Cet homme en kimono, on le remarque à peine aux côtés d’une maiko (ou d’une geiko) qu’il escorte très discrètement lorsque cette dernière fait ses débuts. Tout au plus, sait-on qu’il s’agit de l’otokoshi, l’habilleur chargé d’ajuster le kimono des maikos et des geikos. C’est pratiquement le seul homme que vous croiserez dans leur univers secret, à l’exception des clients. Mais ses fonctions ne se limitent pas à ce rôle, lui-même mal connu… Alors, qui est cet homme invisible mais omniprésent dans l’univers des geishas ? Poulpy vous dévoile tout.

Dans l’univers exclusivement féminin des geishas, l’otokoshi est le seul homme qui a le droit de s’introduire dans l’intimité d’une okiya (établissement où les maikos sont en pension le temps de leur apprentissage). Sa fonction d’habilleur est la plus connue. Il est en effet impossible pour une maiko de revêtir seule son kimono et surtout de nouer sa ceinture « darari obi » longue de plus de 6 mètres ! Pour cette tâche, il est de coutume que la force d’un homme soit requise, même si dans certains cas, on peut plus rarement voir des femmes s’y atteler.

En dehors de cet aspect physique, revêtir le kimono est tout un art qui s’acquiert après des années d’entraînement. Car porter le kimono nécessite un certain nombre d’accessoires (qui seront souvent invisibles de l’extérieur) à placer parfaitement pour un résultat final harmonieux et solide : le sous-kimono « juban », le col « haneri », l’obiage, le datejime, l’obi-ita, pour ne citer qu’eux… L’otokoshi doit savoir adapter le kimono à la morphologie de chaque jeune femme pour que son port ne lui soit pas inconfortable, pour qu’il « tombe » parfaitement et ne risque jamais de se défaire. Sa responsabilité est donc primordiale et il est parfois accompagné d’un assistant.

L’otokoshi Kojima habillant Mameharu le jour où celle-ci devint geiko. Photo issue du livre « Now a Geisha » par John Paul Foster.

Cette fonction met l’otokoshi en contact rapproché avec les jeunes filles qu’il habille. Pourtant, contrairement à ce que certains esprits fantasment, il n’y a pas de place pour le flirt entre l’habilleur et une maiko/geiko. Leur rapport doit être strictement professionnel au risque de rompre la confiance à jamais et briser la carrière de l’habilleur qui ne sera jamais plus accepté ailleurs. L’otokoshi demeure concentré sur ses gestes précis et la jeune femme sur ses rendez-vous à venir. D’autant plus que, de nos jours, il ne reste que peu d’otokoshi à Kyoto : seulement douze hommes pour les cinq quartiers de geishas !

Les maikos et geikos commençant à travailler en fin d’après-midi/début de soirée, les otokoshi sont attendus dans les okiyas dans le même laps de temps et n’ont pas le temps de s’attarder et encore moins de compter fleurette aux pensionnaires. À peine ont-ils souvent le temps d’échanger quelques mots. En une dizaine de minutes, un otokoshi a habillé une maiko/geiko de la tête au pied, il passe ensuite aux autres membres de l’okiya avant de se rendre rapidement dans une autre okiya où l’on aura besoin de ses services. C’est donc un travail soutenu, long et éprouvant. L’otokoshi, inévitable et omniprésent, est pourtant le grand personnage méconnu de l’univers des geishas, en particulier en occident.

À noter que l’otokoshi ne décide jamais des tenues que la femme portera : kimono, obi et autres accessoires sont choisis par l’okasan, la propriétaire de l’okiya. Quand l’otokoshi arrive à l’okiya tout est déjà prêt, il n’a plus qu’à habiller les jeunes femmes. Normalement, les geikos devenues indépendantes et qui ne vivent plus à l’okiya, s’habillent seules chez elles. Mais lors d’évènements importants (ex: la cérémonie du Nouvel An), elles peuvent faire appel à un otokoshi pour soigner impeccablement leurs tenues plus complexes à ces occasions.

L’otokoshi Naboyuki Aiba aide Katsuhina, nouvelle maiko, encore peu habituée aux hautes sandales « okobo » à descendre des marches. Source : flickr

À Kyoto, dans l’hanamachi de Gion Kobu (le plus prestigieux des cinq quartiers de geishas de la ville), une autre fonction d’importance incombe à l’otokoshi. Lorsqu’une maiko fait ses débuts « misedashi », elle doit faire le tour des établissements du quartier auxquels son okiya est liée (autres okiyas, maisons de thé où elle travaille, commerçants) pour annoncer officiellement son entrée dans la profession. Une maiko qui devient geiko (évènement nommé « erikae ») doit faire de même. Dans cette tournée officielle du quartier la maiko/geiko est escortée de l’otokoshi qui la présentera à chaque visite. Si nécessaire, il lui tiendra une ombrelle pour la protéger du soleil ou de la pluie.

Son soutien est particulièrement précieux pour une toute jeune maiko, souvent très stressée lors de son misedashi et encore peu à l’aise dans son lourd kimono de cérémonie et avec ses hautes socques en bois. Lors de sa carrière, une maiko ou geiko de Gion sera amenée à faire de nouvelles visites officielles (annonce de son indépendance, de son départ). De nouveau, elle sera accompagnée de l’otokoshi. Dans les autres quartiers de Kyoto, cette fonction est assurée par un membre du « kenban », le bureau central de l’hanamachi.

L’otokoshi Kojima (qui habille une maiko en 5mn !), accompagnant Mikako, le jour de son « erikae ».

Habiller et accompagner maiko et geiko sont les fonctions les plus célèbres et les plus visibles d’un otokoshi. Toutefois, être otokoshi s’étend à une autre responsabilité moins connue mais plus importante. Il est ainsi en charge des affaires et outils que les maikos et geikos emmènent avec elles pour un banquet ou une représentation (un instrument de musique par exemple). Il doit s’assurer que ces biens retourneront sans problème à leur propriétaire.

En effet, les artistes n’ont pas la tête à devoir surveiller leurs effets personnels avant et pendant les représentations. Une tâche qui s’avère plus ardue lors du spectacle de danse annuel (Miyako Odori, Kitano Odori…) car après s’être produites sur scène, les maikos et geikos se rendent directement à leurs rendez-vous dans les restaurants ou maisons de thé. Les affaires qu’elles laissent à la salle de spectacle sont alors sous la responsabilité de l’otokoshi qui doit les rassembler et les déplacer en toute hâte.

Rouage discret – quasi invisible mais inévitable – du monde des geishas, l’otokoshi en est un maillon indispensable à son bon fonctionnement. Un ami, un confident parfois, mais surtout une personne de grande confiance sur laquelle ses membres peuvent toujours compter.

S. Barret


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Sources : johnpaulfoster.com / missmyloko.tumblr.com /