Alors que nous rentrons de Fukushima et de cette vision d’apocalypse – et de renaissance – qui caractérise la région, nous découvrons par hasard les travaux de Tokyo Genso, un artiste japonais qui semble vouer une fascination étrange à l’effondrement de la civilisation. En témoignent ces images très détaillées de Tokyo après un grand cataclysme…
Pendant notre visite de la région désertée autour de la centrale de Fukushima, nous avons eu la chance de rencontrer Masami Yoshizawa, un fermier ayant formellement refusé de quitter la zone contaminée et d’abandonner ses quelques 300 vaches. Depuis, il vit sur place et tente de nourrir ses bêtes chaque jour avec de maigres dons reçus du monde entier. Profondément en colère contre les autorités de Tokyo, l’homme considéré par certains comme l’humain vivant le plus irradié du Japon et du monde, se laisse aller à quelques prédictions prophétiques sous nos yeux interloqués…
« Vous voyez ces grands pylônes électriques ? Ils livrent l’électricité de la centrale directement à Tokyo. » nous dit-il. « Le drame que nous avons vécu ici, c’est pour fournir en énergie les gens de la capitale. (…) Je ne suis pas devin, mais je prédis qu’une grande catastrophe frappera Tokyo prochainement. Peut-être en 2020 lors des Jeux-Olympiques. Godzilla, dans notre culture, c’est le symbole du désastre nucléaire, des conséquences de l’utilisation du nucléaire. Tokyo a besoin de son Godzilla. » Des propos qui peuvent choquer mais dévoilent une grande détresse chez certains habitants de la région.
Si personne n’espère vraiment un tel drame humain, le Japon reste effectivement une terre incertaine prête à s’ébranler sous nos pieds à chaque instant. Un terrain également fertile pour les esprits imaginatifs qui peuvent se perdre à s’imaginer ce monde d’après effondrement. C’est ainsi que l’artiste japonais Tokyo Genso s’est fait une spécialité d’imaginer et illustrer avec une grande précision la capitale nippone plusieurs années après un quelconque grand désastre.
De Ginza à Asakusa, plus que des images imaginaires, les lieux sélectionnés par l’artiste sont illustrés avec une grande précision géographique, culturelle et architecturale que tout visiteur attentif pourra reconnaître. Prendre le temps de s’imaginer une telle réalité alternative fait froid dans le dos. Qu’aurions-nous fait pour en arriver là ? Ou plutôt, au regard de la crise climatique globale, qu’avons-nous omis de faire aujourd’hui pour éviter ça demain ?
Ces images ne sont pourtant pas que mort et désolation. La nature semble tenter de reprendre timidement ses droits avec une présence humaine cependant beaucoup plus discrète qu’avant, en témoignent les rizières alignées en plein Shinjuku ou cet hôpital industriel « steampunk » au cœur de Shibuya. Comme à Fukushima, la Vie semble résister et survivre à toutes les épreuves, même la pire d’entre elles : l’Humanité.
Le succès de l’artiste ne peut que nous interroger sur cet étrange questionnement que de nombreux humains partagent sur la finitude de notre civilisation moderne : jusqu’où pouvons nous aller dans le gigantisme, la consommation et la course au développement ? Et surtout, pourquoi nous sentons-nous à ce point incapables de nous projeter dans une autre réalité, au point, pour certains, de se réjouir de l’effondrement à venir ?
Tokyo Genso ne se limite plus aujourd’hui à dépeindre le Japon en mode post-apocalypse. Il illustre également d’autres grandes villes du monde sous cet angle. Tous les travaux de l’artiste sont à retrouver sur son blog ou dans un art-book dédié à ses oeuvres.