Dix ans après leur introduction, les partenariats entre personnes de même sexe (forme de PACS) continuent à progresser au Japon. Mais derrière cette avancée, le mariage homosexuel reste non-reconnu par la législation nationale. Dans les tribunaux, les juges multiplient pourtant les rappels à la Constitution…

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Seul pays membre du G7 à ne pas autoriser les couples de même sexe à se marier, le Japon est le terrain de vifs débats sur la question. Dans la région, peu sont les pays qui ont franchi ce pas. L’île voisine de Taïwan est actuellement le seul pays asiatique à avoir entièrement légalisé le mariage homosexuel, même si les discussions institutionnelles vont bon train dans d’autres pays, comme en Thaïlande.

Une avancée majeure

C’était il y a tout juste dix ans. Faute d’un cadre légal national permettant le mariage homosexuel, deux municipalités tokyoïtes décident de prendre les devants.

Shibuya et Setagaya font figure de pionnières lorsqu’en 2015, ces administrations locales créent un certificat de partenariat entre personnes de même sexe, une sorte de PACS. L’objectif : reconnaître administrativement des couples jusque-là invisibilisés. L’initiative reste locale, mais le symbole est fort, et c’est le début d’une longue marche vers le progrès.

« 530 préfectures et municipalités japonaises ont adopté des systèmes de partenariat entre personnes de même sexe au 31 mai 2025 ». 

Rapidement, d’autres municipalités suivent en effet le mouvement. La capitale, Tokyo, adopte son propre système en 2022. Aujourd’hui, c’est presque l’ensemble du territoire qui est concerné. Une enquête menée conjointement par l’association Nijiiro Diversity et la municipalité de Shibuya révèle que 530 préfectures et municipalités japonaises ont adopté des systèmes de partenariat entre personnes de même sexe au 31 mai 2025. 

Un cadre légal palliatif, mais limité

Plus de 92 % de la population japonaise a donc accès à cette procédure à l’heure actuelle, soit une augmentation de 7,4 % par rapport à l’année précédente. Au total, 9 836 certificats de partenariat ont ainsi été délivrés à des couples à ce jour.

« Il en va par exemple de la possibilité de faire la demande conjointe d’un logement social ou de rendre visite au conjoint hospitalisé ».

Cette reconnaissance permet aux couples d’accéder aux services publics de la ville et donc à certains droits réservés aux familles mariées. Il en va par exemple de la possibilité de faire la demande conjointe d’un logement social ou de rendre visite au conjoint hospitalisé.

Les « serments de partenariat » peuvent désormais être prononcés dans la grande majorité des municipalités nipponnes. Tokyo Pride 2024 – pride.tokyo

Des nuances existent toutefois dans les systèmes adoptés par les administrations : certaines ont par exemple enrichi ces procédures de droits familiaux, comme le fait de pouvoir intégrer au foyer un enfant né d’une union précédente. Si cette avancée allège donc le quotidien, elle a tout de même ses limites.

En matière de succession, de fiscalité, de pension ou encore d’adoption, les couples homosexuels demeurent discriminés.

Les juges prennent position

Face à cette discrimination, plusieurs couples ont saisi la justice ces dernières années, avec des conclusions divergentes. Dans sa forme actuelle, le mariage est défini par la loi japonaise comme une union entre deux personnes de sexe différent. Si en juin 2022, un tribunal d’Osaka avait rejeté les arguments des plaignants selon lesquels la non-reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe serait inconstitutionnelle, plusieurs autres juridictions ont rendu des décisions plus progressistes.

En 2024, le tribunal de district de Tokyo a ainsi considéré que l’absence de reconnaissance de mariage entre personnes de même sexe est une violation de l’article 24-2 de la Constitution, étant donné qu’elle contrevient à la dignité individuelle et à l’égalité fondamentale entre les sexes. Le haute cour de Sapporo rend un verdict similaire quand elle affirme, toujours en 2024, que les dispositions du Code pénal et de la Loi sur le registre de famille qui ne reconnaissent pas le mariage entre personnes de même sexe sont inconstitutionnelles.

Le gouvernement tarde à agir

Au lendemain de ces décisions judiciaires historiques, les militants et experts du sujet saluaient ce progrès, tout en appelant les autorités à agir. “Le gouvernement japonais doit maintenant prendre les devants et cheminer vers la légalisation du mariage homosexuel afin que les couples puissent jouir pleinement des mêmes droits en termes de mariage que leurs homologues hétérosexuels” déclarait ainsi Boram Jang, chercheuse sur l’Asie de l’Est à Amnesty International.

Le Parlement japonais est divisé sur la question de la reconnaissance du mariage entre personnes du même sexe, et de réelles avancées se font attendre. Wikimedia Commons – CC BY 3.0

Les avancées se font pourtant attendre au niveau national. La loi votée en 2023 dans le but de “promouvoir la compréhension” à l’égard des personnes LGBTI est jugée cosmétique par les associations. Le gouvernement actuel, dirigé par le Premier ministre Shigeru Ishiba, issu du Parti libéral-démocrate (PLD), est traditionnellement conservateur et réserve une certaine prudence voire une opposition à la légalisation du mariage pour tous. Aucun engagement clair du gouvernement n’a été pris à ce jour pour légaliser le mariage homosexuel à l’échelle nationale.

Un soutien populaire

« 72 % des personnes interrogées ont déclaré que le mariage homosexuel devrait être autorisé »

La population semble pourtant y être favorable. Selon un sondage réalisé par l’Asahi Shimbun en février 2023, 72 % des personnes interrogées ont déclaré que le mariage homosexuel devrait être autorisé, avec toutefois de fortes disparités selon l’âge des répondants. Si les militant·es LGBTQIA+ se félicitent de cette évolution sociétale et décrivent les certificats comme une étape importante vers l’égalité du droit au mariage pour les couples de même sexe, force est de constater que la bataille vers une reconnaissance nationale n’est pas encore gagnée. 

Malgré le soutien populaire, la reconnaissance du certificat sur la quasi-intégralité du territoire japonais et les nombreuses décisions judiciaires, une partie importante de la population continue d’être privée de certains droits fondamentaux. Reste au législateur à trancher : maintenir un système palliatif ou inscrire dans la loi une évolution déjà ancrée dans la société.

– Aure Gemiot