En mars 2017, le gouvernement japonais entamait une politique de retour pour les « réfugiés de Fukushima » habitant dans des zones où la contamination radioactive est estimée faible par les autorités. Problème : selon l’ONU, la radioactivité de ces zones serait encore trop élevée et dangereuse pour y vivre à long terme, ce que le gouvernement japonais réfute. Sur place, une école pour les jeunes enfants a même ré-ouvert ses portes.
Après la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011, le gouvernement japonais a fait évacuer 160 000 personnes de la région autour de la centrale. Des travaux de décontamination des sols ont été entrepris rapidement pour que les zones les moins touchées par la radioactivité puissent être repeuplées. Un enjeu de taille pour un pays qui a tout misé sur le nucléaire en dépit des risques liés à son sol instable. C’est en mars 2017 que le gouvernement a décidé d’inciter les habitants au retour dans les zones qu’il a décrétées sans danger pour la santé.
Des aides au relogement qui étaient versées à 27 000 évacués volontaires (c’est à dire de zones non désignées comme zones d’évacuation forcée) ont été coupées pour inciter les bénéficiaires au retour. Des habitants qui, pour une part significative, ne font pas confiance aux paroles rassurantes du gouvernement et aux déclarations de Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima. Certains, désormais incapables de payer le loyer de leur relogement, sont retournés sous la contrainte économique dans une région potentiellement dangereuse. D’autres, ceux qui en ont le choix, ont refusé de partir, entamant une bataille judiciaire avec le gouvernement et la compagnie d’électricité. Sur place, les sacs de terre contaminée s’accumulent à perte de vue.
Si la question du retour des habitants de Fukushima est si importante pour le gouvernement, c’est avant tout pour une question d’image auprès de la communauté internationale alors que le Japon va accueillir les Jeux Olympiques en 2020. Repeupler les zones évacuées est un moyen pour le gouvernement japonais d’affirmer sa totale maitrise de la situation mais également son choix de soutenir cette industrie en dépit de l’accident. Par opposition, conserver des zones inhabitables comme à Tchernobyl sonnerait comme un aveu d’échec. L’enjeu est également international, alors que de nombreux pays voient leur parc nucléaire vieillir dramatiquement, avec le choix politique risqué de rallonger leur durée de vie au prix d’investissement colossaux.
Mais au Japon, malgré les campagnes de communication du gouvernement en faveur du retour des populations évacuées, la méfiance subsiste. Dans une enquête menée en avril 2017 par la préfecture de Fukushima, 80% des évacués volontaires qui se sont installés dans d’autres départements du Japon ont indiqué qu’ils n’avaient pas l’intention de retourner chez eux. Des « réticents » qui trouvent leurs craintes aujourd’hui renforcées par les récentes déclarations de l’ONU ou de Greenpeace.
Pour Shaun Bernie, un spécialiste du nucléaire chez Greenpeace, le gouvernement japonais minimise le risque sanitaire pour sa population afin de préserver l’image d’un État qui garde la situation sous contrôle. Un gouvernement conservateur-libéral qui avait déjà menti à ce sujet pour obtenir les Jeux Olympiques : À Buenos Airs en septembre 2013, le Premier Ministre Shinzo Abe avait fait le serment devant le CIO que la situation à Fukushima était sous contrôle, ce qu’il avait par la suite avoué être un mensonge de sa propre bouche. De telles démonstrations ne sont pas pour inspirer la confiance des Japonais dans les déclarations des autorités sur la réalité du terrain à Fukushima.
Autre point sur lequel les autorités nippones sont critiquées : le relèvement du niveau officiel d’exposition annuel à la radioactivité jugé acceptable pour un adulte. Il était de 1 millisievert (selon les recommandations de la Commission internationale de protection radiologique) avant la catastrophe pour augmenter à 20 millisieverts. À titre de comparaison, il s’agit du taux maximum pour les travailleurs du nucléaire en France. Un changement de règle qui permet aux autorités de déclarer par un tour de passe passe politique de nouvelles zones habitables. Ceci a pourtant eu pour effet de faire monter la méfiance de la population envers ses dirigeants comme l’a relevé Timothy Jorgenson. Pour ce professeur agrégé de radiothérapie à l’Université de Georgetown, le gouvernement gagnerait à informer honnêtement ses citoyens sur les risques sanitaires encourus selon les doses de rayonnement reçues et les laisser décider eux-mêmes de retourner dans leur ancien foyer plutôt que de les y forcer.
