Au Japon, la législation du commerce impose une production annuelle minimum de saké de 60 000 litres par entreprise, soient environ 33 000 bouteilles d’un sho (1,8 litre) ! Ce taux énorme dissuade les nouveaux entrants sur le marché, au risque de voir le déclin de la tradition face à la consommation d’alcools étrangers en augmentation au Japon. Explications.
Le saké japonais (Nihonshu pour désigner le saké produit au Japon, Seishu dans la langue locale) est un alcool composé de 80% d’eau et 20% de riz, produit par fermentation.
Sa production est une tradition ancestrale du Japon, et pourtant son authenticité est en danger. En 2016, la production de saké au Japon représentait environ 606 000 kilolitres, dont seules 3% destinés aux exportations. Or avec la saturation du marché intérieur, les petits producteurs, qui représentent la grande majorité du secteur, se tournent vers l’exportation depuis les années 2000, emboîtant le pas aux grosses compagnies.
Les exportations de saké, notamment aux États-Unis, premier pays importateur, ont battu des records pendant dix années consécutives pour atteindre 23,4 milliards de yens (185 millions d’euros) en 2019 (soit trois fois plus qu’en 2010). Pourtant, le secteur se voit menacé.
Pour sauver la tradition : adapter la loi
Grâce à l’adoption de l’amendement de la loi sur la taxation des boissons alcoolisées (qui entrera en vigueur en avril 2021), les licences seront désormais accordées sans plancher de production. Cependant, cette autorisation est soumise à une condition de taille : la dite-production devra être réservée à l’exportation uniquement. Les japonais ne pourront en profiter. Le but ? Attirer de nouveaux producteurs et exploitants, à l’étranger.
Seul bémol : l’entrée sur le marché international met en difficulté les petits producteurs, au profit des grosses entreprises : l’industrie du sake. Or, la préservation de la tradition tient principalement aux petites productions dont le savoir-faire est resté inchangé.
Le gouvernement a ainsi pris quelques mesures symboliques, comme la création, en 1978, d’un Jour du saké. Il a été fixé au 1er octobre pour coïncider avec le démarrage de la production. Quelques aides ont été apportées aux petits producteurs, pour éliminer toute concurrence inutile sur les prix et réguler le secteur. Entre 2000 et 2016, les exportations ont ainsi plus que doublé en termes de volume et se sont pratiquement multipliées par cinq en termes de valeur.
La préservation du savoir-faire reste un sujet politique majeur au pays du soleil levant, où la tradition est d’une importance capitale. Mais si les japonais semblent toujours jouir d’un étonnant équilibre entre la modernité et la tradition, l’œuvre du temps pourrait malgré tout effacer peu à peu certaines pratiques, faute de moyen, faute de marché.
Une production traditionnelle ancestrale
Cette boisson ancestrale est née de la légende de Susanô no Mikoto, qui décapite les huit têtes du dragon Yamata no Orochi après l’avoir rendu ivre.
Le terme « saké » apparaît pour la première fois dans le Kojiki, un des plus anciens textes japonais (écrit aux environs du VIIIème siècle après J-C).
Comme toute pratique ancestrale, sa production est extrêmement ritualisée : la fabrication du breuvage a davantage d’importance que la consommation de la boisson en elle-même. En effet, la première version du saké était « mâchée » . On en voit une référence symbolique dans le film d’animation Your Name (voir ci-dessous). Il est réalisé par de jeunes filles, faisant alors figure d’intermédiaires avec les Dieux. Elles mâchent un mélange de riz frais, de riz fermenté (riz kôji) et d’eau. Elles recrachaient ce mélange dans des petites jarres, conservées au froid dans des pierres creusées durant de nombreuses années. C’est ainsi qu’elles produisaient le bijin–shu ou le « saké des belles femmes » .
https://www.youtube.com/watch?v=Y3U7wQTQaOo
À partir de la période Nara (710-794), le saké prend un sens plus social. Il est utilisé pour impressionner lors des banquets. La cour impériale établit alors sa propre brasserie afin de réaliser autant de sakés différents qu’il y a de dieux. (Ndlr : Aujourd’hui simplifié, on distingue une typologie de cinq sortes.)
Après le IXème siècle, de nouvelles techniques de brassage naissent. Elles permettent à une élite aristocratique de s’attribuer l’exclusivité de la consommation de saké. En réponse à la production de saké blanc (beaucoup plus qualitatif, réservé à l’aristocratie) naît alors le « saké noir » . Sa couleur, plus ragoûtante et artisanale, est due à l’utilisation de plantes plus communes. Plus simple, moins cher, ce sake alternatif devient la boisson du peuple.
La Cour impériale se retire de ce commerce dès l’époque Kamakura en 1185, donnant naissance aux brasseries indépendantes. C’est le Kofukujî, un temple de Nara, qui met au point la technique de brassage moderne en utilisant la technique de pasteurisation au XVIème siècle. (Ndlr : En France, elle n’est découverte par Louis Pasteur qu’en 1865)
Le saké se déguste désormais en communauté, dans des temples dédiés ou sur les marchés.
Le Japon voit une importante modernisation advenir au XIXème siècle durant l’ère Meiji (1868-1912) : l’échelle de production augmente sans cesse et s’industrialise. Les techniques occidentales influencent les grandes brasseries et entreprises, au détriment des petits producteurs locaux qui, pourtant, demeurent les garants de la tradition.
Vous êtes arrivés au bout de cet article, bravo. Un petit remontant ?
Profitons donc de cette pandémie pour découvrir d’autres horizons à distance, et commandons un saké authentique de petit producteur local. À déguster en digestif ou un cocktail rosé au litchi en apéritif, vous en trouverez nombre de déclinaison qui sauront ravir vos papilles. Sentez, savourez, et contribuez à la conservation de ce savoir ancestral.
En digestif, Les sources BONUS
Le site de la Maison de la culture du Japon et son podcast MISO POINT
Le podcast Mythes et Légendes, Quelle Histoire sur les héros et traditions divines et ancestrales (fouillez, ça vaut le détour).
– Coline Desselle
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