Le folklore japonais regorge de créatures, appelées yôkai, plus ou moins effrayantes. Si certaines de ces créatures sont en effet plutôt farceuses, d’autres sont particulièrement dangereuses envers les humains, c’est par exemple le cas de la terrifiante jorôgumo…
Ce yôkai, mi-femme mi-araignée, aime plus précisément s’en prendre aux hommes, qu’elle se plaît à séduire, pour ensuite les voir mourir à petit feu avant enfin de les dévorer… Si les araignées vous font peur, alors vous n’êtes pas au bout de vos peines avec la jorôgumo !
Présentation de la jorôgumo
Avant de parler du yôkai, sachez que les jorôgumo existent réellement. Ce sont des araignées, appelées aussi Nephila clavata, qui mesurent entre 2 et 3cm, facilement reconnaissables à leurs motifs de couleur jaune. Leur toile, assez grande, est si résistante qu’elle peut même attraper de petits oiseaux… on comprend alors facilement qu’elles aient inspiré notre dangereux yôkai, à moins que ce ne soit l’inverse.

Même si pour tous les arachnophobes l’aspect de cette araignée est déjà bien assez terrifiant comme ça, ce n’est pas vraiment d’elle qu’il faut se méfier, mais de sa version yôkai !
La jorôgumo 絡新婦 est donc un yôkai mi-femme mi-araignée, dont les kanji peuvent avoir deux significations différentes : « l’araignée prostituée » ou la « mariée emmêlée ». Toutes les araignées ne deviennent pas yôkai, comme pour beaucoup de créatures du folklore japonais, c’est avant tout une question d’âge et chez les jorôgumo, il faut attendre 400 ans pour en devenir un.
On trouve ce yôkai représenté pour la première fois dans l’ouvrage de Toriyama Sekien intitulé Gazu Hyakki Yagyô 画図百鬼夜行, soit « La parade nocturne illustrée des cent démons ». On y voit alors une créature avec le haut du corps d’une femme et le bas du corps d’une araignée. En réalité, on voit seulement qu’elle possède des pattes d’araignée, car elle porte un long kimono.

Dans la plupart des représentations datant de l’époque d’Edo, elle porte toujours ce long kimono, qui lui sert à cacher son bas du corps d’araignée, ce qui est plus pratique pour séduire de jeunes hommes… Dans les représentations beaucoup plus modernes (jeux vidéo, manga…), la jorôgumo apparaît davantage avec le haut du corps (partie humaine) dénudé.
Fait amusant, ou non, sur cette illustration on la voit également contrôler des bébés araignées crachant du feu… Ces bébés araignées lui sont particulièrement utiles pour brûler les maisons de ceux qui s’apprêtent à découvrir son terrible secret.
Séduire les hommes pour ensuite les dévorer
Il y a principalement deux genres d’histoires entourant la jorôgumo. Dans le premier, il s’agit d’une magnifique jeune femme qui aime séduire des jeunes hommes. Pour les attirer, elle emploie d’ailleurs de grands stratagèmes et leur fait souvent croire qu’elle est enceinte d’eux, sûrement parce que son bas du corps d’araignée ne se cache pas si facilement, même sous un long kimono.
Une fois attirées chez elle, la jorôgumo a une façon très particulière de tuer ses proies. Elle commence par leur administrer quotidiennement une dose de poison qui les tue à petit feu, puis une fois les victimes mortes, elle les dévore.

