Sur les chemins pavés de Nara, des milliers de cerfs se pavanent quotidiennement devant les touristes en échange de quelques galettes de riz. Alors que les visiteurs s’enjouent du spectacle, une équipe dévouée de bénévoles patrouille à la recherche de déchets plastiques qui menacent la santé des cervidés. Loin des vidéos attendrissantes qui défilent sur les réseaux sociaux, le phénomène est une preuve supplémentaire des impacts délétères du surtourisme dans l’ancienne capitale nippone.

Située à une quarantaine de kilomètres de Kyoto, la ville de Nara abrite un parc bien connu des touristes. D’une superficie de 660 hectares, le lieu est réputé pour ses trois temples, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, mais aussi et surtout pour les âmes qui y vivent. Plus de 1200 cerfs sika sauvages, protégés par leur statut de  “trésor naturel national”, y déambulent en toute liberté.

Les cerfs de Nara au Japon se promènent en totale liberté entre les temples et les sanctuaires de l’ancienne capitale. – Source image : Pixabay

Un animal vénéré depuis des centaines des millénaires

Dans le parc du sanctuaire shinto Kasuga Taisha, ils sont même considérés comme sacrés depuis l’apparition de Takemikazuchi-no-mikoto, divinité de la mythologie japonaise, arrivant sur le mont Mikasa en chevauchant un cerf blanc. Animal vénéré, mentionné dans de nombreux mythes japonais et dans la littérature ancienne, le cerf sika coexiste avec l’homme depuis des siècles dans la région.

Pourtant, la santé des cervidés est gravement menacée ces dernières années au sein du parc. Alors que les touristes sont priés de ne donner aux animaux que les biscuits senbei – sortes de galettes de riz –  vendues sur place en vrac et approuvés par les autorités locales, de nombreux déchets plastiques jonchent les abords du parc. Rapidement, les cerfs avides de nourriture et attirés par les odeurs contenues dans les sachets, se retrouvent à ingérer du plastique en grande quantité.

Des kilos de déchets plastique dans l’organisme

En 2019, l’autopsie de quatorze cerfs décédés avait révélé une présence accrue de déchets dans neufs des organismes examinés. L’un d’entre eux avait ingéré 4,3 kg de plastique au total, avant de s’éteindre à la suite de l’endommagement massif de son système digestif.

En réaction à ce terrible constat, les autorités avaient alors renforcé leur sensibilisation à l’égard des touristes étrangers. Depuis plusieurs décennies, le parc n’abrite aucune poubelle publique pour empêcher les cerfs d’y fouiller à la recherche de nourriture. Les visiteurs sont ainsi appelés à emporter leurs déchets chez eux. Si le geste est coutumier pour la plupart des Japonais, il l’est moins pour de nombreux étrangers qui semblent avoir du mal à s’habituer aux mœurs locales. Résultat : « de plus en plus de gens jettent leurs restes ou leurs emballages dans le parc », constate Nobuyuki Yamazaki, membre de la Fondation pour la préservation des cerfs de Nara.

La pression du surtourisme s’intensifie

Près de 6 ans plus tard, le problème s’intensifie à mesure que le nombre de touristes augmente. Avec l’affaiblissement du yen et la reprise du tourisme après la pandémie, le Japon enregistre un record absolu de touristes étrangers avec un total de 36,8 millions de visiteurs en 2024. Des chiffres étourdissants que le gouvernement annonce vouloir presque doubler d’ici à 2030. 

Le nombre de visiteurs internationaux dans la préfecture de Nara a presque décuplé depuis 2012 pour atteindre 2,09 millions en 2017. – Source image : Pixabay

Avec une telle affluence, les habitants et les autorités des destinations les plus prisées, comme Kyoto ou les abords du mont Fuji, manifestent quant à elle une inquiétude croissante face aux effets du surtourisme : incivilités, infractions routières et pression sur le quotidien alimentent désormais un malaise difficile à ignorer.

L’appel à l’action pour sauver les cerfs de Nara

Inquiétée par le nombre croissant de cerfs victimes de déchets dans le parc de Nara, l’association Beautiful Deer a décidé de passer à l’action. Vêtus de gilets vert vif, armés de gants, pinces et balais, une poignée de ses membres, insensibles à l’agitation des touristes fascinés par les cervidés, sillonne les allées pour ramasser les détritus « L’idée d’être utile à la société est au cœur de leur motivation« , explique Masahito Kawanishi à France24, qui supervise l’équipe dont de nombreux membres rémunérés sont atteints de handicaps. Pour le bénévole, il est difficile de croire que le parc reste exempt de poubelles face à ces nombreuses incivilités.

Dans le cadre d’un programme pilote, la préfecture a d’ailleurs installé deux poubelles à l’extérieur du parc, situées au abord de la gare routière à proximité. Deux types de poubelles sont actuellement testées, dont une qui comprime automatiquement les déchets pour éviter les débordements. En y apposant la mention « sauvez les cerfs de Nara des déchets plastiques« , autorités locales et associations espèrent sensibiliser les visiteurs et observer un changement de comportement pour le bien-être des animaux.