Quand il est question de l’histoire du Japon, certaines périodes sont plus citées que d’autres comme l’époque Heian, celle de l’unification du pays qui déboucha sur la paix d’Edo ou encore la Restauration Meiji. Le roman historique de Marion Delarbre, « Le faiseur de Shogun » nous donne l’occasion d’explorer une époque moins souvent mise en avant : celle de la guerre civile d’Ônin, dans un Japon féodal loin d’être unifié. Présentation.

Contexte historique

La guerre d’Ônin 応仁の乱 ravagea le Japon à la fin de l’époque Muromachi (1333-1573) durant une décennie, entre 1467-1477. Elle marqua un tournant décisif dans l’histoire du Japon. Le pays, plongé dans l’instabilité, ne s’en relèverait complètement qu’un siècle plus tard.

Tout commença sous le règne du huitième shogun Ashikaga, Ashikaga Yoshimasa (1435-1490), un homme plus passionné par les arts et la culture que par l’exercice du pouvoir. Incapable d’imposer son autorité, il laissa son gouvernement aux prises avec des luttes d’influence de plus en plus vives, avec le risque d’une guerre totale. La question de sa succession fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Le shogun avait initialement désigné son frère, Ashikaga Yoshimi (1439-1491) pour lui succéder. Mais la naissance inattendue de son propre fils, Yoshihisa (1465-1489), dont il fit son hériter, bouleversa l’équilibre fragile du pouvoir.

Deux camps se formèrent alors, opposant deux clans déjà rivaux. Celui des Hosokawa, dirigé par Hosokawa Katsumoto, qui soutint Yoshimi. Et celui des Yamana, mené par Yamana Sôzen (aussi beau-père de Hosokawa Katsumoto), qui défendit la légitimité du jeune Yoshihisa. Les tensions culminèrent en 1467, lorsque les partisans des deux camps levèrent leurs armées (80 000 hommes pour les Yamana, et 85 000 pour les Hosokawa) et s’affrontèrent au cœur même de Kyoto.

La ville, théâtre de violents combats, devint un champ de ruines, incendiée et pillée sans relâche par les troupes rivales. La guerre ne tarda pas à s’étendre aux provinces alentour, divisant les grands seigneurs du pays, chacun cherchant à tirer profit de la situation pour asseoir son autorité.

Grande bataille tirée des archives de la guerre d’Ônin (Ôninki ôgassen) par Utagawa Yoshitora, 1847-1852. ukiyo-e.org

Bien que les chefs des deux clans, Hosokawa Katsumoto et Yamana Sôzen, trouvèrent la mort en 1473, le conflit ne s’éteignit pas pour autant. Les hostilités, désormais menées par des seigneurs féodaux poursuivant leurs propres ambitions, continuèrent à ravager le pays, tandis que le shogun, impuissant, assistait à la désintégration de son autorité. Après dix années de guerre, le conflit s’éteignit de lui-même, non par une victoire décisive d’un camp sur l’autre, mais par l’épuisement général des forces en présence.

Mais les cicatrices laissées par cette décennie de chaos allaient marquer durablement l’histoire du Japon. L’autorité du shogunat Ashikaga, déjà vacillante, s’effondra totalement, laissant place à un pays morcelé, en proie à une longue guerre civile. De la guerre d’Ônin découle ainsi l’époque Sengoku 戦国時代 (époque des provinces en guerre) qui verra les seigneurs daimyos s’affronter pour la domination du Japon. Elle s’achèvera en 1573 avec la destitution du quinzième et dernier shogun Ashikaga (Yoshiaki) par Oda Nobunaga, le premier des trois unificateurs du Japon (avec Toyotomi Hideyoshi puis Tokugawa Ieyasu).

Le faiseur de Shogun

Le roman de Marion Delarbre débute alors que l’héritier du clan Hosokawa, Masamoto (désigné sous le nom Sômeimaru avant sa majorité), est encore un enfant. Grandissant dans une époque troublée, il va devoir endosser des responsabilités qui dépassent son jeune âge, pour le bien de son clan.

Hosokawa Masamoto, le héros du « Faiseur de Shogun ». Wikimedia Commons.

