On prend les mêmes et on recommence ! Une nouvelle affaire de viol secoue le Japon dans un univers professionnel très fermé où le silence est une exigence sociale : la Justice. Comme avant elle Shiori Itō ou Rina Gonoi, elle choisit de parler publiquement de son viol, quitte à affronter l’isolement, la honte imposée et le poids d’un système judiciaire longtemps bâti pour ne pas entendre le cri des victimes. Derrière ces histoires singulières se dessine une lutte collective méconnue, pourtant bien réelle, menée par des femmes Japonaises de courage, contre la culture de l’omerta.
Quand l’institution devient ton violeur
L’affaire éclate en février 2024, dans les couloirs feutrés de l’institution judiciaire japonaise, où une voix s’est levée. Une procureure – appelons-la Hikari – accuse son ancien supérieur, le très haut placé Kentaro Kitagawa, de l’avoir violée. Mais ce qu’elle dénonce n’est pas seulement l’agression elle-même, mais tout un système qui entoure cette agression sexuelle : la mise en doute systématique de sa parole, les rumeurs salissant sa réputation, les procédures qui tournent à l’humiliation. Tout va être fait pour écraser Hikari sous le poids d’une organisation puissante dans la main d’hommes de pouvoir.
À peine revenue d’un long arrêt maladie lié à son traumatisme, Hikari découvre que les couloirs bruissent d’hypothèses cruelles… Chacun y va de sa petite théorie pour la discréditer : elle aurait consenti, elle n’aurait pas bu, elle chercherait à nuire. Puis viennent les représailles concrètes : une plainte en diffamation, déposée par son agresseur.
Kitagawa, lui, est arrêté en juin 2024 et jugé pour viol. Fait rare, il reconnaît publiquement « un préjudice grave » avant de se rétracter pour plaider le consentement d’Hikari. Ce revirement stratégique achève de montrer à quel point, dans les affaires de violences sexuelles au Japon, la vérité se joue autant dans les salles d’audience que dans l’opinion publique. Celui qui avait pourtant avoué se retrouve désormais à attaquer sa victime.
Shiori Itō : la première fissure…

Ce combat rappelle inévitablement celui de Shiori Itō, journaliste devenue figure du #MeToo japonais. En 2015, elle accuse un reporter influent, proche du pouvoir, de l’avoir droguée et violée. Sa plainte, d’abord enterrée, devient une affaire nationale grâce à son opiniâtreté. Itō prend la parole à visage découvert, geste impensable dans une société où la honte de la victime pèse plus que la faute du coupable.
Son documentaire, Black Box Diaries, censuré de fait au Japon (aucun distributeur n’a accepté de la diffuser…) retrace ce combat solitaire et expose un tabou culturel : au Japon, l’agression sexuelle est le plus souvent tue, parfois même au sein de la famille, par peur du scandale et de la honte. Ce film a offert au monde un accès brut à la réalité japonaise, et a inspiré d’autres femmes à sortir de l’ombre, comme Hikari !
Il convient de citer également l’histoire de Rina Gonoi, ancienne soldate violée durant son service. Après avoir été agressée sexuellement par trois collègues, elle obtient une condamnation historique. Mais là encore, les peines prononcées le sont avec sursis, donc peu effective. « C’est une victoire amère » disait-elle, consciente que l’affaire ne fera pas basculer du jour au lendemain une institution encore fermée à l’égalité. Son témoignage déclenche toutefois une vague d’autres révélations dans l’armée, preuve qu’une voix qui s’élève peut en libérer des dizaines.
Ces cas ont un point commun : ils affichent l’omerta qui gangrène le Japon en matière de viols et d’agressions sexuelles. Implicitement, en dépit des sourires de façade et des possibilités de faire carrière, les femmes y sont toujours considérées comme inférieures et surtout « disponibles » pour les hommes tels des jouets sexuels. Il est d’ailleurs toujours peu recommandé, pour une Japonaise, de se retrouver seule avec un Japonaise dans la même pièce. Pour certains, c’est un accord implicite de consentement sexuel…
Une loi qui change… timidement
Pendant plus d’un siècle, le viol au Japon n’était défini que comme un acte imposé par violence ou intimidation seulement. Les victimes droguées, inconscientes ou paralysées par la peur étaient invisibles aux yeux de la loi et ne pouvaient donc pas réclamer justice.
En 2017, après plusieurs scandales, la législation a évolué dans le bon sens : la peine maximale est passée à 20 ans et l’agression commise par un parent ou un tuteur fut enfin reconnue. Jusqu’ici, un parent avait de fait un « droit de viol » sur ses enfants, une fois encore implicite, au regard des lois incomplètes et dépassées. On comprend pourquoi le sujet de l’inceste au Japon est si prégnant. En 2023, nouvelle avancée en faveur des victimes : la violence n’est plus une condition pour qualifier un viol, l’âge du consentement passe de 13 à 16 ans, la prescription est allongée…
Malgré tout, les chiffres restent implacables : seuls 4 % des viols sont signalés, et plus de la moitié des victimes n’en parlent à personne, pas mêmes à leurs proches ou amis. La loi du silence règne, ce qui donne un pouvoir colossal aux violeurs. Pas étonnant de voir les mouvements féministes combattus avec rage par des mouvements masculinistes qui tiennent à garder ce contrôle royal sur le corps des femmes.
