Le photographe français Romain Veillon nous propose de découvrir le Japon sous l’angle de l’urbex. Une discipline contemporaine qui consiste en l’exploration et la documentation de lieux abandonnés. Les amateurs d’urbex s’engagent à se rendre dans des endroits désertés par l’Homme sans les altérer, à laisser le moins de traces possibles de leur passage pour conserver l’authenticité du lieu au moment où il fut abandonné et les marques du temps qui l’ont par la suite envahies. L’occasion de jeter un regard différent sur le Pays du Soleil Levant.

Après avoir minutieusement documenté et préparé son voyage, Romain Veillon a parcouru trois semaines durant le Japon à la découverte de lieux insolites et propres à la culture nipponne. A travers son objectif nous plongeons alors dans l’atmosphère de parcs d’attractions délirants, un Love Hotel, un onsen, une salle de pachinko, une secte bouddhiste ou encore un surprenant atelier d’embaumement de serpents… Un voyage au sujet duquel l’artiste nous ramène des photographies étonnantes. Il a accepté de nous parler de son expérience et de ses ressentis. Rencontre.

Salle de Pachinko. Copyright ©Romain Veillon 2018

Dans combien de pays avez-vous pu pratiquer de l’urbex outre le Japon et bien sûr la France ?

Je ne les ai pas compté exactement mais une vingtaine je pense. Japon, Argentine, Brésil, Namibie, Guyane, Birmanie, Bali, un peu partout en Europe dont le plus souvent en Italie, Portugal, Irlande, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, et Allemagne…

(nous ne pouvons préciser les lieux exacts pour éviter qu’ils ne soient par la suite dégradés)

Copyright ©Romain Veillon 2018
Ryôkan abandonné. Copyright ©Romain Veillon 2018

J’imagine que quel que soit l’endroit et le pays, on retrouve des éléments, des sensations identiques, voir familières ?

En effet, même si les pays visités n’ont rien à voir entre eux (comme le Japon et la Guyane par exemple), je trouve que la sensation que l’on ressent lorsque l’on pénètre dans un endroit abandonné et, en partie au moins, oublié par l’homme est toujours à peu prés la même. On a toujours ce frisson quand on y pénètre en se demandant ce qui va bien pouvoir s’y cacher et comment il a évolué avec le temps (avec toujours une petite appréhension d’être arrêté). Ne lisant pas le japonais, la seule différence est qu’il m’était plus difficile de comprendre et de lire les écritures à l’intérieur de ces bâtiments et donc d’obtenir des petits témoins des vies passées auparavant dans ces endroits.

Ancienne école. Copyright ©Romain Veillon 2018

Vous connaissiez le Japon avant d’y pratiquer de l’urbex. Comment avez-vous découvert ce pays et qu’est-ce qui vous attirait dans son identité ? Dans quelle mesure ces connaissances ont-elles influencé votre travail en urbex sur place ?

Je connaissais le Japon à travers des documentaires, des articles ou le regard des autres. Mais je pense qu’il faut vraiment être sur place et « vivre » le Japon pour comprendre ce pays. J’étais de toute façon déjà conquis avant de partir donc je ne vais pas être très objectif en disant que c’est un des voyages qui m’a le plus marqué. Je l’ai découvert à travers ce voyage de trois semaines à la recherche de lieux abandonnés éparpillés un peu partout au Japon. Et c’est ce qui m’a le plus plu dès le début en réalité, de découvrir un Japon non touristique et réellement authentique.

Même si bien sûr j’ai consacré quelques jours à la fin du voyage pour découvrir les grands classiques Kyoto et Tokyo ; j’ai été comblé d’aller dans des villes où aucun touriste ne s’arrêtait jamais en temps normal. Ce qui permettait d’encore plus profiter de ce que j’aimais là-bas, c’est à dire les paysages urbains ou campagne, la nourriture, les temples et une autre façon d’appréhender la vie. Ces connaissances n’ont finalement pas eu d’influence sur mon expérience là bas étant donné que dans tous les cas les lieux sont vides et désertés et qu’on se retrouve seul pour essayer de retranscrire au mieux l’atmosphère qu’on éprouve en l’explorant. Peut-être juste que cela m’a facilité mes recherches dans un premier temps. Je connaissais depuis longtemps l’existence de Nara Dreamland et je rêvais d’y aller!

Nara Dreamland. Copyright ©Romain Veillon 2018

Par votre travail vous questionnez le rapport entre l’homme et son environnement, à la nature qui reprend sa place après son départ. A quelles observations spécifiques (ou non) à l’Archipel avez-vous abouties ?

Je savais déjà avant de partir que le Japon était un pays où une forte population était concentrée dans les villes et mégalopoles. J’y suis forcément passées au cours de ce voyage mais mon trajet m’a plutôt emmené dans des zones plus dépeuplés où j’ai trouvé des lieux délaissés. Dont quelques-uns où effectivement la nature reprend ses droits et recouvre lentement mais sûrement d’anciennes constructions humaines. Et j’en ai trouvés beaucoup, dont un grand nombre que je n’ai pas eu le temps de visiter. Ce qui est étonnant dans un pays à la recherche perpétuelle d’espace, c’est qu’il y a des endroits où l’on se sent oppressé par le nombre et d’autres totalement délaissés et oubliés ! Sinon, la nature reprenant ses droits est universelle et la même partout.