Alors qu’il est âgé d’à peine huit ans, son père Hosokawa Katsumoto décède de maladie, ce qui l’oblige à assumer les responsabilités d’un chef de clan quand bien même sa propre éducation n’est pas terminée. Dès sa nomination à ce poste – non sans quelques contestations familiales – le jeune garçon se retrouve plongé au cœur de manigances politiques, d’ambitions dévorantes, de luttes de pouvoir, dont il va devoir rapidement comprendre les rouages.

Pour naviguer dans ce dangereux océan d’intrigues, il pourra compter sur le soutien de son tuteur Masakuni, de son précepteur Tomotsune et de fidèles vassaux (Motoie, Motosada, Motonaga). Cousin et ami d’enfance du jeune Yoshihisa, il bénéficie de sa confiance et de son estime. Le shogun Ashikaga Yoshimasa, désirant se retirer, annonce le jour de la cérémonie d’entrée dans l’âge adulte de son fils que Yoshihisa, 9 ans, lui succède. Dès lors, l’avenir du pays reposera entre leurs très jeunes mains. Des années plus tard, Masamoto, devenu adjoint militaire du shogun à sa majorité, participera activement à ce que l’idéal d’unification du Japon de Yoshihisa se réalise. Celui-ci pense qu’un ennemi commun scellera une réconciliation nationale entre les seigneurs et le shogunat. C’est pourquoi il lance une expédition militaire contre un gouverneur rebelle, Rokkaku Yukitaka.

La liste des personnages vous sera d’une soutien indéfectible !

Ce premier tome d’une série de trois se concentre sur les efforts de Hosokawa Masamoto et de Yoshihisa pour ramener la paix au Japon mais en pleine campagne militaire, la maladie fauche le jeune shogun de 24 ans qui meurt sans héritier. Le titre passera à son cousin Ashikaga Yoshiki, contre l’inclination de Masamoto pour un autre candidat, Kôgen-in Seikô. Malgré cette déconvenue qui le place dans le camp des adversaires du nouveau shogun, Masamoto gardera à cœur de poursuivre le rêve de Yoshihisa d’unifier le pays. Les pièces sont dès ors en place pour les tomes suivants.

Le personnage de Hosokawa Masamoto constitue l’axe central de l’histoire. C’est autour de lui que le récit progresse et que le lecteur le suit. Faire débuter le roman alors le héros est encore enfant permet d’introduire subtilement le contexte historique et ces enjeux, les différentes figures politiques d’importance gravitant dans son entourage et les actions menées comme certaines notions culturelles de l’époque. Ainsi, le lecteur intègre ces éléments en même temps que le personnage. Et l’écueil de lourdes scènes d’exposition est évité.

Dans le même esprit, la narration du Faiseur de Shogun privilégie le dialogue. Cette forme permet d’éviter l’abstraction d’un texte uniquement descriptif. D’autant que l’univers du roman est riche d’une multitude de personnages historiques dont les noms peuvent être très proches.

D’ailleurs, pour ne pas rebuter le lecteur et au contraire l’aider à s’y retrouver plus facilement, une fiche détaillée est fournie avec le roman. De plus, faire interagir les protagonistes principalement par dialogue les humanise et les rapproche du lecteur : ils lui paraissent plus vivants et on se sent davantage impliqué dans leurs actions.

On regrette par contre l’absence de carte pour mieux visualiser l’attachement territorial des divers personnages (et les conflits que cela engendre) d’autant plus dans un Japon féodal dont les noms des localités ont changé depuis.

Grâce à ces choix narratifs habiles, Le faiseur de Shogun se parcourt avec fluidité. On s’attache rapidement au héros Hosokawa Masamoto dont on partage les sentiments, les doutes, les humeurs. Même si le dénouement historique de l’intrigue est connu, on se prend à attendre fébrilement la suite des évènements romancés de la petite histoire dans la grande, pour connaître la manière dont ‘notre’ Masamoto les affrontera. Et une fois le roman refermé, on tourne d’ores et déjà notre regard vers les deux tomes à venir.

Le faiseur de Shogun – Tome 1 : L’héritier du clan Hosokawa de Marion Delarbre est publié par les éditions Centon.

S. Barret