Keow Wee Long est un photographe malaisien qui ne s’encombre pas des protocoles. Déjà connu pour se rendre en des lieux improbables, il a pénétré, sans réelle protection, dans la plus sévère zone d’exclusion autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Il nous entraîne au cœur de la catastrophe, 5 ans après, dans les villes de Tamioka, Namie, Futaba et Okuma. Le photographe nous offre des clichés inédits qui invitent à réfléchir aux risques industriels et aux conséquences des accidents technologiques de grande ampleur.
Pouvons-nous nous représenter les conséquences de nos actes ? Selon le philosophe allemand Günther Anders, l’entrée dans l’ère atomique a fondamentalement bouleversé notre rapport au monde. Car il n’y a plus de commune mesure entre l’objet – la bombe, la centrale – et les conséquences de son utilisation sur les vies humaines. Aussi, demande le philosophe, comment peut-on créer une responsabilité pour ce qui dépasse notre imaginaire et notre entendement ? Loin de vouloir déresponsabiliser, Anders invite à ne pas considérer la technique comme neutre et à renoncer à l’usage de technologies dont nous n’avons pas le parfait contrôle.
11 mars 2011, 14 heures 46
Le 11 mars 2011, à 14 heures 46, un tremblement de terre de magnitude 9 touche le Japon. Alors que dans un premier temps, les salariés de la centrales nucléaire de Fukushima Daijchi indiquent avoir pu arrêter l’ensemble des réacteurs, des informations plus inquiétantes sont relayées dans les minutes suivantes par Tepco, l’exploitant de la centrale : les systèmes d’alimentation sont coupés, les systèmes de refroidissement ne fonctionnent plus. Quelques heures plus tard, vers 18 heures la situation était hors de contrôle : la fusion de trois réacteurs avait débuté.
Naoto Kan, Premier Ministre japonais en fonction au moment du drame, a récemment avoué dans un interview accordé au journal Libération, que les autorités étaient dépassées par la situation : 6 réacteurs nucléaires étaient potentiellement concernés par un défaut de fonctionnement. Devant la gravité, l’évacuation de la zone dans un rayon de 200 kilomètres, Tokyo y compris, avait même été envisagée. 50 millions de personnes auraient dû être évacuées. Ce sont finalement 160 000 personnes qui seront évacuées
À ce jour encore, la situation à Fukushima n’est pas entièrement sous contrôle. Des eaux radioactives continuent à se répandre dans l’océan et les terres. De manière quotidienne, 7000 ouvriers s’affairent à la décontamination du site ainsi qu’au démantèlement des réacteurs. Un travail titanesque pour une cicatrice béante dans l’imaginaire collectif des japonais déjà lourdement endettés.
Au cœur de la zone rouge
Dans un rayon de 30 kilomètres autour de la centrale de Fukushima Daiichi, les habitants ont été évacués dans les heures suivants le tremblement de terre. Comme à Tchernobyl, cet espace est en principe interdit d’accès et soigneusement gardé. Par sécurité, la région contaminée a été divisée en zones en fonction de leur niveau de contamination : rouge, orange et vert. La zone rouge, strictement confinée, est jugée inhabitable et dangereuse au point où les propriétaires ne peuvent s’y rendre.
Malgré la situation, Keow Wee Long a décidé de pénétrer la zone sans s’encombrer des contrôles et réglementations. Un acte particulièrement risqué dans un Japon à cheval sur les règles. Obtenir une autorisation de la part des autorités peut nécessiter plusieurs semaines d’attente et complique ce type de reportage pour les étrangers. Inconscient, Keow Wee a réussi à s’introduire en zone rouge en traversant une petite forêt et en évitant de justesse les policiers en surveillance. Sur sa page facebook, il décrit les sensations qui le prennent en marchant dans la zone, et en particulier l’étrange sentiment de solitude au milieu d’un espace urbanisé mais délaissé par ses habitants. Pour le photographe, ces clichés permettent de montrer les conséquences de l’usage de l’énergie atomique et invitent à réfléchir à une transition énergétique.
Comme d’autres images avant elles, ces photographies attestent de la vie qui s’est subitement arrêtée. Les habitants ont quitté les rues, les habitations et les magasins dans la précipitation, laissant les objets du quotidien derrière eux. Ces prises de vue semblent irréelles, le temps s’étant soudainement figé. Dans les magasins, des produits, parfois de valeur, sont à l’endroit où il étaient avant l’évacuation de la population, ce qui accentue cette sensation de ville fantôme. Devant ces images d’apocalypse, la fiction rattrape la réalité.
30 fois la dose annuelle en une heure !
Bien que l’intérêt des prises soit à souligner, des observateurs ont fait remarquer l’inconscience de la démarche du photographe. En l’absence d’équipements spécifiques pour se protéger (un masque étant insuffisant face à la radioactivité), muni d’un short et de sandalettes, l’homme s’est mis en danger d’une manière inconsidérée. Pour cause, en zone rouge, la radioactivité est de plus de 100 mSv/h, soit 30 fois la dose normale reçue par la population française en une année ! Dés 10 mSv/h, il est préconisé de mettre à l’abri les populations.
Par ailleurs ses explications laissent suggérer qu’il aurait emporté quelques produits de consommation avec lui, ce qui est strictement interdit, puisque ces objets sont probablement radioactifs. On suggérera aux amoureux d’urbex de respecter scrupuleusement les règlementations japonaises avant d’y mettre les pieds. Par ailleurs, des citoyens japonais ont créé une carte open-source de la radioactivité en réponse au manque de transparence du gouvernement afin d’informer la population sur les dangers invisibles qui les menacent.
Sources : boredpanda.com / liberation.fr / nytimes.com / time.com / page facebook de Keow Wee Long