miko aruki » associées à l’univers de la prostitution pour survivre.
C’est au cours de l’époque Edo (1603-1868), que la danse « kagura » des miko s’est transformée ajoutant un rite de prière à son caractère surnaturel originel. Des miko d’un type plus séculier sont apparues, qui effectuaient des prières et des invocations en dehors de la juridiction d’un sanctuaire. Puis après la révolution Meiji, le nouveau gouvernement leur a interdit tout types de pratique spirituelle via l’édit « Miko Kindanrei » 巫女禁断令 promulgué en 1873 lors de la réorganisation du shintoïsme comme religion d’État. C’est à cette période aussi que la danse « kagura » a été élevée au rang d’art et pris le nom de « miko-mai ».
De nos jours, les miko sont plutôt considérées comme des travailleuses indépendantes que comme des employées. Elles peuvent gagner leur vie en effectuant des rituels à la demande de particuliers ou en participant à des événements publics comme danseuses ou musiciennes. Assistantes des prêtres lors des cérémonies rituelles ou pour effectuer des tâches administratives, elles demeurent chargées de la purification des lieux et de l’accueil des fidèles.
A partir du début du 20ème siècle, la figure de la miko est progressivement devenue plus populaires et accessible. Certaines ont ainsi élargi leur champ d’activité et travaillent comme modèles dans les domaines de la publicité, de la mode et des médias, accédant au rang d’icônes de la pop-culture japonaise. Mais, comme pour les idoles, avec la popularité vient l’envie et la fétichisation… Les miko étant choisies – par des hommes – spécialement pour leur beauté, on peut se poser la question de leur rapport à la sexualité dans un Japon qui fétichise très fort les jeunes filles et impose une soumission quasi aux autorités toujours masculines.
Les miko sont souvent considérées comme des représentantes des déesses shintoïstes et sont censées maintenir une pureté spirituelle élevée. Cependant, elles ne sont pas tenues de s’abstenir de relations sexuelles contrairement, par exemple, aux « bonnes-sœurs » occidentales. Certaines traditions shintoïstes considèrent toutefois que l’acte sexuel est impur et donc incompatible avec la pratique du shintoïsme. Dans ces cas-là, les miko sont généralement censées s’abstenir de toutes relations physiques pour maintenir leur pureté spirituelle et leur capacité à servir les dieux jusqu’à leur mariage.
L’actualité récente a ébranlé cet idéal. Il existe des cas documentés où des miko ont été impliquées dans des scandales sexuels avec des visiteurs ou des membres du clergé. Ces cas rares sont généralement considérés comme des violations graves de la conduite professionnelle d’une miko et sont réprimées. Tout comportement inapproprié ou immoral est généralement considéré comme un acte de violation de la tradition et de la fonction sacrée de miko. Leur entrée soudaine dans le monde de la pop-culture – avec le risque d’une sexualisation de leur image – pose donc certaines questions éthiques sur les limites de la sacralité donnée à leur fonction. Leur histoire le démontre, les miko semblent vouées à évoluer avec leur temps, s’adaptant à de nouvelles cultures siècles après siècles. On ne peut cependant que leur souhaiter de rester à l’écart de la folie humaine pour ne pas devenir, à leur tour, de simples objets de désir et de consommation.
S. Barret