Culturellement parlant, l’homosexualité couplée ou non à l’hétérosexualité, a longtemps été acceptée par la société japonaise, la religion Shinto n’imposant aucun interdit ou tabou sur la question. On la retrouvait plus ou moins au grand jour dans la caste des samouraïs, chez les moines et dans le théâtre kabuki dont les acteurs en particulier, ceux qui jouaient les rôles féminins, suscitaient les fantasmes. C’est avec la modernisation du pays à la fin du 19ème siècle que les mœurs japonaises se sont rapprochées de la morale judéo-chrétienne venue d’Occident et son lot de jugements arbitraires. Si aucune loi ne discrimine les personnes de la communauté LGBT au Japon, au quotidien, elles doivent vivre leur différence en toute discrétion. Un manque de reconnaissance, notamment au niveau du mariage, que les associations combattent et la meilleure vitrine à cette lutte est la « Tokyo Rainbow Week ».
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Pendant plus d’une semaine chaque année entre fin avril et début mai, le festival « Tokyo Rainbow Week » prend place à Tokyo pour promouvoir la visibilité des personnes LGBT+, appeler à la tolérance et à la reconnaissance des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Cette année, plus de 60 évènements (concerts, shows, rencontres) ont été organisés durant les 9 jours de la tenue du festival, un nouveau record. Et plus de 190 compagnies et entreprises ont apporté leur soutien au festival et à son appel à l’égalité des couples, parmi lesquelles des grands noms : Yahoo Japan, The Japan Times, Sony, Diesel, Spotify, Google…
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Dimanche 7 mai dernier, en point d’orgue du festival débuté le 29 avril, s’est tenue la parade « Tokyo Rainbow Pride » qui a remplacé depuis 2011 la « Tokyo Lesbian Gay Parade » pour représenter l’ensemble des identités sexuelles LGBT+. Accompagnant les chars colorés, les participants déguisés en tenue plus ou moins excentrique, défilent sur fond de musique et chansons entraînantes dans une ambiance festive et joyeuse de carnaval, globalement plus calme que d’autres gay-pride. Tous et toutes sont appelés à participer, qu’importe leur orientation sexuelle. Ici, on fête la liberté et la tolérance. On remarque que beaucoup d’étrangers et de touristes se mêlent à la parade, sans doute plus décomplexés que nombre de Japonais sur qui pèse le poids de la société.
Le défilé est donc parti du parc Yoyogi, a traversé Shibuya avant de retourner à son point de départ où les festivités ont continué. Le mot d’ordre cette année était « Change » : changer le regard de la société, faire accepter les différences au grand jour et surtout se voir reconnaître les mêmes droits que les couples mariés. Le mariage restant réservé aux personnes de sexes opposés, le seul moyen pour les personnes de même sexe de faire exister un lien les unissant devant la collectivité est d’avoir recours à l’adoption de l’un des conjoints par l’autre. Oui, adopter son conjoint ! Au Japon il est en effet possible pour une personne d’en adopter une autre à condition qu’elle soit majeure, et c’est cette loi ainsi détournée de sa fonction initiale qui leur garantissait les mêmes droits en matière d’héritage, de succession et d’avantages fiscaux que les couples mariés. Une sorte de pis-aller faute de mieux.
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Toutefois, ces dernières années ont vu une nette évolution des mentalités allant dans le sens d’une reconnaissance officielle des couples de même sexe. En mai 2013 un sondage Ipsos a révélé que 24% des Japonais interrogés étaient pour le mariage homosexuel et 27% pour une reconnaissance légale autre que le mariage, soit un total de 51% des sondés pour la légalisation des unions homosexuelles, (un chiffre encourageant qui est resté stable l’année suivante). En mai 2015, toujours selon un sondage Ipsos, les chiffres ont progressé, passant respectivement à 30% et 28%, portant donc à 58% le nombre de Japonais approuvant l’union de personnes du même sexe.
Si les mentalités se révèlent majoritairement favorables à la légitimation des unions homosexuelles, un point de discorde demeure sur la forme légale que doit prendre cette reconnaissance, la notion de « mariage gay » crispant une partie de la population qui préfère voir l’instauration d’un certificat d’union. Et c’est cette voie qui a été choisie depuis 2015 par différentes autorités locales. À Tokyo, l’arrondissement de Shibuya a été le premier à le faire en avril 2015, suivi de l’arrondissement de Setagaya en novembre de la même année, puis de la ville d’Iga en avril 2016, de Takarazuka en juin 2016 et de Naha en juillet 2016. Sapporo s’apprête à les rejoindre dans moins d’un mois. La ville d’Osaka a même envoyé un message fort le 22 décembre dernier en autorisant un couple gay à devenir famille d’accueil d’un garçon qui a été accueilli en février. Une première au Japon où jusqu’alors seuls les couples mariés ou les personnes célibataires obtenaient ce statut bien que rien dans la loi n’exclut formellement les couples de même sexe. Un couple de femmes du Kanto avait déjà pu devenir parents d’accueil mais les deux femmes avaient été jugées de manière individuelle comme des célibataires, alors qu’à Osaka c’est bien un couple qui a été reconnu et non deux hommes séparément.
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Au final si la parade clôturant la Tokyo Rainbow n’a rassemblé « que » 5 000 personnes selon les organisateurs (pour une ville comme Tokyo c’est peu en comparaison des gay-pride qui se tiennent dans le reste du monde) il faut retenir que le festival voit son ampleur progresser d’année en année, de même que l’ouverture d’esprit des Japonais est-on tenté d’ajouter. Des artistes ou des personnalités issues de la vie politique osent revendiquer leur homosexualité au grand jour. De bons augures pour continuer à avancer sur le chemin d’une société tolérante où être différent ne soit plus vécu comme un fardeau.
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S. Barret
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Sources : japantimes.co.jp / allabout-japan.com /