Diffusée à la télévision japonaise en avril dernier, Anti hero (アンチヒーロー) est une série judiciaire qui met en scène un avocat implacable et ombrageux entouré de ses deux jeunes associés. Portrait réussi d’un personnage ambivalent, la série est aussi un état des lieux de la justice pénale japonaise…Critique.

Anti héro (アンチヒーロー) est un drame judiciaire japonais, diffusé par le TBS et réalisé par Kenta Tanaka et Yohei Miyazaki.

Bavarde, tortueuse, cette série révèle au cœur de son intrigue un « cold case » qui met en lumière les déviances du système judiciaire japonais. En toile de fond, s’y dessinent également les secrets d’un homme prêt à tout pour se racheter. Mr Japanization est allé voir ce qui se cache derrière les 10 épisodes de cette série, visible en France sur la plateforme Netflix.  

Un avocat au centre de l’intrigue

Dès le départ, Masaki Akizumi, avocat au cœur de l’intrigue, fait preuve d’une éloquence fascinante. Grand, sourire carnassier, imperméable de détective, il fait feu de tout bois pour défendre les intérêts du camp qu’il a choisi, exploitant tous les vices de procédure imaginables à grand renfort d’enregistrements cachés. Et le professionnel a visiblement le talent de faire basculer les verdicts. Dévoué à son client, un homme accusé du meurtre de son patron et accablé par plusieurs preuves, Akizumi s’avère être par ailleurs… un manipulateur.

Procureur, à savoir « l’accusation », et avocat s’opposent ici dans deux visions antagonistes de la justice. La première repose sur une culpabilité avérée dès le départ et l’autre, sur la présomption d’innocence que bon nombre de démocraties chérissent. Jusque-là, rien de vraiment atypique ; si ce n’est que, dans le système judiciaire japonais, ce second principe ne va pas de soi.

La possibilité d’un acquittement

Akizumi a décidé de faire acquitter son client et cela fait de lui un outsider. En effet, le système de justice pénale japonais est composé de la police, des procureurs et des juges : la police mène les enquêtes et rassemble les preuves, le procureur représente l’accusation, tandis qu’il appartient au juge de prononcer la sentence. Les magistrats japonais du parquet (ou ministère public) sont en revanche les seuls à pouvoir engager des poursuites pénales.

Indépendants, ils n’ont que peu de comptes à rendre sur leurs décisions et n’ont pas non plus obligation à soumettre les preuves à quiconque avant le procès. Le parquet exerce donc une forme de justice toute-puissante. Ainsi, lorsque la magistrature décide de mettre en cause une personne dans une affaire et qu’un procureur engage des poursuites contre elle, celle-ci se voit condamnée dans plus de 99% des cas.

Bien souvent, le tribunal valide comme une simple formalité la décision du ministère public sur qui la confiance repose, en principe. A l’inverse, espérer obtenir un acquittement est une gageure, parce que cela équivaut à s’opposer à la décision du ministère public.

Selon Gôhara Nobuo, avocat, ancien procureur, et auteur de plusieurs ouvrages sur le système judiciaire japonais, « cette procédure pénale qui est adaptée à la société japonaise et à la mentalité nationale fonctionne bien sur le fond et a permis de garantir l’ordre public. Mais dans les cas où le ministère public commet une erreur de jugement et lance des poursuites contre une personne innocente, il sera extrêmement difficile de la secourir par un acquittement dans un procès pénal. La procédure pénale japonaise dans laquelle le ministère public a l’exclusivité de la « justice » fait remarquablement peu de cas du principe de la présomption d’innocence. »

Quoi qu’il en soit, on pressent qu’Akizumi n’est pas un simple « joueur », cynique et procédurier, et qu’il a en tête un projet plus grand qui ne dit pas son nom.

Quand les têtes tombent…

De meurtre en agression, de violences sexuelles en licenciement abusif, chaque affaire dont s’occupe le maître, flanqué de ses deux padawans, déstabilise un peu plus les institutions judiciaires, révélant les scénarios écrits d’avance, les falsifications de preuves, le chantage sur témoins ou la corruption. Avec la détermination d’un bulldozer et un flegme à toute épreuve, Akizumi désolidarise les parties, casse les liens et s’attaque aux « maillons faibles » du système.

Ce faisant, il malmène les déterminismes qui font d’un suspect un accusé ou d’un enfant de coupable un coupable à son tour. Épisode après épisode, c’est toute la hiérarchie qui en prend pour son grade, au plus haut niveau de la justice… et jusque dans la sphère politique. Le florilège de méthodes, légales ou non, par lesquelles la défense obtient gain de cause, a de quoi surprendre.