Une fois qu’une jorôgumo est démasquée, ce qui peut prendre de nombreuses années, on retrouve alors dans le grenier de sa maison de nombreux ossements humains… Mais comment la reconnaître ? Pour démasquer un kitsune, un renard du folklore japonais qui aime se déguiser en humain, on dit qu’il faut chercher sa queue cachée sous son kimono.
Eh bien là c’est pareil, il faut chercher des signes de sa moitié araignée bien cachée sous son long kimono, mais faites bien attention, car si la jorôgumo se rend compte que vous avez des soupçons, elle n’hésitera pas à envoyer ses bébés cracheurs de feu pour qu’ils mettent le feu à votre maison…
Enfin, les autres histoires autour de la jorôgumo font d’elle une créature qui vit près des cascades. C’est ici qu’elle s’en prend aux hommes qui viennent se reposer près de ses eaux fraîches, en utilisant un stratagème plutôt bien ficelé… C’est d’ailleurs le cas de la légende de la cascade de Jôren.
La légende de la cascade de Jôren
Située dans la ville d’Izu (préfecture de Shizuoka), la cascade de Jôren 浄蓮の滝 mesure 25 mètres de haut et fait partie des 100 plus belles chutes d’eau du pays. Ses eaux tombent en faisant un bruit assourdissant et se jettent dans un bassin de 15 mètres de profondeur.
Selon la légende, un jour un homme qui travaillait dans un champ voisin vint se poser au bord de la cascade. Il aperçut alors une araignée qui enroulait un fil autour de sa jambe pour le relier ensuite au bassin de la cascade. Comme il devait partir, mais ne voulait pas gâcher le travail de l’araignée, il retira le fil avec attention et le plaça autour d’un arbre.
C’est alors que le tronc d’arbre disparut avec fracas jusqu’au bassin d’eau où il fut englouti en un instant… Réalisant ce qui a failli lui arriver, l’homme s’enfuit à toutes jambes pour rejoindre son village et prévenir les habitants qui décidèrent de ne plus jamais aller près de la cascade.

Quelques années plus tard, un bûcheron venant d’un autre village passa près de la cascade où il fit tomber sa hache dans l’eau. Il plongea alors pour la retrouver, mais en vain. En remontant à la surface, il aperçut alors une magnifique jeune femme, tenant sa hache. Elle accepta de la lui rendre, mais en échange il ne devait jamais parler d’elle, sous peine de mourir…
Une fois arrivé au village, il fit rapidement le lien avec ce qui venait de lui arriver en entendant des histoires sur la cascade et la jorôgumo qui y vivait… Puis un jour, alors qu’il était ivre, il raconta malheureusement sa rencontre avec la jorôgumo au pied de la cascade et mourut dans son sommeil le soir même… Selon une autre version de cette légende, le bûcheron tomba en réalité amoureux de la belle jeune femme, sans savoir qu’elle était une jorôgumo, et revint la voir chaque jour, ce qui eut pour effet de l’affaiblir physiquement.
Le moine d’un temple situé à proximité de la cascade essaya de lui faire retrouver la raison en lui révélant la véritable nature de la jeune femme, mais en vain. Ce dernier finit par se rendre à la cascade pour rejoindre la belle jeune femme, mais se retrouva alors piégé par une toile d’araignée et disparut à tout jamais.
À Kashikobuchi, dans la ville de Sendai (préfecture de Miyagi), on trouve une version similaire de la légende de la cascade de Jôren. Selon cette histoire, un jour un pêcheur se reposa après avoir trouvé une rivière où le poisson y était abondant. Il remarqua alors une araignée tissant une toile autour de sa jambe et décida de l’enlever pour l’accrocher à un arbre.
C’est alors que l’arbre disparut dans la rivière et le bûcheron entendit une voix sortir de l’eau disant : « malin, malin ». Il partit alors raconter son histoire aux habitants qui se méfièrent ainsi de la rivière.
Dans cette histoire, même si les habitants craignaient la jorôgumo qui vivait ici, ils la vénéraient également. Il est en effet courant au Japon de vénérer des kami ou yôkai perçus comme mauvais, pour justement les apaiser et éviter leur colère. La jôrogumo est alors vénérée ici comme une divinité qui protège des noyades, on trouve d’ailleurs une pierre la mentionnant près de la rivière.
Messieurs, vous voilà désormais avertis contre un danger qui vous guette au Japon !
– Claire-Marie Grasteau
Image d’en-tête : Estampe « Sous la Cascade« , par Adachi Ginko





















































