Pendant longtemps, le Japon a exporté ses déchets plastiques en Chine où ils étaient incinérés ou recyclés. Le monde occidental ne s’en est également pas privé. Mais à la fin de l’année dernière, la Chine a soudainement décidé de refuser les déchets japonais et occidentaux. S’en débarrasser via l’exportation n’est plus possible par la Chine depuis plusieurs mois. En conséquence de quoi, les décharges débordent désormais dans un Japon non préparé à cette concentration des propres fruits de son modèle consumériste.
Nous avions déjà consacré un long article au culte du plastique au Japon. L’omniprésence du suremballage pour le moindre produit de consommation conduit fatalement à une quantité faramineuse de déchets plastiques dont il faut bien se débarrasser. Le Japon a bien mis en place depuis 1997 un système de tri sélectif mais ce dernier ne permet de recycler qu’un cinquième de ses déchets plastiques alors que la consommation annuelle de plastique dans l’Archipel monte à 9,64 millions de tonnes, en augmentation. Les déchets non traités au Japon étaient exportés à l’étranger dont plus de la moitié vers la Chine (72% en 2017), le reste vers des pays du Sud-Est asiatique. Le Japon est le second producteur mondial de déchets plastiques par habitant après les États-Unis mais alors que de plus en plus de pays ont pris conscience du drame écologique et se mobilisent pour réduire leur production et consommation de plastique, le pays du Soleil Levant reste à la traîne.
Overdose de plastique au rayon fruits & légumes du supermarché.
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Pendant des années, la Chine a accepté de servir de poubelle au Japon (et aux pays développés), achetant leurs déchets plastiques pour faire tourner ses usines de traitement. Mais désormais elles-mêmes confrontées aux déchets produits par une classe moyenne chinoise en pleine expansion, les autorités chinoises avaient annoncé en juillet 2017 la fin des importations de déchets étrangers. Des déchets japonais refusés par la Chine ont donc été en partie reportés vers la Thaïlande, l’Indonésie et le Vietnam. Un dérivatif provisoire car des pays d’Asie du Sud-Est (notamment la Thaïlande) envisagent d’interdire à leur tour l’import de ces déchets. Une « solution » sous le tapis qui ne règle d’ailleurs en rien le problème de la surproduction de plastique et sa pollution. Depuis la fin de l’année dernière, des déchets plastiques s’entassent donc dans les décharges japonaises mettant les municipalités face à un problème qui n’a pas été suffisamment anticipé.
Jeudi 18 octobre, le ministère de l’Environnement a révélé les résultats d’une étude sur la gestion des déchets plastiques menée entre janvier et juillet auprès de 122 gouvernements locaux et de 605 entreprises d’élimination de déchets. Sur cette base, 102 municipalités et 175 entreprises ont livré leurs données. Selon un quart des 102 municipalités, la quantité de déchets plastiques stockés dans les entreprises de récupération de déchets est en augmentation entre janvier et juillet 2018. Des dépassements de la limite légale de stockage ont été observés dans 5 municipalités, et 34 ont déclaré avoir du mal à trouver des lieux où entreposer leurs déchets. Face à ses débordements, des municipalités s’inquiètent de l’apparition de dérives illégales pour éliminer les déchets – notamment le dumping – même si le rapport du ministère de l’Environnement n’en fait pas état et que le gouvernement s’est déclaré vigilant sur la question.
Les conséquences d’une surconsommation de plastique qui n’est pas recyclé : leur accumulation dans les océans.
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Quant aux données transmises par les entreprises, elles ont révélé que l‘élimination des déchets plastiques a augmenté de 56% chez les transformateurs intermédiaires incinérant ou déchiquetant les plastiques et de 25% chez les transformateurs finaux qui enfouissent les déchets dans des décharges. Des pratiques qui ne font qu’aggraver la pollution des sols (par enfouissement) ou de l’air (par l’incinération qui relâche des produits toxiques). Et pour ne rien arranger, 34,9% des entreprises ont déclaré limiter ou envisager de limiter la quantité de plastique acceptée. Dès lors, que deviendront ces déchets refusés ? Assisterons-nous à l’apparition de décharges sauvages en plein nature ? La question peut se poser si aucune solution viable ne vient au jour.
Devant ce rapport accablant, il semblerait que le ministère de l’Environnement ait pris conscience de la gravité de la situation. Le ministère a ainsi déclaré vouloir réduire de 25% la quantité de déchets plastiques jetables d’ici 2030 (un chiffre insuffisant mais qui marque un pas dans la bonne direction). Et dans le même temps favoriser l’utilisation de bio-plastiques écologiques fabriqués à partir de plantes. Depuis 2007 existe un plastique végétal fait en polymères biodégradables créé par des chercheurs japonais. Son usage peut s’étendre des emballages aux produits électroniques. Que de temps perdu et de déchets accumulés avant la généralisation de cet eco-plastique ! Les autorités japonaises auraient aussi tout intérêt à s’inspirer de mesures déjà prises dans d’autres pays comme l’interdiction des sacs plastiques ou des objets à usage unique (couverts, pailles) ainsi que de mener des campagnes de sensibilisation auprès de sa population. Des mesures contre le suremballage dans les supermarchés gagneraient aussi à être prises. Et pourtant, on ne peut s’empêcher qu’à ce stade, la problématique est devenue structurelle : le modèle même de notre libre-marché mondialisé permet cette hyper-production de plastiques. Vouloir assainir un capitalisme sans dieu ni maître semble peine perdue.
Des internautes japonais se mettent à dénoncer en ligne l’absurdité de l’usage du plastique dans l’industrie alimentaire :
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Une petite exposition informe que chaque année, 300 sacs plastiques sont utilisés par client dans un supermarché. Une prise de conscience à porter au niveau national.
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Mais ce tragique épisode, qui ne semble alerter vraiment personne dans la population japonaise comme ailleurs (ou une très petite minorité d’individus éclairés), est également un rappel édifiant qu’un effondrement écologique peut-être rapide et incontrôlé, menant potentiellement à des déséquilibres géopolitiques futurs. En effet, le cas du plastique peut s’appliquer à d’autres problématiques plus périlleuses encore. Jusqu’ici, de nombreux pays se reposaient sur la Chine dans une insouciante totale. Tous avaient le sentiment que tout était sous contrôle.
En matière de climat, cette négation est dangereuse, voire criminelle. Nous savons que l’effondrement écologique est réel mais nous continuons collectivement à agir comme si les conséquences de nos consommations étaient gérées par quelqu’un d’autre (les industriels, le politique, les marchés,..). Nous baignons dans l’illusion, en particulier les japonais, que la situation est sous contrôle, donc que nous avons bien le temps pour une transition lente et serein. Pourtant, un crash énergétique pourrait théoriquement plonger un pays aussi évolué que le Japon dans un nouvel épisode historique de famine, tant la consommation alimentaire repose aujourd’hui sur des importations et des systèmes productifs énergivores.
Ici comme ailleurs, une relocalisation de la production s’impose. Mais sur le terrain, c’est plutôt les viandes d’importation qui gagnent du terrain… Après les mots, ne reste plus qu’à attendre les actes pour juger de la réelle implication des autorités nippones à se saisir des problématiques de pollution liées au plastique.
S. Barret