Puis, à la moitié de la série, les motivations profondes du héros se dessinent plus nettement : lié à une ancienne affaire, Akizumi est engagé corps et âme dans un projet rédempteur.

Le hitojichi shihō, au cœur de la série… et des critiques

En 2018, les démêlés de Carlos Ghosn, ancien président de Nissan et de Renault, avec la justice ainsi que sa fuite rocambolesque l’année suivante révélaient au grand public occidental un aspect peu conventionnel de la justice japonaise, qualifiée de « justice de l’otage » (hitojichi shihō).

Interrogé pendant 53 jours avant d’être officiellement accusé, l’homme d’affaires français a ainsi expérimenté ce que de nombreux suspects vivent au Japon (à l’exception sans doute de la fuite !).

Car dans les faits, tout suspect arrêté peut être placé en garde à vue et interrogé sans avocat durant 23 jours, renouvelables à chaque nouvelle charge apportée au dossier. Durant ce délai qui peut se prolonger de longs mois, les interrogatoires – sans avocat ni respect du droit à garder le silence – qui ont lieu dans les locaux de la police permettent d’obtenir des informations. Il n’existe pas, par exemple, de remise en liberté sous contrôle judiciaire qui permettrait l’avancée de l’enquête sans risquer la fuite du suspect.

Mais ils servent aussi et surtout à arracher des aveux, base sur laquelle 89% de toutes les condamnations sont obtenues. Toute personne qui nie les faits qui lui sont reprochés voit donc sa détention prolongée.

Cette justice de l’otage est susceptible de favoriser la condamnation de nombreux innocents comme la violation des droits humains, à travers la torture ou des méthodes illégales d’interrogatoire. Dans Anti hero, un cas de ce genre vient illustrer comment cette spécificité judiciaire, à la fois anticonstitutionnelle à l’échelle du Japon et contraire au droit international, brise des familles de façon tragique en cas d’accusation abusive.

Au Japon, des procès défraient régulièrement la chronique en remettant au centre des débats le hitojichi shihō, comme celui des responsables de l’entreprise Ohkawara Kakohki, fin 2023, au cours duquel la police et le parquet de Tokyo ont été condamnés pour falsification de preuves.

Pus anciennement, l’affaire Muraki Atsuko, en 2009, est également emblématique : le procès de cette fonctionnaire accusée à tort de « fraude postale » avait révélé que le ministère public avait détruit toutes les notes prises lors des interrogatoires effectués à huis clos durant une détention longue de 164 jours. Cette affaire aura malgré tout eu le mérite d’aboutir, en 2018, à une réforme judiciaire, impliquant notamment l’obligation d’enregistrement des auditions dans certaines affaires, mais jugée encore insuffisante.

Preuve en est que les japonais se préoccupent de moderniser leur justice, Human Rights Watch et Innocence Project Japan, une ONG japonaise, ont récemment lancé une campagne contre le système de « justice de l’otage ». Des professionnels de la justice se mobilisent auprès de la Japan Federation of Bar Associations (Fédération des associations du barreau du Japon) qui mène des actions au long cours en vue d’une réforme du code de procédure pénale.

La peine de mort, ultime épée de Damoclès

Au Japon, qui dit accusation de crime, dit peine de mort, car le pays est l’un des derniers de l’OCDE, avec les États-Unis et la Corée du Sud, à la pratiquer. Pour l’opinion publique japonaise, le taux d’approbation de la peine de mort atteignait encore 80,8 % en janvier 2020, même s’il tend à diminuer.

Obtenir un acquittement, qui plus est celle d’un homme condamné à mort abusivement, donne ainsi lieu dans la série à une course dramatique contre la montre où le héros n’hésite pas à donner de sa personne et à franchir certaines barrières pour servir sa mission.

Au-delà du verdict, c’est la question de la réhabilitation du « coupable » aux yeux de la société qui se pose. Un accusé sera toujours coupable aux yeux de la majeure partie de la société. Si les aveux sont destinés à exprimer les remords qui conduisent, selon le discours officiel, à devenir meilleur suite à une faute, l’anti-héros est celui qui n’est pas dupe des belles paroles et qui reste bien décidé à tordre le cou à la fameuse « loi des 99% ».

Avec la promesse qu’il défend jusqu’au bout avec honneur, Akizumi est le défenseur d’une justice moderne, réformée, au service de l’humain dont la survie sociale est également en jeu. Une justice prête à accepter sa propre impuissance à condamner tous les coupables mais qui refuse de sacrifier un seul innocent. Une justice, enfin, où les femmes sont aussi de la partie. De ce point de vue, le maître a œuvré pour former la relève… à découvrir depuis juin 2014 sur le Netflix français.