Chaque histoire criminelle a forcément deux éléments obligatoires : une date de départ, et aussi bien souvent, un nom et un prénom. Dans cette affaire, tout commence le 14 février 2016 avec Satoshi Uematsu. Un jeune homme de 26 ans, qui se présente au Parlement japonais. Avec une demande étonnante : celui-ci voulait présenter une idée de loi nationale de sa création. Une loi si révolutionnaire qu’elle rendrait un immense service à la nation.

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Bien entendu, vu l’important dispositif de sécurité du Parlement et le comportement étrange de cet individu sorti de nulle part, Satoshi Uematsu fut escorté vers la sortie. Cependant, il laissa une lettre destinée au président du Parlement. Par acquis de conscience, ou peut-être par curiosité, le président du Parlement, M. Tadami Oshima, ouvrit ce courrier bien étrange. Le contenu lui glaça le sang.

« Cher Président du Parlement, merci de lire cette carte (…) Je me propose pour éliminer un total de 470 personnes souffrantes de déficiences mentales. »

Dans la suite de ce courrier, l’individu détaille son plan avec une pléthore d’arguments plus froids les uns que les autres. Celui-ci explique avoir travaillé dans un centre accueillant des personnes avec des déficiences mentales. Qu’il était touché par les visages fatigués et sans espoir des proches des patients. Et que donc, selon lui, ces personnes en situation de handicap n’apportaient que tristesse et malheur à leur famille.

Tsukui Yamayuri En, le foyer pour personnes en situation de handicap mental au lendemain de la tragédie. crédit photo : Eugene Hoshiko/AP

Toujours dans la même lettre, Satoshi Uematsu expliqua placidement qu’il se proposait d’éliminer lui-même 200 individus dans une sorte d’opération secrète avec l’accord du gouvernement. Son plan était de ligoter les travailleurs des installations, et d’éliminer un par un l’ensemble des résidents d’un établissement. Une fois l’acte eugéniste réalisé, il proposa de se rendre à la police, d’accomplir une courte peine de prison ne dépassant pas les deux ans. Puis d’être libéré, d’obtenir l’équivalent de 5 millions de dollars de la part du gouvernement, ainsi qu’une nouvelle identité et une chirurgie esthétique.

… Non, vous ne rêvez pas. Et qui plus est, ce jeune homme de 26 ans était on ne peut plus sérieux. Une plainte fut déposée et une enquête fut réalisée sur cet étrange individu. Nul n’aurait pu deviner que ce qui semblait être une lettre écrite par un illuminé lambda allait se transformer en une réalité particulièrement horrible seulement 5 mois plus tard.

Qui est Satoshi Uematsu ?

Satoshi Uematsu est né le 20 janvier 1990 à Sagamihara. Et en dehors de ce fait, il n’y a rien de particulièrement alarmant concernant son enfance. En effet, contrairement à énormément de profils de meurtriers, rien n’aurait pu laisser présager ce qui allait se passer quelques années plus tard. Sa mère était présente, même particulièrement investie dans son éducation, et son père n’était pas particulièrement absent non plus. Ses camarades de classe se souviennent d’un enfant, d’un adolescent agréable, enjoué, toujours prêt à faire le pitre pour divertir ses camarades.

Le point d’inflexion se produisit à partir du lycée. Satoshi Uematsu commença à faire usage de substances illicites, d’alcool, mais aussi à fréquenter des personnes peu recommandables. Mais jusque-là, à un âge aussi sensible que l’adolescence, ce genre d’événement n’est pas si rare. Il commença à se tatouer, acte particulièrement rebelle au Japon. Bien entendu, ses notes commencèrent à baisser, il fut renvoyé à plusieurs reprises. Mais il parvint à terminer le lycée, et entra à l’université afin de réaliser l’un de ses rêves : devenir professeur comme son père.

En 2010, dans le cadre de sa formation pour devenir professeur, il réalisa un stage dans une structure d’accueil de personnes en situation de handicap mental. Visiblement, l’expérience ne lui fut pas des plus plaisantes. Quelques jours après son stage, il publia des messages sur Twitter particulièrement dégoûtants. Par exemple : « Aujourd’hui, je me suis retrouvé avec 200 personnes déficientes. C’était plus fatiguant que je n’aurais cru. Ce sont tous des idiots. » Dans la même période, il réalisa un stage avec des enfants qui se passa bien.

En 2012, Satoshi Uematsu obtint son diplôme, et aurait logiquement pu devenir professeur des écoles. Mais pour une obscure raison, il s’orienta dans une autre voie… et retourna travailler dans un centre pour personnes en situation de handicap mental.

