L’Égypte ancienne est indissociable de l’image des momies quand bien même d’autres peuples ont aussi pratiqué ce rituel funéraire. On peut citer les Incas, les Aztèques ou les Tibétains. Moins connus cependant sont les momies Sokushinbutsu du Japon. Il s’agit d’un procédé de momification unique car, contrairement aux peuples précédemment cités qui procédaient à l’embaumement des morts, au Japon cette momification faisait l’objet d’une longue préparation du vivant même de la personne !
Une pratique bouddhiste « radicale »
La présence de ces momies se concentre dans la région du Tôhoku, plus précisément dans les préfectures de Fukushima et Yamagata. Elle est le fait de moines bouddhistes de la branche Shingon fondée au IXème siècle. Selon leur croyance, son fondateur, Kôbô-Daishi, est mort figé dans la posture d’une éternelle méditation sans que son corps ne se décompose après s’être volontairement retiré dans une grotte du mont Koya et avoir cessé de s’alimenter et de boire. Par la suite, des moines shingon de Yamagata essayèrent de parvenir au même résultat dans le but d’élever leur âme et d’atteindre l’illumination. Comme dans de nombreuses autres religions, le fait qu’un corps ne se décompose pas après la mort revêt un caractère surnaturel, attestant que la personne a été touchée par une grâce divine.
Ces moines durent tester différents procédés avant de trouver celui qui permettait d’atteindre l’état qu’ils nommaient « Sokushinbutsu » et de transcender la mort elle-même, d’une certaine manière. Si le Bouddhisme révérait certaines formes de suicide religieux pour atteindre le paradis du Bouddha Amida ou accéder à une meilleure réincarnation, le gouvernement japonais interdit ce rituel à la fin du XIXème siècle (bien qu’il continua jusqu’au début du XXème siècle). De nos jours, plus aucune secte bouddhiste n’approuve ni ne se livre à cette pratique au Japon.
Le chemin pour devenir « Sokushinbutsu » nécessitait de longues années de préparation en amont de la mort et l’aspirant-momie devait faire montre de ténacité et d’une dévotion religieuse puissante pour compléter le processus, dont le résultat n’était jamais garanti ! Sur plusieurs centaines de moines qui tentèrent l’expérience on ne recense au final que 24 momifications réussies entre le XIIème et le début du XXème siècle. Une momification ratée entraînant la décomposition « normale » du corps.
Recette pour devenir Sokushinbutsu
La première étape consistait en trois années d’une alimentation basée uniquement sur l’absorption de noix, de graines et de baies couplé à une activité physique intense. Soumis à un tel régime, le moine perdait beaucoup de poids, éliminant toute graisse qui aurait entraîné la putréfaction des tissus après la mort. Puis, pendant encore trois années, le moine se soumet à un autre régime, fait d’écorces et de racines de pin, dans le but d’assécher son corps cette fois (l’humidité favorisant la décomposition). Des analyses aux rayons X ont montré que des moines avaient aussi ingéré des pierres de rivières.
Pour se protéger contre les bactéries qui s’attaquent au corps après la mort, le moine rend son organisme toxique en buvant pendant les dernières années un thé concocté à partir de la sève d’un arbre, l »urushi », sève qui donne la fameuse laque japonaise. L’absorption de ce thé provoquait aussi des vomissements, accélérant le processus de déshydratation de l’organisme. En dernier lieu, le moine s’enterre vivant, assis dans la position du Lotus, dans une étroite tombe en pierre ne comportant qu’un tube de bambou pour respirer et une clochette qu’il actionnera tous les jours pour signaler qu’il est toujours en vie. L’exiguïté de la tombe et la pierre empêchent la présence d’une trop grande quantité d’oxygène qui contribuerait à la dégradation du corps.
Lorsque la cloche ne sonne plus, les moines scellent le tombeau. Ils ne le rouvrent que trois années plus tard pour vérifier si la momification naturelle a eu lieu. Si c’est un échec, ils pratiquent un exorcisme et referment définitivement la tombe. En cas de réussite la momie est placée dans un temple pour être exposée et honorée. On rend également hommage à ceux qui échoués dans leur tentative pour saluer leur abnégation. Si le corps ne s’était pas décomposé mais n’était pas encore totalement momifié, on pouvait « finir » la momification en l’exposant à de la fumée d’encens.
Admirer ces momies en 2020
Il est possible d’admirer 16 de ces momies conservées et vénérées dans des temples du Tôhoku. La plus connue est celle du moine Shinnyokai Shonin du temple Ryusui-ji Dainichibou à Tsuruoka, un lieu qui a vu la réussite de la plupart des momifications en raison pense-t-on, d’un taux élevé d’arsenic présent dans une source locale. Le temple Kanshu-ji à Asakawa dans la préfecture de Fukushima expose dans une boite dorée la momie du moine Arisada Hoin, vieille de 330 ans, assise dans la position du Lotus et revêtue d’un kimono rouge. D’autres momies sont conservées au temple Nangakuji dans la banlieue de Tsuruoka, au temple à Zoukou-ji à Shirataka ou encore au temple Kaikoji à Sakata.
Autant dire qu’une drôle d’ambiance flotte dans l’air face à ces corps conservés pratiquement pour l’éternité. Car c’est un peu le but de la pratique, toucher à une forme d’immortalité par le détachement du corps et de l’esprit. Mais paradoxalement, leurs restes font l’objet d’une étrange dévotion. Radical ? Qui sommes nous au fond pour le dire…
S. Barret
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