Les estampes les plus connues dépeignent paysages du Japon, acteurs de Kabuki, courtisanes de haut-rang ou scènes érotiques. Mais à la fin du XIXème siècle, quelques estampes d’un genre confidentiel et étonnant se détachent de ces grands classiques pour représenter l’intérieur du corps humain dans un but informatif. Aujourd’hui, elles refont surface !
De part la volonté du gouvernement shogunal de l’ère Edo, le Japon demeure un pays isolé du reste du monde pendant près de deux siècles à compter de 1641 jusqu’à l’arrivée du Commodore Perry et ses « bateaux noirs » en 1853 qui amorça l’ouverture du pays vraiment effective à l’ère Meiji (1868-1912). Durant cette période, les échanges avec l’étranger se limitaient à quelques ports ouverts que les matelots n’avaient pas le droit de quitter. Les étrangers notamment les ecclésiastiques furent expulsés et les Japonais avaient interdiction de quitter leur pays sous peine de mort. Dans ces conditions, le Japon n’a profité pleinement des avancées technologiques, scientifiques et médicales de l’Occident que vers la fin du XIXème siècle lorsque le nouveau gouvernement Meiji lança la modernisation et l’industrialisation du pays encore très féodal en s’inspirant des pays occidentaux avec lesquels il entendait rapidement faire jeu égal sur le plan diplomatique.
Parmi les nouveaux savoirs apportés par les étrangers, les Japonais ont découvert une médecine radicalement différente de la leur, qui détaillait le fonctionnement du corps humain comme ils ne l’avaient jamais imaginé. Et le meilleur moyen pour informer une grande partie de la population fut la mise en image par le biais d’estampes, de la représentation interne du corps humain. Et quelles représentations !
Par exemple, l’estampe ci-dessus, dont le titre est souvent traduit par « Règles de vie diététique », montre un acteur de kabuki en train de manger et boire. L’artiste, Utagawa Kunisada, a souhaité illustrer le processus de digestion de manière ludique : on aperçoit des petits bonhommes qui « travaillent » à l’intérieur du corps dans différent organes (vésicule biliaire, estomac, intestins, vessie), comme dans un épisode de « Il était une fois la vie ». À noter toutefois que les informations apportées ne sont pas toutes scientifiquement exactes, car ici le cœur semble diriger les opérations. Son importance est d’ailleurs signifiée par le savant assis devant des piles de livres, symboles du savoir. On note aussi que la rate est située du mauvais coté.
Une autre estampe vraisemblablement du même atelier s’attache cette fois à décrire les « Lois de la vie sexuelle » en partant du portrait d’une courtisane de haut-rang. Cette fois-ci ce sont les organes nécessaires à la procréation (comme l’utérus, énorme) qui sont mis en avant de façon similaire avec toujours le cœur aux commandes. Ces deux estampes peuvent se comprendre comme un avertissement, un appel à éviter excès de nourriture, boisson et sexe pour garder la santé.
Mais les artistes ne se sont pas contentés de représenter ce qui constituait le savoir médical de l’époque. Ils ont aussi adapté leurs croyances religieuses, figurant par exemple des divinités bouddhiques combattant des nouvelles maladies, amenées par les visiteurs étrangers. Utagawa Kuniteru III a ainsi figuré en 1885 les « Dix royaumes de l’organisme » inspirés du bouddhisme :
L’ancienne organisation de la société japonaise en quatre classes (samouraï, fermier, artisan, marchand) a inspiré cette classification métaphorique des organes liés à la souffrance, la mort et la vie selon le bouddhisme.
Dans une démarche similaire à celle de Utagawa Kunisada, un artiste inconnu a proposé sa vision des organes constituant le corps humain toujours agrémentée de figures humaines. Le corps est vu comme une communauté fonctionnant au bénéfice de son hôte.
« Dos et abdomen, jeux d’enfants » par un artiste inconnu :
Dans toutes ces estampes on notera le souci du détail et de la précision apporté aux dessins des organes et des humains miniatures tant dans leur tenue que dans leur posture.
S. Barret
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Sources : spoon-tamago.com / hyperallergic.com