Le point de bascule

C’est donc ainsi que Satoshi Uematsu fut embauché en avril 2013 par le foyer pour personnes en situation de handicap mental « Tsukui Yamayuri En » à Sagamihara, dans la préfecture de Kanagawa, non loin de Tokyo.

Satoshi était considéré comme immature par ses collègues, et avait pris l’habitude de se moquer des patients, allant jusqu’à parfois avoir des comportements agressifs envers les résidents. Il s’était même déjà absenté de son poste sans en avertir ses collègues, ce qui peut se révéler problématique dans ce genre de structure en termes de sécurité des résidents.

Toutefois, bien qu’il fût rappelé à l’ordre à de nombreuses reprises, aucun incident reporté n’était alors jugé assez grave pour justifier un licenciement. Son comportement restait cependant mauvais avec ses collègues et un peu maltraitant avec les patients.

Satoshi témoigna plus tard de ce qu’il vit dans cet établissement. Il faisait état de personnes incapables de se gérer seules, mais aussi de familles épuisées qui semblaient subir la situation. C’est ainsi qu’il finit par développer la conviction que les personnes atteintes de déficiences mentales avaient des vies inutiles, vides de sens. Qu’en plus de souffrir elles-mêmes, toujours selon ses dires, elles faisaient souffrir leurs familles.

Petit à petit, à mesure que les années passèrent pour Satoshi Uematsu au contact des résidents du centre, il devint de plus en plus extrême dans ses prises de position. À partir de 2016, il affichait de manière décomplexée son idéologie, flirtant avec les thèses eugénistes de l’un des plus grands dictateurs du siècle dernier.

Il postait sur Twitter des messages au contenu de plus en plus inquiétant, concernant notamment ses idées sur l’euthanasie des personnes en situation de handicap mental. Il évoqua littéralement son désir de tuer lui-même ces personnes afin d’inciter d’autres à faire comme lui à travers le pays, suite à son action. Mais bien entendu, avec l’autorisation du gouvernement…

Selon lui, cette action aurait pu permettre de redistribuer l’argent économisé pour les soins des handicapés en faveur d’autres postes économiques, pouvant contribuer ainsi à atteindre « la paix au niveau mondial ». C’est en cette même année 2016 qu’il se présenta au Parlement, comme raconté en début d’article.

Satoshi Uematsu se fit arrêter, et la police le dénonça à la structure où il travaillait. Bien entendu, le directeur le licencia sur-le-champ, pour d’évidentes raisons de sécurité. Vu l’état mental de l’individu, indubitablement altéré, il fut interné en hôpital psychiatrique pour deux semaines. Des analyses faites sur place le révélèrent positif au THC. Pour les médecins, le diagnostic le plus probable était alors un épisode psychotique produit par la prise de substances psychotropes. Après évaluation, il fut libéré, les médecins n’ayant pas décelé d’éléments penchant en faveur d’un possible passage à l’acte. Mais tout devait basculer quelques mois plus tard.

Passage à l’acte

Très peu de temps après sa remise en liberté, le 26 juillet 2016, Satoshi Uematsu passa une dernière soirée avec ses amis, un dernier repas avec sa petite amie. Puis, il se dirigea vers le centre duquel il venait juste de se faire licencier. Les caméras de sécurité de l’institut le montrent descendre de sa voiture, ouvrir le coffre et en sortir un sac. Celui-ci contenait le parfait kit pour exécuter son funeste plan.

Aucun doute possible sur la nature préméditée de l’acte, tant ce sac était le parfait kit de l’assassin : de multiples couteaux, du scotch, des outils divers et variés, dont un marteau. Marteau qu’il utilisa pour briser une vitre afin de s’introduire dans la structure au beau milieu de la nuit. Ses victimes n’avaient aucune chance. Malheureusement, l’individu, ayant travaillé dans les locaux, connaissait parfaitement la topographie mais aussi les horaires et les tournées de ses anciens collègues.

Il ligota l’un d’entre eux, le bâillonna, puis s’empara de sa clé afin de pouvoir circuler librement. En l’espace de quelques minutes, Satoshi Uematsu poignarda à mort 19 résidents, et en blessa 25 autres, d’une manière aussi froide que méthodique. Alarmés par les bruits suspects, les travailleurs de nuit appelèrent la police, qui ne put que constater l’ampleur du massacre. Satoshi Uematsu s’était déjà enfui.