« 75% de la préfecture de Fukushima est constituée de forêts. Le gouvernement a décidé de ne pas décontaminer les forêts qui resteront dangereuses et inaccessibles pour de nombreuses décennies. »
Sur ce sujet, le 25 octobre, Baskut Tuncak, un expert rapporteur de l’ONU, s’est déclaré très inquiet devant le refus du Japon de réviser son niveau acceptable de radiation jugé trop haut par l’ONU. L’expert demande aussi d’arrêter le rapatriement des femmes susceptibles d’être enceintes et des enfants – plus sensibles aux radiations que la moyenne – dans des zones potentiellement dangereuses exposant les plus jeunes et les bébés in-utero au cancer. Il insiste sur la responsabilité de l’État en la matière : « Le Japon a le devoir de prévenir et de minimiser l’exposition des enfants aux radiations ». Baskut Tuncak pointe enfin le fait que de nombreuses personnes se sentent « obligées de revenir dans des lieux non sûrs, y compris ceux où les niveaux de radiation sont supérieurs à ceux que le gouvernement considérait auparavant comme sûrs« .
Mais le gouvernement japonais a rejeté les conclusions du rapporteur de l’ONU dès le lendemain, arguant via un responsable du ministère des Affaires étrangères que ces conclusions étaient basées sur « des informations partiales et qu’elles risqueraient d’entretenir inutilement les craintes sur Fukushima ». Les enjeux économiques colossaux que représente la renaissance de Fukushima rentrent-ils en ligne de compte dans ces décisions ? Visiblement, les autorités sont bien décidées à rendre de nouveau « habitables » des zones sinistrées dans les cinq années à venir. Pour pousser au retour des habitants, les aides au relogement versées aux réfugiés des zones d’évacuation obligatoire seront progressivement coupées d’ici 2020, plongeant des milliers de personnes soit dans la précarité, soit dans les radiations.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=9&v=PTAIPhMRMjc
Des réfugiés, qui de leur côté sont décidés à ne pas se laisser faire et se sont organisés en groupes de défense soutenus par Greenpeace Japan et Human Rights Now (une ONG tokyoïte) pour le maintien des aides au logement à tous les réfugiés et le droit de décider librement de leur lieu de vie. D’autre part, environ 12 000 réfugiés ont porté plainte contre le gouvernement et Tepco. Ils peuvent compter sur trois précédentes victoires judiciaires aux cours desquelles Tepco & le gouvernement avait été condamnés à indemniser les plaignants pour leur négligence en matière de prévention des risques de fusions nucléaires. En effet, seuls les bons côtés du nucléaire furent longtemps communiqués à la population. Sans de rares médias alternatifs et associations, les japonais doivent souvent se contenter de la communication officielle.
À moins d’un revirement des autorités, le bras de fer entre le gouvernement et les réfugiés de Fukushima risque de s’éterniser encore quelques années, tout en empoisonnant la confiance de la population envers des dirigeants qui préfèrent sacrifier leur santé pour présenter au monde le visage d’un Japon ayant vaincu la catastrophe nucléaire alors même que personne n’est dupe. Notons enfin une information capitale : 75% de la préfecture de Fukushima est constituée de forêts. Le gouvernement a décidé de ne pas décontaminer les forêts qui resteront dangereuses et inaccessibles pour de nombreuses décennies. Sur place, certains ont pourtant le goût du risque. Le groupe japonais Nissan, par exemple, a décidé d’implanter un site de recyclage des batteries de ses voitures électriques à Namie, une zone proche de la centrale décrétée « ville interdite ». Des ouvrier y vivent une existence « normale » en toute insouciance. Jusqu’ici, tout va bien.
S. Barret
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Sources : amp.scmp.com / csmonitor.com / qz.com / lefigaro.fr