C’est ce que l’on appelle en journalisme un marronnier, chaque année, exactement à la même période, un sujet fait la une de la presse. Au Japon, le meilleur exemple en est le Hanami, le fait de se rassembler sous les cerisiers en fleurs pour s’amuser et pique-niquer. Un moment sacré et éphémère qui dure à peine quelques jours. Fait exceptionnel, cette année « le marronnier » des sakuras prend place à la saison des châtaignes… De nombreux cerisiers sont déjà en fleurs à travers le Japon. Un phénomène qui, s’il fera des heureux, n’en reste pas moins inquiétant et révélateur du dérèglement climatique causé par l’Homme.
Qu’est-ce que le Japon sans sa période des cerisiers en fleurs ? Moment symbolique de l’année, central dans la vie des japonais. Mais cette année, le Hanami pourrait presque être célébré une seconde fois. Ces derniers jours, WNI, un site japonais de météorologie a dénombré plus de 350 cas de cerisiers en fleurs entre le sud de Kyûshû, remontant le long du Kansai et du Kanto pour atteindre Hokkaido (pointe nord) ! Un nombre naturellement minime par rapport à la fleuraison du printemps mais qui suscite l’interrogation : pourquoi ces cerisiers se sont soudainement mis à fleurir hors-saison ?
Pour le comprendre, il faut d’abord connaître le cycle naturel de floraison du cerisier. Les fleurs qui nous voyons s’épanouir au printemps ont été conçues en juillet et août, près de 9 mois plus tôt grâce à l’accumulation de lumière synthétisée par une protéine (FT). Si elles n’éclosent pas avant la fin mars-mi avril c’est en raison d’une hormone qui les en empêche. Cette hormone bloquante, l’acide abscissique, est secrétée par les feuilles attachées aux racines des bourgeons. Qu’importe que la température et le taux de luminosité soient élevées pour la saison, l’acide abscissique retient la floraison. L’arbre reste dormant durant tout l’hiver jusqu’au printemps où ces feuilles meurent et, sous l’effet de la hausse des températures, les bourgeons créés des mois plus tôt éclosent enfin.
La réponse n’est donc pas simplement due à une hausse des températures de saison comme on peut y penser de prime abord même si un lien existe tout de même. Si les cerisiers ont pu fleurir c’est d’abord en raison de l’absence soudaine de cet acide. Une absence à mettre sur le compte des typhons particulièrement violents qui ont balayé l’Archipel en ce début d’automne. Les puissantes rafales de vent ont fait tomber des feuilles des cerisiers. D’autres ont été abîmées par le sel de mer charrié par les typhons. La barrière anti-floraison étant levée, il n’a plus fallu que quelques jours d’ensoleillement et de températures douces comme au printemps pour que les fleurs éclosent en avance.
Les Japonais s’inquiètent de l’impact de cette floraison précoce sur le prochain Hanami. Car les sakuras qui ont fleuri cet automne sont autant de fleurs qui manqueront au printemps 2019. Les spécialistes se veulent rassurants, seul un faible nombre de cerisiers est concerné, la différence ne devrait pas se ressentir cette année. Par contre les spécialistes doivent s’interroger sur un possible renouvellement du phénomène qui ne serait pas sans lien avec le changement climatique.
La question du lien entre le réchauffement climatique et l’intensité croissante des cyclones (nommés ouragans dans l’Atlantique et typhons dans le Pacifique) de ces dernières années se pose sérieusement chez les climatologues. Pour certains, on manque de données, d’autres affirment que les deux phénomènes sont intimement liés, comme Fabrice Chauvin, chercheur au Centre national de recherches météorologique interviewé par le Monde qui déclarait : « on note une hausse des cyclones les plus intenses, qui s’explique notamment par l’augmentation des températures des océans et la montée du niveau des eaux. »
Auquel cas, les enjeux et les inquiétudes devraient aller bien plus loin que quelques cerisiers ayant décidé de fleurir au mois d’octobre…
S. Barret
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Sources : weathernews.jp / forbes.com