Portraits d’acteurs et de prostituées, paysages naturels ou urbains sont les sujets les plus courants de l’ukiyo-e. Mais les artistes ne se sont pas bornés à l’illustration de ces thèmes. Ils avaient à leur disposition les ressources d’un folklore riche en fantômes, monstres et esprits démoniaques ainsi qu’une histoire marquée par des guerres sanguinaires. Et ils n’ont pas hésité à y puiser leur inspiration pour créer des estampes qui pourront nous sembler dérangeantes, violentes et malsaines. Petit aperçu non exhaustif avec ces créations de trois maîtres de l’ukiyo-e.

Parmi les peintres qui ont excellé dans la représentation de la violence et de la mort Tsukioka Yoshitoshi (1839-1892) est une référence. Il a focalisé de nombreuses œuvres autour de ces thèmes dans les années 1860. Celles-ci s’inscrivent dans un contexte historique tourmenté (le Japon vit alors une guerre civile) et suite à un drame familial, l’artiste ayant été affecté par la mort son père en 1863.

Reizei Hangan Takatoyo faisant seppuku

Le suicide de ce samouraï et poète du 16ème siècle nous est dépeint dans ces détails les plus sanglants et sans nul doute douloureux à en juger par l’expression du guerrier qui a choisi la mort rituelle des samouraïs en s’ouvrant le ventre avec son sabre ! Alors que ses tripes se déversent sur le sol, c’est vers le haut qu’il tient la tête. Une vision naturellement très romancée.

Reizei Hangan Takatoyo faisant seppuku

Sakuma Daigaku buvant le sang d’une tête décapitée

Autre représentation violente d’un samouraï du milieu du 16ème siècle nommé Sakuma qui servait le fameux unificateur du Japon Oda Nobunaga. Une estampe qui illustre littéralement l’expression « avoir soif de sang » puisqu’il boit goulument la sève de la tête de son adversaire. Kampaï !

Sakuma Daigaku buvant le sang d’une tête décapitée

Naosuke Gombei arrachant un visage

Un terrible fait divers serait à l’origine de cette estampe macabre : au 18ème siècle, ce domestique aurait, sur un coup de colère, tué son maître, sa femme et leurs trois enfants. Sur cette image, il arrache des mains le visage de son maître. On était bien loin du salaryman japonais des temps modernes corvéables à souhait.

Naosuke Gombei arrachant un visage

De la nourriture pour les chiens

Cette femme et cet homme devaient avoir des ennemis particulièrement monstrueux. Ils ont été ligotés et livrés vivants en pâture à des chiens errants affamés.

Inada Kyûzô Shinsuke et la femme suspendue par une corde

Un supplice affreux pour cette cuisinière ligotée et suspendue la tête en bas, promise à une mort lente et douloureuse.

Inada Kyûzô Shinsuke : femme suspendue par une corde

Autre maître d’importance, Katsushika Hokusai (1760-1849) est principalement connu pour ses représentations du mont Fuji et ses paysages. Mais il n’a pas pour autant fait l’impasse sur les représentations de fantômes. En témoigne sa série d’estampes « Hyakumonogatari » (« Une centaine d’histoires d’horreur ») datant de 1831.

Hannya riant est un monstre du folklore de la région de Nagano qui kidnappe les enfants pour les manger. À l’origine c’était une femme dont des reproches et la rancune ont causé la transformation en monstre. Il est assez courant, dans l’iconographie japonaise, que les monstres soient symbolisés par des femmes dont la jalousie ou la colère ont gangréné leur âme…

De quoi en perdre la tête

Kohada Koheiji était un acteur médiocre mais doué pour incarner le rôle du fantôme. L’amant de sa femme le tua une nuit en le précipitant dans un marais. Revenant trouver sa maitresse dans la maison du défunt, il eut la surprise d’apprendre que l’homme qu’il venait pourtant d’assassiner y dormait. En effet, Koheiji était couché dans la pièce, dans la même posture que le rôle qu’il savait si bien jouer. Puis, il disparut et son esprit revint hanter le couple qui sombra dans la folie, la misère et la mort.

Kohada Koheiji

Utagawa Kuniyoshi (1797-1861) fut un des derniers grands maitres de l’ukiyo-e réputé pour ses estampes figurant d’héroïques guerriers, des chats ou des caricatures mais il s’est aussi distingué par la représentation de monstres et d’esprits.

La revanche des fantômes

Revenus d’outre-tombe pour se venger des vivants et surtout des traitres…

La revanche des fantômes

Takiyasha la sorcière et le fantôme du squelette

Ce triptyque bien connu se base sur une histoire vraie du 10ème siècle : Taira no Masakado, un seigneur de guerre, s’est rebellé contre l’Empereur et a fondé sa propre Cour à Sôma avant de voir sa rébellion écrasée.

Sa fille, la princesse Takiyasha (sur le panneau de gauche) a continué de vivre dans le palais de son père. Elle fait ici appel à un spectre squelettique pour repousser Ôya no Mitsukuni, envoyé par l’Empereur pour chasser les derniers rebelles.

Et enfin ce Portrait d’Oiwa qui fait référence à l’une des histoires de fantômes les plus célèbres au Japon « Yotsuya Kaidan » (« L’Histoire du fantôme de Yotsuya »), inspirée en partie de faits réels et qui mêle trahison, meurtre et vengeance fantomatique. Ce conte populaire a été adapté en pièce de théâtre kabuki et de nombreuses fois au cinéma et à la télévision. Si vous êtes de passage au Japon, éviter de la croiser…

S. Barret


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Sources : www.japantimes.co.jp / masterpiece-of-japanese-culture.com / metalonmetalblog.blogspot.fr / bizarreandgrotesque.com / laboiteverte.fr