Il y a quelques décennies, Kaneto Shindō signa un chef d’œuvre de l’angoisse avec « Onibaba ». Un film qui nous rappelait que l’homme est bien le pire des démons à avoir depuis toujours foulé la Terre.
Onibaba est un film de Kaneto Shindō, sorti au Japon en 1964.
L’histoire se déroule au XIVe siècle, au Japon, alors qu’une guerre entre les samouraïs ruine le pays. Pendant que Kichi combat, sa mère (Nobuko Otowa) et sa femme (Jitsuko Yoshimura, prix de la meilleure actrice dans un second rôle lors de la cérémonie des Blue Ribbon en 1965) survivent difficilement en traquant les samouraïs blessés pour les achever et vendre leurs effets au marché noir.
Toutes deux sont dévastées lorsqu’elles apprennent la mort de Kichi de la part d’un supposé compagnon d’arme nommé Hashi (Kei Satō). Ce déserteur ne laisse pas indifférent la veuve, ce que sa belle-mère ne manque pas de remarquer. Elle décide alors de mettre tout en place pour empêcher cette liaison.
Sublimes ténèbres

Si Onibaba a autant marqué les spectateurs, c’est avant tout pour sa beauté visuelle envoûtante. Ici pourtant règne la violence, les regards lourds de conséquences et la mort se cache partout. Le noir et blanc envoûte par la force de ses contrastes. C’est encore plus vrai dans la version restaurée en 4K que nous pouvons apprécier. Le long-métrage a d’ailleurs reçu le Blue Ribbon de la meilleure photographie pour Kiyomi Kuroda en 1965.
La mise en scène joue aussi avec le son, le bruit du vent et des cigales dans le silence de la nuit glaçant le sang. Violons lancinants. Étranges cris dans la nuit, sous la lueur de la lune qui voit tout. Les halètements de courses perdues sont ainsi bien plus efficaces que n’importe quel cri. Oui, nous avons peur car le danger semble toujours tapis dans l’ombre, près à sauter à la gorge du pauvre égaré qui aura le malheur de s’en approcher.
Shindō nous propose en plus un décor quasi unique. Il y a la hutte des deux femmes, celle de Hashi. Dehors, un ruisseau, une mer d’herbes hautes et un étrange trou. Cette économie de lieux renforce encore plus le sentiment que la mort est partout.
Cette terreur est d’autant plus forte qu’elle est finalement bien (trop) humaine.
Violence et peur

Contrairement à Kuroneko sorti 4 ans plus tard, le réalisateur prend ici son temps pour intégrer un élément de fantastique. Dans Onibaba, la peur vient en effet bien de l’homme dans toute sa noirceur. L’important, c’est de survivre à tout prix. Même un chien se transforme alors en festin. Et s’il faut enlever la vie d’une menace, qu’il en soit ainsi.
Onibaba donne ainsi une place aux plus bas instincts humains, les personnages étant à la fois cruels, désespérés et dans une grande détresse morale. Comme le dit la belle-mère dans une ligne de dialogue désarmante : « Je n’ai jamais rien vu de vraiment beau depuis ma naissance. » Un coup de massue sur nos têtes qui fait relativiser la dimension de nos problèmes quotidiens alors, qu’autour du monde, bien nombreux sont ceux qui pourraient reprendre cette phrase à leur compte à l’heure où sont écrits ces mots.
Et quand la faim et la peur tournent en boucle dans les esprits, la folie n’est jamais bien loin.
Onibaba : la nuit du masque

Une des images les plus emblématiques du film, c’est bien sûr ce masque de Oni terrifiant. Il se greffe sur le visage de mère éplorée de la vieille femme qui n’arrive pas à accepter que son fils soit mort. Et encore moins que sa belle-fille trouve une nouvelle couche aussi rapidement chez Hashi.
Alors elle revêt cet outil de terreur et se transforme en démon punitif de la morale. Nobuki Otawa est parfaite pour incarner cette femme souhaitant laver l’honneur de sa défunte progéniture. Kaneto Shindō s’amuse ainsi beaucoup à filmer celle qui fut son épouse à la ville et qui joua dans plus d’une dizaine de films du réalisateur.

Fort d’une esthétique noir et blanc somptueuse, Onibaba nous montre ce à quoi peut ressembler l’enfer sur Terre. Il pose aussi la question du vrai visage de l’Homme. Est-il celui qui est sous le masque ou ce dernier permet-il au contraire de révéler celui qui est le plus proche de notre vraie nature ?
Quelle que soit la réponse, le film de Kaneto Shindō se savoure et il est disponible en Blu-ray 4K chez Potemkine.
Stéphane Hubert

















































