Greg Girard est principalement connu dans le milieu de la photographie pour son travail, étalé sur trente ans, illustrant les transformations sociales et architecturales des grandes villes asiatiques. S’il s’est plus particulièrement penché sur les villes de Hong Kong et de Shanghai, une ancienne série de photographies consacrée à la capitale vient de refaire surface, documentant à la fois le style de l’artiste et le Tokyo d’une époque révolue. Ces clichés nous plongent dans un autre univers. La capitale du Japon avant l’arrivée du tourisme de masse…
Né en 1955, Greg Girard s’est rendu à Tokyo du milieu à la fin des années 1970, soit au tout début de sa carrière de photographe, lui-même à peine âgé de 20 ans. Le jeune homme voulait alors se détacher de sa ville natale de Vancouver et choisit le Japon sur les conseils d’un autre voyageur. Et la vue de la capitale du Japon, à l’orée du boom économique, a indubitablement contribué à forger son style. Il pensait y faire un court séjour, il y restera finalement plusieurs années, comme beaucoup de voyageurs foulant ce sol.
En plus de sa vision d’artiste, ses photographies offrent un témoignage visuel historique unique d’un Tokyo au début de son expansion économique et de sa profonde transformation architecturale. Occupé et administré par les États-Unis de septembre 1945 jusqu’en septembre 1952, le Japon des années 70 s’est partiellement défait de l’influence américaine et cherche sa propre voie pour construire son avenir de puissance mondiale. Une période charnière du Japon contemporain que Greg Girard nous rend accessible dans ses photographies de rue.
Cent clichés du Tokyo des années 70 sont récemment parus par l’ouvrage Tokyo-Yokosuka 1976-1983, disponible sur le site de Greg Girard, dont voici un aperçu…
« C’était tellement évident que c’était une sorte d’endroit de science-fiction – ce mot m’est venu à l’esprit en regardant la ville par la fenêtre du train » Greg Girard (Tokyo-Yokosuka 1976-1983)
La trace de l’ancien occupant américain reste présente et influencera la culture japonaise jusqu’à nos jours.
Pour capturer ce « ventre urbain » en pleine mutation, Greg Girard n’hésitait pas à parcourir les rues tokyoïtes à 5h du matin… à la rencontre des créatures nocturnes.
A cette époque, si des photographes japonais immortalisaient avec talent leur pays sur la pellicule, rares étaient leurs confrères occidentaux à avoir ramené des clichés du Japon. En conséquence de quoi, peu de personnes en dehors de l’archipel savaient à quoi ressemblait Tokyo à cette époque. D’où le choc d’autant plus grand pour le jeune photographe canadien quand il découvrit en 1976 la future mégalopole la plus peuplée au monde.
Greg Girard ne retournera pas au Japon avant des décennies… Il se rendra plusieurs fois à Okinawa entre 2008 et 2016 pour observer la cohabitation (tendue) entre les Japonais et les soldats américains ainsi que l’empreinte laissée par ces derniers, présents depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. 20% du territoire d’Okinawa concentre en effet plus de la moitié des forces militaires américaines demeurant au Japon malgré la restitution de la préfecture en 1972. Aujourd’hui encore, ces relations parfois tendues continuent de faire parler. Il publiera ses photos – avec l’ajout d’images et de documents d’archives – dans l’ouvrage Hotel Okinawa en 2017.
Que reste-t-il du Tokyo des années 70 ? Très peu de chose. Outre la modernisation « normale » de tout pays, le rouleau compresseur de la mondialisation culturelle est passé par là. Starbucks, Mcdo, H&M et autres enseignes transnationales pullulent désormais dans la capitale nippone qui peine à préserver sa propre identité, à l’instar de toutes les grandes capitales mondialisées. Mais quelques petits quartiers tentent de résister à la reconstruction sans fin. On citera par exemple Nakano et son fameux « Broadway » aux nombreuses échoppes vintages, figées dans le temps. Certaines ruelles d’Asakusa conservent aussi parfois cette atmosphère typique de l’ère Shōwa. Mais pour combien de temps encore ?
S. Barret
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