Il entra dans son véhicule, et imperturbable, prit un selfie. Un selfie dans lequel le jeune homme, tout sourire, se fend d’un lapidaire commentaire qu’il posta sur Twitter : « Aujourd’hui, le monde est en paix. Beautiful Japan. »

Conscient du fait qu’il serait arrêté de toute manière, mais aussi grisé par la fierté d’avoir accompli un acte qu’il qualifiait lui-même de salutaire, il se rendit à la police deux heures plus tard. Lors de sa garde à vue, il avoua aux enquêteurs qu’il avait prévu de s’attaquer à un deuxième établissement la même nuit. Mais, se sachant en cavale, il avait abandonné.

Durant son procès, l’assassin ne montra absolument aucun remords. Il fut photographié souriant aux journalistes. L’homme se permit même plusieurs déclarations abjectes à l’attention des familles. Il aurait notamment évoqué son incompréhension vis-à-vis d’elles, car il n’avait reçu aucun remerciement pour leur avoir permis de se libérer de leur fardeau. Mais aussi de leur avoir permis d’économiser d’importantes sommes d’argent qu’ils pourront maintenant utiliser pour d’autres dépenses plus agréables.

Un tel manque d’empathie eut un effet dévastateur sur les familles des victimes. Bien loin d’être soulagées, celles-ci pleuraient la perte d’êtres chers à leurs yeux. Des frères, des sœurs, mais aussi des fils et filles qui avaient plus que tout autre besoin de soins, et d’amour pour vivre heureux malgré leur handicap. De multiples vies fauchées par l’idéologie eugéniste d’un esprit malade, probablement bien plus que ses victimes.

Les expertises psychiatriques menées sur le criminel concordèrent : l’individu souffre d’un trouble de la personnalité narcissique. Un trouble ne rentrant pas dans les pathologies pouvant abolir le discernement. C’est ainsi que Satoshi Uematsu fut condamné à mort le 16 mars 2020 par le tribunal de Yokohama. Il se trouve actuellement dans le couloir de la mort dans l’attente de son exécution, qui pourrait avoir lieu aussi bien dans une semaine que dans 30 ans, le droit japonais n’imposant pas de prévenir le détenu de la date prévue de son exécution. Le criminel, à ce jour, n’a pas fait appel de sa condamnation.

Le procès fit grand bruit dans l’archipel, et reçut un écho à l’international. Les autorités ont à plusieurs reprises évoqué le caractère traumatisant de l’affaire, mais aussi – et surtout – l’idéologie du criminel, qui semble réduire l’importance de l’humain à sa simple utilité dans la société.

Plus largement, cette affaire a apporté de nombreux questionnements sur notre propre vision des personnes en situation de handicap et dépendantes. Dans une société comme le Japon, où la valeur de l’individu est souvent quantifiée par son apport à la collectivité, la personne handicapée peut se retrouver effacée. Elle peut aussi être perçue comme une honte, un fardeau. Une réalité que l’on préfère cacher aux yeux des autres afin de maintenir une apparence de normalité sociale.

Mais n’est-ce pas un peu le cas dans toutes les sociétés à travers le monde ? Traite-t-on mieux les personnes handicapées dépendantes dans nos sociétés occidentales, si promptes à se poser en défenseuses des faibles et des opprimés ? Peut-être, encore que pas suffisamment. Mais c’est le fruit d’une lutte permanente de longue haleine qui n’est jamais vraiment gagnée tant le modèle économique dominant tend à considérer ces personnes comme improductives. Et si Satoshi Uematsu n’était, au final, que l’incarnation mortifère de cette idéologie poussant à ne voir les individus que par le spectre de leur rendement pour la société ?

Une sorte de validisme poussé à l’extrême, dans lequel la personne handicapée ne serait qu’un fardeau. Une réflexion que beaucoup portent même inconsciemment. En témoigne l’usage courant de termes évoquant des handicaps portant parfois des retards mentaux comme insulte.

Et à l’heure où la notion d’inclusion – si importante – est galvaudée, récitée tel un mantra vide de sens par tous les politiciens en quête de virtue signaling, il devient essentiel de nous questionner : ne sommes-nous pas tous, individuellement, une partie d’un problème qui exclut de facto les personnes en situation de handicap, plutôt que de les intégrer ?

Gilles Chemin

Sources :

19 Die In Knife Attack At Care Facility West Of Tokyo ; NPR – 26/07/2016

– Why was Japan killer set free to murder disabled people? ; Today Online 27/07/2016

– Japon : peine de mort prononcée pour Satoshi Uematsu, le meurtrier de 19 handicapés ;
Le Parisien 16/03/2020

– Massacre de Sagamihara ; Wikipedia