Hormis Hokusai, Hiroshige et Utamaro, le monde de l’estampe a été marqué par les œuvres d’autres maîtres, plus méconnus mais au talent tout aussi remarquable. Sélection des artistes majeurs de la fin de l’époque Edo, âge d’or de l’estampe, jusqu’au renouveau du courant Shin-Hanga, au XXe siècle.

Peut-être le célèbre nom de Hokusai vous est-il familier ? Or, au-delà des figures populaires de l’estampe japonaise, se trouve tout un paysage de maîtres méconnus… Coulisses d’un art ancestral et foisonnant. 

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L’Âge d’or de l’ukiyo-e, à l’époque d’Edo (1603–1868)

1. Suzuki Harunobu (1725–1770)

« Harunobu a réalisé la première estampe polychrome nishiki-e en 1765″

C’est à Harunobu que l’on doit la réalisation de la première estampe polychrome nishiki-e en 1765 à l’occasion de la commande d’un « calendrier illustré » eyogami. Il fut aussi l’un des premiers artistes à figurer des paysages nocturnes, jusque-là représentés sur un fond clair.

Chasse aux lucioles (ca. 1769). Source : ukiyoe.org

Son œuvre se concentra sur 10 années seulement, entre 1760 et 1770, pour une production d’environ 1200 estampes sur feuille et 26 livres illustrés présentant un large éventail de thèmes.

Il intègra à ses estampes des références cachées à la littérature classique, conçut des illustrations symboliques d’anthologies poétiques et captura la vie quotidienne à Tokyo.

Enfin, Harunobu fut aussi connu pour ses portraits de bijin (belles femmes) à la délicate beauté androgyne d’une petite taille avec un visage arrondi.

Osen de la maison de thé Kagiya au sanctuaire Kasamori avec vue sur Nippori à Yanaka (ca. 1768). Source : ukiyoe.org

2. Keisai Eisen (1790 – 1848)

Après Suzuki Harunobu, c’est Keisai Eisen qui pris la relève de la représentation de la beauté féminine bijin-ga et plus particulièrement en gros plan okubi-e. Quelques décennies séparèrent les deux artistes, un temps suffisant pour que les canons de beauté aient changé.

Portrait d’une beauté à Kurumaya, Shiba (1827). Source : ukiyoe.org

Une évolution visible dans les portraits d’Eisen, avec des silhouettes longilignes et des visages ovales. De même pour les modes vestimentaires, les motifs de kimono, la manière de nouer l’obi, les coiffures, le maquillage…

Bijin au shamisen. Source : ukiyoe.org

3. Tōshūsai Sharaku dit Sharaku (actif entre mai 1794-début 1795)

« la véritable identité de Sharaku demeure inconnue ».

Dix mois d’une courte carrière (entre mai 1794 et le début de 1795) suffirent à marquer l’histoire de l’estampe. À ce jour, la véritable identité de Sharaku demeure inconnue. Des sources contemporaines rapportèrent qu’il fut acteur de Nô sous le nom de Saito Jūrōbei. À l’inverse, une hypothèse voulut que ce nom cacha un collectif d’artistes.

Portrait de l’acteur Otani Oniji III dans le rôle de Yakko Edobei de la pièce « Les Rênes colorées d’une épouse aimante« . Source : ukiyoe.org

Quoi qu’il en soit, il laissa à la postérité de magnifiques portraits d’acteurs de kabuki, avec une prédilection pour les Onnagata, ces comédiens spécialisés dans les rôles féminins.

Son style fut caractérisé par l’expressivité exagérée de ses portraits, jusqu’à frôler la caricature.

Segawa Tomisaburō II et Nakamura Manyo dans les rôles de Yadorigi et de sa servante Wakakusa de la pièce « Hana Ayame Bunroku Soga ». Source : ukiyoe.org

4. Utagawa Kunisada, dit aussi Utagawa Toyokuni III (1786–1865)

Kunisada connut un succès aussi fulgurant que précoce, ce qui en fit l’un des artistes d’ukiyo-e les plus populaires de son époque et lui conféra une aisance financière dont peu purent se targuer.

S’il réalisa les thèmes classiques de l’ukiyo-e (scènes historiques, bijin, Kabuki, mais peu de paysages), Kunisada fut particulièrement connu pour ses portraits d’acteurs de Kabuki détaillés, aux poses dramatiques et expressions marquées qui dominèrent le marché.

Hamamatsu : l’acteur Ichikawa Ebizô V dans le rôle Kezori Kuemon tiré de la série Les cinquante-trois stations de la route du Tôkaidô (1852). Source : ukiyoe.org

Extrêmement prolifique, sa production fut estimée à 20 000 œuvres (bien aidé par ses étudiants).

Il réalisa aussi des estampes illustrant le Dit du Genji, le classique de la littérature japonaise écrit au XIe siècle par Murasaki Shikibu, une dame de la Cour.

