Quand on demande à une Intelligence Artificielle de repenser le kimono japonais, on ne peut s’attendre qu’à un résultat venu d’un autre monde. Une artiste amoureuse du Japon s’est donné pour mission de « mettre à jour » ce symbole vestimentaire à l’aide d’une IA dans le but de promouvoir la culture japonaise de manière originale. Le résultat est assez bluffant, bien qu’il pose quelques questions d’ordre éthique. Découverte.
Difficile d’évoquer le Japon sans parler du kimono, ce vêtement emblématique si élégant et raffiné. Mais aussi beau soit-il, le kimono a pratiquement disparu du paysage nippon. Aujourd’hui, rares sont les japonais(es) à porter le kimono dans la vie de tous les jours. Pour cause, entouré de nombreux rituels et codes d’usage, ce n’est pas le vêtement le plus facile d’utilisation. Dès Meiji, les vêtements occidentaux, plus pratiques à porter, vont peu à peu remplacer le traditionnel kimono sous l’impulsion de la modernisation du Japon voulue par l’empereur. En moins d’un demi-siècle, le kimono va pratiquement disparaître du paysage et n’est aujourd’hui utilisé que lors d’événements importants de la vie des japonais.
Le kimono va emporter dans sa chute de très nombreux artisanats, depuis l’industrie de la soie aux teinturiers et brodeurs traditionnels. L’effondrement du kimono va aussi marquer la fin du monde du netsuke, ces fabuleuses sculptures miniatures portées à la ceinture de son kimono. Aujourd’hui, les artisans détenteurs du savoir indispensable à la confection d’un kimono sont âgés et la plupart d’entre eux ne trouvent pas de successeurs pour perpétuer leur tradition millénaire. Par conséquent, le serpent ne cesse de se mordre la queue : concevoir sur mesure un kimono de nos jours est particulièrement coûteux et il est plus facile, pour les japonais eux-mêmes, de se fournir dans le marché de l’occasion qui regorge de pièces très peu portées.
C’est dans ce contexte que la web artiste Carolina Kawakubo a voulu réinventer l’univers du kimono en faisant intervenir une intelligence artificielle de création d’images qu’elle retravaille ensuite. Originaire d’Allemagne, Kawakubo travaille au Japon et vit à Tokyo depuis plus de 10 ans. Passionnée de design, elle est tombée amoureuse des représentations symboliques japonaises. Elle ne s’en cache pas, Carolina signe ses œuvres « avec le support d’une technologie artistique d’intelligence artificielle ». Le résultat ne déçoit pas. À la limite de la réalité, les portraits de ces japonaises habillées de splendides kimono imaginaires, bien que peu réalistes, laissent sans voix.
« J’aime combiner l’esthétique japonaise avec des caractéristiques uniques et surprenantes, mêlant des éléments d’art anciens ou futuristes » explique-t-elle au site My Modern Met. « Dans mes œuvres, j’utilise principalement des couleurs vives dans une combinaison d’un look à la fois classique et frais. » Pour atteindre ce résultat fascinant, l’artiste demande à l’IA d’associer différentes peintures à l’huile avec des photographies de kimonos bien réels. Le résultat apparaît comme une fusion improbable de différents mondes qui semblent appartenir à une autre dimension.
Si la beauté de ces réalisations ne fait aucun doute, l’utilisation de l’IA pose de plus en plus question dans le milieu de l’Art. Pour cause, ces réalisations sont surtout des recombinaisons hasardeuses d’autres travaux d’artistes dont le talent n’est pas forcément reconnu. L’application présentée comme une intelligence artificielle puise à la frontière du légal dans des œuvres qui ne sont pas forcément libres-de-droit. La nouvelle pièce est pourtant présentée comme une œuvre originale signée d’un autre artiste qui n’a finalement fait qu’introduire des mots dans un générateur.
Mais l’originalité a ses limites. En effet, l’IA ne comprend pas la présence des signatures des artistes derrière les œuvres originales. Ainsi, on retrouve parfois sur les œuvres générées par IA ces signatures d’origine, mais transformées au point d’être illisibles, démontrant qu’une véritable œuvre fut utilisée comme base pour élaborer la forme générale de la nouvelle image. Malheureusement, les photographes et peintres derrière les œuvres originales n’apparaissent jamais dans les crédits des créations de l’IA et certains observateurs exigent aujourd’hui que ces sources soient affichées obligatoirement.
Par ailleurs, les artistes, dont la situation est souvent déjà précaire, craignent également que ces IA ne génèrent une nouvelle compétition économique menaçant leur activité. Pour cause, une IA artistique ne coûte pratiquement rien là où un vrai artiste devra investir des dizaines d’heures pour réaliser son œuvre.
Certains artistes tentent d’utiliser l’intelligence artificielle dans un but didactique, par exemple pour magnifier un trait culturel, comme c’est le cas dans les travaux de Kawakubo. Ses travaux sont à découvrir sur Instagram. On vous laisse juger par vous mêmes avec cette sélection d’images façonnées par les algorithmes complexes de Midjourney.