Il est estimé qu’environ 4,6 millions de personnes au Japon vivent avec une démence, dont la maladie d’Alzheimer est la cause la plus fréquente. « N’oublie pas les fleurs » traite des ravages de la maladie d’Alzheimer dans le quotidien d’une famille japonaise, entraînant une relation houleuse entre une mère et son fils. Entre remords, flash-back et regrets, ce film dramatique japonais nous enveloppe d’une émotion belle et feutrée qui risque de vous faire perdre une larme…
N’oublie pas les fleurs est le premier film de Genki Kawamura, adapté de son propre roman éponyme disponible en France chez Pocket. On y suit Izumi, qui, le soir du nouvel an, retrouve sa mère Yuriko, professeure de piano, errant dans un parc par un froid glacial. Quelques mois plus tard, elle est diagnostiquée comme souffrant d’Alzheimer et sa mémoire se met à décliner rapidement. Alors qu’il s’apprête lui-même à devenir père, Izumi doit prendre soin de sa génitrice, même s’il éprouve de grandes difficultés à lui pardonner certaines décisions passées…
Quand le vide prend trop de place
Le long-métrage est une véritable plongée brutale dans le quotidien d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Il y a d’abord la détresse de Yuriko qui prend conscience de sa maladie et qui s’y prépare. Elle voit ses symptômes évoluer et a conscience qu’elle perdra peu à peu la mémoire. Dans les premières minutes, la mise en scène s’amuse des réalités pour nous montrer par l’image à quoi peut ressembler celle des personnes souffrant de ce mal. On se perd dans un labyrinthe de répétitions d’évènements, comme coincé dans un cercle infernal qui nous fait refaire encore et encore les mêmes gestes.
C’est dans ces moments d’angoisse que le réalisateur se montre le plus astucieux et le plus intéressant pour nous faire entrer dans la tête de ceux dont le monde prend des tournures d’un illogisme perturbant. La malade se retrouve enfermée dans des boucles temporelles qui jouent encore et encore les mêmes partitions mais en les mélangeant à travers les moments de sa vie. Réalités et souvenirs s’entremêlent et nous voilà aussi, spectateur, aussi paumés qu’elle. Chaque geste y devient alors la réminiscence d’un monde qui n’existera bientôt plus. Les rares moments de lucidité rendent alors les vérités encore plus fortes. Il ne faut plus perdre une seconde pour se dire les choses.
Ces notes qui manquent
Le film nous expose également comment la maladie avance dans la psychologie de ceux qui en souffrent et qui, bien malgré eux, doivent se préparer à l’inévitable gouffre qui les attend. Avant cela, tout est bon pour se raccrocher à la réalité qui est la leur et qui, petit à petit, va disparaître. Le réalisateur utilise justement plusieurs scènes qui vont et qui reviennent avec, à chaque fois, cette nouvelle perspective à travers les yeux de Yuriko. Même choisir un biscuit dans une assiette peut ainsi se transformer en véritable épreuve. Le monde se délite autour d’elle et Izumi a beau s’y préparer, il sait que le moment viendra où sa mère le regardera dans les yeux et lui demandera « Qui êtes-vous ? ». Un constat terrible et inévitable mais pour le jeune homme, le problème est pourtant ailleurs.
N’oublie pas les fleurs ou l’effacement des maux de cœur
Izumi a en effet beaucoup de rancœurs envers sa mère. Elle lui a fait subir des événements terribles dans sa jeunesse et il n’arrive pas à lui pardonner. Ainsi, leur relation est assez froide car il ne veut pas lui montrer plus d’amour qu’il pense qu’elle mérite. Pire, il voit même la maladie de sa mère comme une fuite en avant malgré elle. Car lui ne veut pas qu’elle oublie ce qu’elle lui a fait vivre. Pourquoi aurait-elle cette « chance » alors que lui devra continuer à ressasser les mauvais souvenirs ?
« N’oublie pas les fleurs » nous montre pourtant que cette épreuve va avoir une conséquence qu’il n’attendait pas. Car, oui, le Japonais a vécu de difficiles moments avec sa génitrice mais ils en ont aussi partagé de très beaux. Cependant, Izumi les a mis de côté pour se focaliser sur les moins réjouissants et va s’apercevoir que sa mère a fait le contraire. Cette maladie finalement les rapproche là où les remords les avaient séparés.
Quant aux détails qui passaient comme invisibles aux yeux du fils, ils vont tout à coup réapparaître teintés d’un voile d’évidence. Comme une mélodie oubliée qui se rappelle à lui et qu’il retrouve l’envie d’écouter. Certains détails qui semblent insignifiants à ses yeux ne le sont pourtant pas. La présence sur une table de cuisine d’une simple fleur peut justement avoir plus de sens que de longs discours, en plus de donner un beau titre poétique à ce film.
N’oublie pas les fleurs est un long-métrage émouvant qui traite le dur sujet de la maladie d’Alzheimer avec pudeur, saupoudrant le drame de moments lumineux. Vu l’étendue de la maladie dans le monde et la grande difficulté de la comprendre pour les personnes qui n’en souffrent pas, on ne pourra que vous conseiller de voir le film qui porte en lui également un coté éducatif. En filigrane, il se penche sur la difficile tâche qu’est celle d’éduquer et d’élever un enfant, nous confiant au détour d’une scène une phrase que personne ne devrait jamais oublier : « Être parent ne veut pas dire qu’on doit être irréprochable. ».
Distribué par Eurozoom qui nous offre un nouveau beau film japonais après Plan 75, N’oublie pas les fleurs est à découvrir au cinéma en France depuis le 1er mars.
Stéphane Hubert