Le Dit du Genji, chapitre 9 (1849). Source : ukiyoe.org

5. Utagawa Kuniyoshi (1797–1861)

Le maître incontesté du surnaturel avec son cortège de yôkai, fantômes et autres créatures fantastiques. Mais son œuvre est aussi reconnue pour ses portraits de guerriers et héros légendaires.

C’est d’ailleurs sa série des 108 héros du Suikoden en 1827 qui le rendra célèbre de son vivant. Et ses héros tatoués inspireront ensuite fortement le monde du tatouage.

Rorihakucho Cho Jun, un des 108 héros du Suikoden (1827-1830). Source : ukiyoe.org

Son style se caractérise par sa représentation dynamique du mouvement et un sens appuyé du spectaculaire. Ses personnages prennent vie dans l’estampe dont ils occupent habilement toute la surface.

La censure des réformes Tenpô – interdisant la représentation de courtisanes, de geishas et d’acteurs – incitera Kuniyoshi à se tourner vers la caricature. Trop subversif, cela lui vaudra d’être arrêté par les autorités et d’écoper d’une amende.

L’ancien empereur Sutoku de Sanuk envoie ses vassaux porter secours à Tametomo (1851-52). Source : ukiyoe.org

L’oubli à l’Époque de Meiji (1868–1912)

6. Tsukioka Yoshitoshi (1839–1892)

Connu pour être le dernier grand maître de l’ukiyo-e traditionnelle, il vécut à la période charnière de la fin du shogunat et de la Restauration Meiji. Une époque troublée par la guerre civile qui marqua ses premières œuvres de violence et de morbidité.

Saigo au Mont Hanaoka – la rebellion de Kagoshima (1827). Source : ukiyoe.org

Après la Restauration Meiji, l’art de l’estampe fut progressivement délaissé par les Japonais, avides de nouveautés occidentales.

Mais c’est pourtant dans ses dernières années que Yoshitoshi produisit ses œuvres les plus célèbres telles sa série des Cent aspects de la lune (1885-1892) et des Nouvelles formes de Trente-six fantômes (1889-1892).

Le lapin de Jade Gyokuto et le singe légendaire Songoku, Cent aspects de la lune (1889). Source : ukiyoe.org

7. Kobayashi Kiyochika (1847–1915)

À l’inverse de son contemporain Yoshitoshi qui perpétua l’estampe traditionnelle, l’œuvre de Kiyoshika reflète la transformation rapide du Japon d’alors vers un idéal de modernité occidentale. S’il fut marqué par les œuvres de Kuniyoshi et Hokusai, une influence occidentale imprègne aussi indubitablement son style et ses thèmes.

Voie ferrée de Takanawa (1879) de la série des Lieux célèbres de Tokyo. Source : ukiyoe.org

Kiyochika illustra aussi les conflits de son temps, comme la Guerre sino-japonaise (1894-1895) et de la Guerre russo-japonaise (1904-1905) parfois sous un angle humoristique.

Bombardement de la porte Eian-mon du château de Jinzhoucheng, durant la guerre sino-japonaise (ca. 1894-95). Source : ukiyoe.org

Le renouveau du mouvement Shin-Hanga au XXe siècle

8. Kawase Hasui (1883–1957)

Kawase Hasui s’inscrivit comme l’un des artistes les plus doués du mouvement Shin-Hanga. Ce ‘renouveau pictural’, né en 1920 sous l’impulsion de l’éditeur Watanabe Shozaburo, mêla des éléments issus de la peinture occidentale comme la représentation de la lumière avec des thèmes traditionnels japonais.

Le Mont Fuji vu de la baie de Tago (ca. 1930). Source : ukiyoe.org

Influencé par Hiroshige, l’œuvre de Hasui fut particulièrement réputée pour ses paysages, dont on en décompte un nombre supérieur à 600.

« Son  estampe du temple Zojoji sous la neige fut désignée comme Trésor National »

Son estampe Le temple Zojoji sous la neige fut désignée comme Trésor National, signe de la reconnaissance de son art par le gouvernement japonais.

Le temple Zojoji sous la neige (1925). Source : ukiyoe.org

9. Itō Shinsui (1898–1972)

Autre artiste majeur du Shin-Hanga, Shinsui se spécialisa dans la représentation de Bijin.

Devant le miroir (1916). Source : ukiyoe.org

Ses portraits mêlèrent l’idéalisation de la beauté japonaise classique et une composition d’une franche modernité, influencée par sa formation à la peinture Nihonga.

Horloge et Beauté IV (1964). Source : ukiyoe.org

Ces quelques portraits succincts d’artistes méconnus rappellent l’importance d’explorer l’univers des estampes japonaises au-delà des noms les plus médiatiquement porteurs d’attention, tant ce dernier est riche, complexe et surprenant…

S. Barret


Image d’entête : Onoguchi Tokuji bombarde la porte Eian-mon du château de Jinzhoucheng. durant la guerre sino-japonaise (ca. 1894-95). @ukiyoe.org