Il y a tout juste huit décennies, au terme de la deuxième guerre mondiale, le Japon capitule et se soumet à l’occupation américaine. Le général MacArthur ordonne le désarmement total de l’archipel. Parmi les armes confisquées, de véritables œuvres d’art, symboles de la culture nipponne : les katanas. Retour sur cet épisode de l’Histoire. 

Soutenez Mr Japanization sur Tipeee

15 août 1945. Le Japon tout entier est encore sonné par la violence des deux explosions atomiques qui ont dévasté Hiroshima et Nagasaki, une semaine auparavant. À midi pile, les postes de radios s’allument dans tout l’archipel. Des ondes nationales, s’élève la voix de l’empereur Hirohito. Le « Fils du Ciel » s’adresse à son peuple pour reconnaître la défaite du Japon, et annoncer une reddition sans conditions. 

Dernier train d’Hiroshima : le livre choc sur l'enfer nucléaire réédité
(Re)lire notre article : Dernier train d’Hiroshima : le livre choc sur l’enfer nucléaire réédité

Conséquence méconnue de cette capitulation, des millions de sabres disparaissent, pillés, détruits ou expédiés aux États-Unis. Un patrimoine historique amputé, dont la mémoire ressurgit parfois, au détour d’une salle des ventes et de restitutions inespérées. Récit. 

La démilitarisation du Japon

Deux semaines plus tard, le général Douglas MacArthur et les forces alliées, composées en grande majorité de soldats américains, débarquent sur l’archipel nippon. C’est le début de sept années d’occupation du Japon. À la tête du Commandement Suprême des Forces Alliées (SCAP), MacArthur dispose de l’autorité d’un chef d’État. Sa mission : démocratiser et démilitariser le Japon afin d’éviter une nouvelle guerre meurtrière. 

« Outre les armes à feu, tous les sabres, y compris d’antiques katanas, doivent être remis aux autorités »

Des mesures strictes de désarmement sont appliquées. Outre les armes à feu, tous les sabres, y compris d’antiques katanas, doivent être remis aux autorités, aussi bien au sein de l’armée que des foyers. MacArthur, qui a vécu au Japon, connaît bien le peuple nippon. Il sait qu’il peut compter sur sa coopération. Attachés au respect du Bushido (武士道), ce code d’honneur ancestral qui reconnaît les droits du vainqueur, la plupart des Japonais vont en effet se soumettre à l’occupant. 

Une haute valeur symbolique

Cette politique conduit à la collecte de millions de sabres sur tout l’archipel, en plus des nombreuses lames confisquées par les GI sur les champs de bataille du Pacifique. Durant la guerre, les officiers japonais étaient en effet tenus de porter un sabre. Beaucoup de ces lames étaient produites de manière industrielle, sans respecter les méthodes traditionnelles de forge, et avaient donc une valeur bien moindre. Parfois appelées « guntō » (軍刀, épée militaire), elles ne sont pas considérées comme d’authentiques katanas.

De nombreux katanas ont été remis aux forces alliées par les officiers japonais – @Collection de l’Imperial College Museum

De nombreux officiers mobilisés portaient néanmoins les véritables sabres de leurs familles. Ces héritages précieux, fruit du savoir-faire ancestral des forgerons nippons, étaient non seulement des armes redoutables, mais aussi des œuvres d’art, souvent ornées de motifs raffinés sur la lame et la garde. Parfois présents dans les familles japonaises depuis l’ère médiévale et l’apparition des premiers samouraïs, les katanas ont une importante valeur symbolique, culturelle et historique.

La plupart des propriétaires des sabres se conforment à l’ordre de confiscation, prenant soin au passage d’inscrire leur nom sur une plaque de bois attachée au katana. Beaucoup pensent alors qu’il s’agit d’une confiscation temporaire et attendent leur restitution. Mais celle-ci tarde à venir. Les sabres s’entassent dans l’entrepôt d’Akabane à Tokyo ou rejoignent les collections privées d’officiers alliés rentrés au pays, sans conscience de leur valeur symbolique.

La restitution s’organise

Face à cette spoliation, certains experts japonais se mobilisent. C’est ainsi qu’en 1948, la Nihon Bijutsu Token Hozon Kyokai (NBTHK) est créée pour préserver ce patrimoine. Son musée est encore accessible aujourd’hui. Dans les années qui suivent, plusieurs descendants de soldats américains se sont servis des étiquettes pour restituer les sabres à leurs familles d’origine.

« environ 1100 katanas sont ainsi rendus dans les années 1950 et 1960 »

D’après l’Imperial War Museum londonien, environ 1100 katanas sont ainsi rendus dans les années 1950 et 1960. Dans les années 1990, 3209 sabres dont les propriétaires n’avaient pas pu être identifiés sont donnés à des musées japonais

Aujourd’hui encore, les célèbres sabres resurgissent dans les endroits les plus incongrus, comme une salle de vente française. En 2023, un retraité du Lot-et-Garonne passionné de culture nippone découvrait ainsi la mise aux enchères à Tours d’un katana confisqué en 1945. L’arme, arrivée en France par l’intermédiaire d’un vendeur américain, porte encore l’étiquette du propriétaire japonais. 

« le retraité décide d’acheter le katana, prêt à débourser les 6000 € demandés pour rendre le sabre à ses propriétaires ».

Après avoir contacté le vendeur qui refuse de renoncer à la vente, le retraité décide d’acheter le katana, prêt à débourser les 6000 € demandés pour rendre le sabre à ses propriétaires. Comme le relate le quotidien Sud Ouest, il identifie la famille japonaise à qui appartient le sabre, et l’affaire attire rapidement l’attention de la presse nippone.

Si bien qu’une cérémonie de restitution est organisée à la mairie d’Uwajima, où résident aujourd’hui les héritiers légitimes du katana. De son côté, la salle de vente aux enchères parisienne de L’Hôtel Drouot décide de contribuer à la démarche en prenant en charge « une partie significative du montant des enchères ». 

Un sabre légendaire encore introuvable

Si certains katanas retrouvent ainsi leurs propriétaires d’origine, d’autres demeurent perdus. Parmi eux, l’un des plus grands sabres jamais forgés et classé Trésor national du Japon en 1939 : le Honjō Masamune. Forgé au Moyen Âge par l’un des plus grands forgerons de l’histoire de l’archipel, ce katana a été la propriété des shoguns Tokugawa pendant plusieurs siècles. Le dernier héritier de la famille, Tokugawa Iemasa, a remis le Honjō Masamune à la police de Mejiro en décembre 1945, avec une douzaine d’autres sabres familiaux. Le sabre disparaît peu de temps après, probablement lors de son transfert dans les entrepôts des forces alliées, et son sort demeure inconnu. 

Depuis, toute trace du Honjō Masamune s’est totalement évanouie. Cette perte majeure reste un sujet culturel important au Japon et suscite l’intérêt des historiens, passionnés et chercheurs de trésors. Elle illustre aussi la profondeur des cicatrices laissées par la défaite de 1945, et l’importance de préserver ce patrimoine culturel majeur. Chaque restitution de katana est plus qu’un geste symbolique : c’est un fragment de l’histoire du Japon qui retrouve sa place.

– Aure Gémiot