L’histoire de Nick DeWolf est assez incroyable : pendant plus de 50 ans ce photographe amateur a pris des milliers de photos de son quotidien. Ces photos nous sont parvenues grâce au travail impressionnant réalisé par Steve Lundeen, son beau-fils, qui les a numérisées et mises en ligne sur Flickr. C’est d’ailleurs lui qui nous a gentiment accordé l’autorisation de partager ces photos avec vous. Immersion…

Nick DeWolf a passé quelques temps au Japon au début des années 70, en plein âge d’or de l’ère Shôwa, et a immortalisé son séjour de centaines de photos. Difficile de ne pas être nostalgique de l’ère Shôwa d’après-guerre, période pendant laquelle le Japon renaît de ses cendres sous un ciel de néons et de gadgets électriques.

C’est à cette époque que tradition et modernité sont entrées en collision, sans retour possible. Les photographies de Nick DeWolf murmurent encore ces histoires oubliées d’un peuple à l’aube d’une révolution technologique.

Palais impérial de Kyôto, 1972 « Nick avec un groupe de japonaises » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)

Qui est Nick DeWolf ?

Nick DeWolf n’est pas un photographe professionnel, mais un ingénieur américain né en 1928 et décédé en 2006. Il a notamment créé en 1961 Teradyne, une compagnie spécialisée dans les équipements de test. Bien que ce ne soit pas son métier, il a pris au cours de sa vie des milliers de clichés de son quotidien. Ces photos, prises en toute simplicité, sont de précieux témoignages des différentes époques que Nick DeWolf a traversées.

« Il prenait absolument tout en photo et avait toujours son appareil sur lui ».

Il a commencé à prendre des photos à Boston en 1952 à l’aide d’un Brownie, un appareil argentique bon marché, et depuis c’est devenu une véritable obsession. Il prenait absolument tout en photo et avait toujours son appareil sur lui. Même à la fin de sa vie, il a pris en photo sa chambre d’hôpital et sa famille venue lui rendre visite.

Tokyo, 1972 « cireuse de chaussures » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)

Nick DeWolf a pris de nombreuses photos des États-Unis, notamment des villes où il a vécu, mais il a également beaucoup voyagé. En 1972, il est invité au Japon pour y parler d’entrepreneuriat et ce sera pour lui l’occasion de découvrir le pays, ainsi que d’autres villes et pays asiatiques (Inde, Népal, Bali, Bangkok, Hong Kong…).

Lors de son séjour au Japon, Nick DeWolf a pris de nombreuses photos de Tokyo bien sûr, mais aussi de petites villes de la campagne japonaise. Ces photos nous permettent d’appréhender le quotidien des Japonais de cette époque : on peut notamment ressentir l’effervescence de la capitale, entre trains bondés et balades dans les rues animées de Ginza, mais aussi manifestations, car oui les contestations au Japon étaient nombreuses à cette époque.

Quant aux populations des petites villes plus reculées, on sent qu’elles sont beaucoup moins touchées par la modernisation et davantage préoccupées par les travaux dans les rizières. Ce ne fut pas facile de faire une sélection parmi les centaines de photos prises par Nick DeWolf tant elles sont toutes précieuses…

Tokyo, 1973 « Scène de rue » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)

Le travail incroyable de Steve Lundeen

« pas moins de 136 000 photos ont été mises en ligne ».

Les milliers de clichés pris par Nick DeWolf auraient pu rester bien au chaud au sein de sa famille si son beau-fils Steve Lundeen n’avait pas fourni un travail incroyable pour nous partager le regard de son beau-père. C’est par le biais du site Flickr que nous avons accès aux photos que Steve Lundeen a numérisées, à raison de 20 à 50 photos par jour. À l’heure actuelle, pas moins de 136 000 photos ont été mises en ligne.

Non seulement numériser toutes ces photos prend du temps, mais en plus Nick DeWolf a laissé très peu d’informations sur ses photos. Pour trouver la localisation ou la date de certaines images, Steve Lundeen doit alors produire un véritable travail de détective et être à l’affût du moindre indice. C’est pour cette raison que les descriptions des photos prises au Japon sont très brèves et contiennent principalement l’année (1972 ou 1973), la ville ou la région (Tokyo, Kyûshû…) et deux-trois mots de description.

Tokyo, 1972 « Manifestation » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)

Le Japon d’après-guerre

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon est en ruine. De nombreuses villes ont été détruites par les bombardements américains et ces derniers occupent même le pays jusqu’en 1952.

Pourtant, à partir des années 50, et ce jusqu’au début des années 70, le Japon va entrer dans un véritable âge d’or et va connaître une forte croissance. Le pays passe ainsi du statut de vaincu à celui de 2e puissance économique du monde libre (3e si l’on inclut l’URSS). La population japonaise bénéficie d’un fort pouvoir d’achat et le pays se reconstruit tout en se modernisant.

Tokyo, 1972 « Quartier de Ginza » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)

Parallèlement à cette stabilité économique, les manifestations sont nombreuses. Parmi les grandes oppositions de l’époque on peut noter celles liées à la présence américaine sur le sol japonais : oppositions à la renégociation du Traité de sécurité nippo-américain, aux bases américaines et au fait que le Japon se retrouve impliqué dans les conflits liés à la guerre froide…

Un sentiment nationaliste monte chez certains et la modernisation du pays ne plaît pas à tout le monde. D’ailleurs, en 1970, le célèbre écrivain Yukio Mishima va se suicider, en se faisant seppuku, au quartier général du ministère de la défense après avoir cherché à inciter les soldats à restaurer le régime impérial… On peut aussi noter des manifestations contre les expropriations liées à la construction de l’aéroport de Narita. Les étudiants aussi sont très politisés et n’hésitent pas à faire grève, il y a d’ailleurs des mouvements étudiants en 1968 également au Japon… Autant d’actions que l’on voit peu de nos jours.

Kyôto, 1972 « Mariage shintô au sanctuaire Heian-jingû » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)
Tokyo, 1973 « transfert dans le métro » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)

Rien n’a changé ?

Bien que 50 années nous séparent des photos prises par Nick DeWolf, on constate tout de même que beaucoup auraient pu être prises à notre époque, si l’on fait abstraction des tenues occidentales et des coiffures typiques des années 70. On trouve en effet pas mal de sujets qui nous sont familiers, comme les fameuses stations de métro de Tokyo bondées, mais aussi les mariages traditionnels shintô dans les sanctuaires ou encore des femmes habillées en kimono/yukata qui se tiennent à côté de femmes en tenue occidentale…

Il faut dire que le Japon fascine par sa particularité à accorder toujours une très grande place à ses traditions. 

Kyûshû, 1972 (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)

Bien sûr, le Japon a aussi changé depuis les années 1970. Les grandes villes du pays, comme celles du monde entier, ont bien évidemment subi la mondialisation et la domination des marques américaines comme McDonald’s ou Starbucks.

Certains métiers traditionnels tendent aussi à disparaître, car ils n’intéressent pas la nouvelle génération, tout comme certains festivals traditionnels de quartier… Toutefois, l’aspect traditionnel du Japon est encore bien présent et force est de constater que beaucoup de choses qui fascinaient Nick DeWolf dans les années 70, fascinent toujours autant les touristes d’aujourd’hui…

Retrouver toutes les photos de Nick DeWolf ici.

– Claire-Marie Grasteau


Image d’en-tête : Palais impérial de Kyôto, 1972 « Nick avec un groupe de japonaises » (© the Nick DeWolf Foundation – Flickr)