Ce qui freine la parole n’est donc pas seulement la loi, mais tout un système social profondément ancré dans les mœurs : la peur de « perdre la face », l’injonction à préserver l’harmonie collective, la honte intériorisée, le sentiment de supériorité des hommes. Les victimes racontent des interrogatoires déshumanisants par les personnels des institutions censées les protéger : reconstitutions avec poupée, questions intrusives, ton soupçonneux, remarques sur leur habillement, etc. Comme si leur parole devait être démontée pièce par pièce avant d’être crue.

Des fleurs contre l’oubli
En 2019, après une série d’acquittements retentissants, des citoyennes lançaient Flower Demo. Chaque mois, des femmes victimes d’abus se rassemblaient dans les grandes villes, brandissant des fleurs comme symbole de solidarité et d’espoir. Les discours s’y mêlent aux larmes, et l’espace public devient une tribune libre pour celles et ceux qu’on n’écoute jamais. Ces mobilisations ont contribué à la réforme de 2023 et ont semé une graine : le viol n’est pas un fait isolé, c’est un problème systémique, et le silence qui l’entoure est un choix politique.
Notons que le problème dépasse le cercle fermé des hommes Japonais. À Okinawa, les agressions sexuelles commises par des militaires américains stationnés sur l’île sont un scandale récurrent qui posent énormément de questions. Ces hommes là, aussi, profitent de l’omerta pour violer des Japonaises à tour de bras. Je me souviens en avoir rencontré un, à titre personnel, dans un bar Irlandais de la capitale. Alcoolisé, il pavanait à qui voulait bien l’écouter sur ces dizaines de Japonaises qu’il avait drogué à leur issu et violé dans les Love-Hotels d’Okinawa et de Tokyo. Ces militaires profitent en plus de protections spéciales difficilement compréhensibles pour les Japonais comme pour d’autres expatriés. Entre 1989 et 2023, des dizaines de cas sont recensés. La partie visible de l’iceberg. Chaque nouvelle affaire ravive la colère des habitants, à raison, et met en lumière l’impunité dont bénéficient certains auteurs, protégés par des accords militaires internationaux.
Bref,
La procureure Hikari, Shiori Itō, Rina Gonoi et d’autres encore, souvent anonymes, forcent la société japonaise à se regarder dans un miroir. Et, osons le dire, c’est une excellente chose ! Pourtant, en le faisant, elles s’exposent à une vie professionnelle brisée, à la honte forcée par l’opinion, voire à des menaces. Leur courage ne tient pas seulement dans les procès qu’elles intentent, mais dans le simple fait d’oser parler publiquement. Elles brisent l’omerta. Et par ce choix, elles ouvrent une brèche où d’autres viendront passer dans l’espoir de changer les mentalités pour de bon.
– Mr Japanization
Sources :
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France 24 – Au Japon, une procureure dénonce un viol et se bat pour obtenir justice
https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250811-au-japon-une-procureure-d%C3%A9nonce-un-viol-et-se-bat-pour-obtenir-justice -
CNews / AFP – Japon : une procureure saisit la justice après avoir été violée par son supérieur
https://www.cnews.fr/monde/2025-08-11/japon-une-procureure-saisit-la-justice-apres-avoir-ete-violee-par-son-superieur -
Mainichi – Ex-police officer supports sexual assault victims online
https://mainichi.jp/english/articles/20241204/p2a/00m/0na/012000c -
Asahi Shimbun – 59,000 sign petition over ex-prosecutor’s sexual assault
https://www.asahi.com/ajw/articles/15602874 -
Japanization.org – Shiori Itō : journaliste japonaise victime d’un viol
https://japanization.org/shiori-ito-journaliste-japonaise-victime-dun-viol/ -
Amnesty International – Japan: Rina Gonoi ruling a rare victory for sexual assault victims
https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/12/japan-rina-gonoi-ruling-a-rare-victory-for-sexual-assault-victims/ -
Le Monde – À Okinawa, de nouvelles agressions sexuelles commises par des militaires américains suscitent la colère
https://www.lemonde.fr/international/article/2024/07/12/au-japon-de-nouvelles-agressions-sexuelles-commises-par-des-militaires-americains-a-okinawa-suscitent-la-colere-de-la-population_6249291_3210.html -
Wikipédia – Flower Demo
https://fr.wikipedia.org/wiki/Flower_Demo -
Journal du Japon – #MeToo au Japon, un an après
https://www.journaldujapon.com/2018/10/05/metoo-au-japon-1-an-apres-un-mouvement-etouffe-par-la-pression-sociale/ -
NHK World – Flower Demo stories
https://www3.nhk.or.jp/nhkworld/fr/news/backstories/2296/























