Un manège reconquis par la Nature. Copyright ©Romain Veillon 2018

Vous accordez beaucoup d’importance à la lumière. Outre son importance technique évidente pour réaliser un « beau » cliché, comment la choisissiez-vous du point de vue artistique ?

Tout va dépendre de la pièce où je me trouve, ainsi que de l’ambiance que j’y ressens et que j’ai envie de transmettre du lieu. L’avantage d’utiliser un trépied me permettant de moduler la force de la lumière rentrant dans la pièce ainsi que l’heure choisie pour effectuer le cliché me donnent plusieurs options. Après c’est une question de ressenti, j’essaie la plupart du temps d’éclairer la pièce pour essayer de lui « redonner vie quelques instants » mais aussi car ce sont des lieux tristes par nature et que je souhaite alléger cette impression.

Maison abandonnée. Copyright ©Romain Veillon 2018

Comment concilier la vision du passé d’un lieu avec son état présent au sein d’une même photo ? Cherchez-vous à ce que l’un domine l’autre ? Quels sont les éléments les plus importants à mettre en valeur ?

Pour tout dire, je n’y pense jamais ! Les deux se mélangent pour moi. Je montre un lieu abandonné comme si c’était une capsule dans le temps mais c’est notre imaginaire et les objets s’il en reste qui doivent nous pousser à se projeter pour savoir comment cela devait être quand la vie était encore présente dans le lieu. Quant aux éléments, je pense sincèrement que chaque visite est unique, et que donc il n’y a pas de formule toute faite. Un coup, cela va être l’architecture de la pièce, un autre les objets encore présents, le clair/obscur ou bien le lierre ayant dévoré une pièce.

Un ancien onsen. Copyright ©Romain Veillon 2018

Après des années à pratiquer l’urbex, l’expérience a-t-elle modifié votre manière d’aborder un lieu ? 

Non, je ne crois pas. Excepté peut être une plus grande prudence lorsque je rentre et que je les explore. J’essaie d’être plus discret aussi !

Secte bouddhiste. Copyright ©Romain Veillon 2018

En pénétrant dans un lieu vous déclarez être frappé par son histoire passée et son futur incertain. De ce fait, quelles émotions et réflexions espérez-vous susciter chez les personnes qui découvriront vos clichés ?

Les miennes, c’est à dire une certaine nostalgie et une envie de voir ses lieux renaître un jour. La tristesse et l’impuissance ressentie devant un lieu abandonné qui menace de disparaître totalement est une rengaine qui revient souvent lorsque l’on explore de tels endroits, surtout en ce moment mais j’ai l’impression que la prise de conscience grandit par rapport aux années passées. L’apparition des « Dartagnans » qui permet de racheter des châteaux en tant que communauté ainsi que le loto du patrimoine de Stéphane Bern montre pour moi l’attachement des Français à leur patrimoine architectural unique ainsi que des opportunités en terme d’emploi/argent que de tels endroits pourraient permettre s’ils étaient rénovés.

Serpents embaumés. Copyright ©Romain Veillon 2018

Après cette découverte de lieux abandonnés au Japon, votre regard sur ce pays a-t-il évolué ?

Pas trop. Je savais déjà que c’était un pays où les gens étaient très respectueux et que les lieux que j’explorerai n’auraient pas trop subi de dégradations à part celles du temps. J’en ai eu la confirmation. Certains lieux, comme des onsen, des love hôtel, certaines écoles ou ryokan traditionnels me marquent d’autant plus que nous ne pouvons pas en trouver en Europe. J’ai même photographié une ancienne secte qui commence à être très connue là bas et ravit tous les baroudeurs qui y vont se balader. C’est plus de voir de mes propres yeux un pays que je ne voyais qu’à travers des écrans qui m’a plu. Le simple fait de se promener et d’aller au restaurant est une expérience. Tout comme rencontrer des personnes âgées dans un mini village à moitié habité et perché dans les montagnes qui ne voit jamais de touristes! En tout cas, j’ai hâte d’y retourner, peut-être pour un peu plus de ‘tourisme’ cette fois. Si Tokyo m’a ébloui par son gigantisme, c’est plus vers la nature que j’aimerais me tourner (comme par exemple la forêt de Yakushima), ainsi que quelques jours à Hokkaido. Il reste tellement de « Haikyos » incroyables à photographier qu’il me faudra de nombreux voyages pour le faire !

Décadence d’un Love Hotel. Copyright ©Romain Veillon 2018
Alors que les tatamis et les shojis s’abiment petit à petit, on est saisi devant le bon état de conservation de cette peinture du dragon. Copyright ©Romain Veillon 2018

Merci encore à Romain Veillon d’avoir accepté de répondre à nos questions.

S. Barret


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Sources : romainveillon.com / instagram.com / échange avec R. Veillon

Source des photos : romainveillon.com /