S’estimant lésées par les conditions d’admission à l’Université de médecine de Tokyo, 33 femmes ont introduit une plainte à l’encontre de cette dernière le 15 mars dernier. Motifs ? Elles dénoncent un processus structurellement sexiste qui avantage volontairement les hommes au détriment des femmes.

Ce 15 mars, 33 femmes ont porté plainte pour discrimination contre l’Université de médecine de Tokyo. Leur plainte se fonde sur des informations selon lesquelles les résultats finaux des examens d’entrée pour intégrer l’établissement auraient été manipulés afin d’augmenter la part de médecins hommes. Les plaignantes, qui ont tenté l’examen d’entrée entre 2006 et 2018, réclament un total de dommages de 130 millions de yens (soit environ 30.000 euros par personne). Leur âge moyen est de 24 ans. Jusqu’à présent, l’université a refusé de commenter l’affaire. Le geste est aussi symbolique qu’important, dans une société toujours très marquée par les inégalités se sexe, en particulier dans le monde du travail.

L’université de médecine accusée de discrimination envers les femmes

Le scandale remonte à l’origine en août 2018, lorsque plusieurs médias japonais ont révélé que l’Université de médecine de Tokyo, un établissement privé, avait mis en place un système afin d’éviter d’avoir plus de 30 % d’étudiantes reçues à son examen d’entrée. 70% devant donc forcément être des hommes, et ce sans se préoccuper de la qualité des différents candidats et candidates. Ces révélations, qui touchent de plein fouet le secteur de l’éducation et de l’enseignement avaient provoqué une vague d’indignation parmi les professionnels du secteur ainsi que sur les réseaux sociaux.

Les autorités de l’Université s’excusent publiquement comme il est coutume de le faire au Japon.

Dans les semaines qui ont suivi, l’université visée a été contrainte d’admettre avoir recours à ce type de procédé depuis 2006, dans l’objectif avoué de freiner le recrutement de femmes. Pour justifier cette mesure, les responsables avaient avancé le besoin d’empêcher une pénurie éventuelle de médecins dans les hôpitaux, arguant que les femmes avaient une tendance plus importante à l’instabilité professionnelle ou à prendre des congés prolongés après un mariage ou pendant et après une grossesse. Des propos qui en disent long sur le rapport des institutions japonaises aux femmes. Après ces premières révélations, une enquête commandée par le gouvernement japonais auprès de 81 universités a permis de révéler que d’autres établissements avaient mis en place des processus de recrutement illégaux pour écarter les femmes de la profession.


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Les inégalités hommes/femmes bien ancrées dans la société japonaise

Comment, face à cette triste affaire, ne pas penser au destin incroyable de Ginko Ogino, la première Japonaise à devenir médecin en 1882, non sans difficulté. Il faudra de longue décennies pour que l’idée qu’une femme puisse devenir médecin soit « toléré » par les hommes encadrant la profession.

Aujourd’hui, et dans bien d’autres domaines, le Japon est souvent pointé pour son patriarcat latent. Selon un rapport du Forum économique mondial publié en décembre 2018, le pays se trouve seulement à la 110e place, sur 149 pays étudiés en matière d’égalité hommes/femmes. Le Japon est pourtant la 3e économie de la planète. Dans une société conservatrice, la problématique n’épargne pas le monde du travail, parfois même décrit comme « machiste ».

Employer des femmes est considéré par défaut comme problématique, car ces dernières peuvent tomber enceintes et sont considérées, selon le prisme économique dominant, comme moins productives. Dans le même temps, de nombreux médias continuent de véhiculer des stéréotypes et assignent volontiers les femmes aux affaires domestiques ou encore à un objet de consommation conforme aux « besoins » des hommes. Leur sexe limite donc l’accès à certaines fonctions, ce qui joue sur leur carrière, leur vie personnelle ainsi que leur liberté. Pas étonnant donc de voir la démographie japonaise s’effondrer. La problématique est détaillée dans notre dossier « Comprendre le poids du sexisme au Japon« .

Si, de manière générale, la société japonaise commence à changer de mentalité sur la question, les femmes accédant de plus en plus à des posts à responsabilité ou à une indépendance financière, la fracture continue d’être particulièrement palpable. Selon le Forum économique mondial, les femmes gagnent à fonctions égales seulement 70 % du salaire des hommes, ne représentent que 10 % des élus au parlement et souffrent bien plus souvent d’emplois précaires à durée limitée. Par ailleurs, le poids de ce sexisme pèse également sur les citoyens masculins. Ceux-ci sont contraints à porter sur leur épaule une responsabilité économique importante, réduisant le plus souvent leur rôle familial au stricte minimum jusqu’à en être déconnecté.

De nombreuses personnes espèrent que ce scandale des discriminations de genre à l’Université de médecine de Tokyo obligera la société à entamer un vrai débat de fond pour faire évoluer ces chiffres. Malheureusement, il est toujours mal vu de donner ouvertement son opinion dans la société japonais et les médias nippons assurent avant tout un rôle de divertissement, assurant une inertie confortable à un conformisme mou validant de nombreuses inégalités. Jusqu’à quand ?


Sources : weforum.org / japantimes.co.jp