Au Japon, on croise couramment des ensembles de petites statuettes en pierre dans les temples et sanctuaires ou au bord des routes. Souvent vêtues d’un bonnet et d’un bavoir généralement rouge, elles sont parfois accompagnées d’un moulin à vent coloré qui donne une touche de gaieté à cette atmosphère un peu triste. En effet, ces statuettes cachent souvent une histoire bien triste…
« Je ne deviendrai pas Bouddha avant que les enfers soient vidés »
Les statuettes Jizô sont avant toutes choses une des représentations d’un bouddha, Boddhisatva Ksitigarbha, plus couramment dénommé Jizô Bosatsu au Japon. Dans le bouddhisme, on peut désigner par le terme « Bouddha » tout être qui a réalisé l’éveil et atteint le nirvâna (la paix intérieure).
Un Boddhisatva a aussi atteint l’éveil, mais il retarde son entrée dans le nirvâna par compassion pour les humains sur qui il choisit de veiller (l’équivalent de l’ange-gardien ou d’un Saint en occident) et ce jusqu’à ce que toutes les âmes soient sauvées ! On leur attribue souvent cette phrase : « Je ne deviendrai pas Bouddha avant que les enfers soient vidés ».
Au Japon, Jizô Bosatsu est dédié en particulier à la protection des enfants et des voyageurs ce qui explique leur présence au bord des routes, des lieux de passage et aux carrefours auxquels on peut rattacher la symbolique du passage entre le monde réel et spirituel (souvenez-vous, l’entrée de Chihiro dans le monde des esprits…) ainsi que dans les temples et sanctuaires, lieux à la frontière du sacré et du profane.
Autrefois il était dangereux de voyager. On risquait facilement de rencontrer des bandits, de se faire délester de ses biens ou tout simplement de perdre la vie. Les voyageurs souhaitaient logiquement se placer sous la protection d’une divinité, dont le Jizô. Plus récemment, il est aussi devenu le protecteur des pompiers, les flammes d’incendies que ces derniers combattent s’assimilant aux flammes de l’Enfer. Ainsi, les statues de Jizô se sont disséminées un peu partout au Japon jusqu’à nos jours.
La perte tragique d’un enfant
Les Jizô, moines au visage poupin et habillés de vêtements d’enfants, sont plus précisément dédiés à la protection d’enfants mort-nés, victimes de fausse-couche ou morts en bas âge. Étant décédés avant l’heure, ils n’ont pas pu réaliser suffisamment de bonnes actions pour traverser le fleuve Sanzu et atteindre le paradis selon les préceptes bouddhistes.
Selon cette croyance, ces jeunes êtres sont condamnés à rester dans les limbes où ils doivent bâtir des piles de pierres pour leurs parents en pénitence du chagrin qu’ils leur ont causé par leur décès prématuré. D’où de telles piles souvent présentes près des statues, que les passants font pour les aider (sans lien avec un cairn nordique). Jizô veille sur ces âmes en peine, les protège des démons en les cachant dans ses manches et les guide pour qu’elles trouvent finalement la paix. Car n’oublions pas que l’univers spirituel japonais est aussi peuplé de puissants démons…
Confectionner des vêtements pour un Jizô et lui faire des offrandes de jouets permet de tisser un lien avec lui et d’acquérir des mérites pour une vie future. Souvent, c’est la mère qui a perdu son enfant qui vient vêtir le Jizô d’un bonnet et d’un bavoir pour que celui-ci n’ait pas froid dans l’au-delà.
Les parents d’un enfant ayant guéri d’une grave maladie vont aussi remercier Jizô en lui portant un présent. La couleur rouge domine ces dons car elle est associée à la protection et à l’enfance. Ce qui est étonnant, c’est que cette pratique, que l’on imagine ancienne, daterait en fait des années 1980 quand l’avortement s’est normalisé dans la société nipponne avec cependant une forte honte et un secret toujours bien gardé. Les sociologues voient dans ce phénomène la manifestation de la culpabilité et de la tristesse des femmes japonaises ayant avorté en secret.
Enfin, les Japonais associent également Jizô à la protection de la famille ; les femmes le prient pour tomber enceintes puis pour que leur grossesse se déroule sans problème. La famille et les enfants ayant une très grande importance dans la culture japonaise, en dépit du peu de naissances actuelles, c’est naturellement que Jizô est devenu la figure bouddhique la plus aimée des Japonais. Leur respect envers lui est tel que la petite ville de Nagato a pu enrayer un problème de déchets jetés dans la nature en plaçant simplement des statuettes de Jizô dans les endroits concernés. On ne badine pas avec les esprits…
Par extension, Jizô est aussi le gardien des défunts dont les tombes ont été oubliées, faute de famille pour les entretenir, et qui n’arrivent pas à atteindre le paradis. Des alignements de statuettes sont alors érigés dans les endroits où les tombes ont disparus pour symboliser et remplacer les prières des proches. On peut voir un tel ensemble à l’Abysse de Kanmangafuchi à Nikkô. Quand vous en croiserez sans doute lors de vos visites, parfois même au cœur de Tokyo, pensez-y ! Beaucoup d’amour et de peine se cache derrière chacune de ces statues…
S. Barret
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Sources : ancientpages.com / vivrelejapon.com / avenuedujapon.com / buddhachannel.tv / lemonde.fr