Hayao Miyazaki a signé plusieurs chefs-d’œuvre dans sa longue carrière. Et si un titre revient souvent en haut des listes des plus grands films d’animation de l’histoire, c’est bien « Le Voyage de Chihiro » qui est aussi notre film préféré ! L’année dernière, le long-métrage a connu une deuxième vie en se voyant adapté au théâtre. John Caird, réalisateur de la pièce, revient sur l’aventure qu’en a été la production.
Le Voyage de Chihiro était il y a encore trois ans le plus gros succès de l’histoire du box-office japonais. Il a pourtant été détrôné depuis par Demon Slayer : le train de l’infini. Néanmoins, malgré tout le respect que nous devons à ce dernier, pas sûr que l’on s’en rappelle encore dans 20 ans, au contraire de son aîné qui restera un classique de l’animation au moins pour les siècles à venir.
Il y a quelques mois, le film d’Hayao Miyazaki a même eu droit à une renaissance sous la forme d’une pièce de théâtre riche en couleurs. Sous la houlette de John Caird, Chihiro a alors pris vie cette fois-ci sur les planches. Le réalisateur se confie à nos confrères de Polygon sur cette expérience hors du commun et sur sa rencontre avec le maître.
An Englishman in Tokyo
On pourrait trouver étrange que ce soit un Anglais qui mette en scène l’adaptation théâtrale de Le Voyage de Chihiro mais ce serait mal connaître la carrière de John Caird. Le réalisateur est en effet un habitué du sol nippon puisqu’il y a multiplié les projets depuis 2006, avec de grosses productions comme Les Misérables ou Hamlet. Il se souvient de sa première rencontre dans les bureaux du studio Ghibli avec Toshio Suzuki, le producteur. Le Britannique ne devait s’entretenir qu’avec lui au départ avant qu’Hayao Miyazaki s’invite à la discussion à la grande surprise des deux hommes. La magie s’opère alors…
« Quand je lES Ai rencontréS, lui et son producteur, Toshio Suzuki, j’ai pensé que j’aurais du mal à les convaincre. En grande partie, je suppose, parce que, moi-même, je ne savais pas vraiment comment faire ce que je décrivais. Ça semblait impossible.
Je pense que la chose que je leur ai dite, que j’ai illustrée avec quelques dessins rapides, était que le secret serait de mettre les bains publics sur scène, parce que ce qui est génial avec « Le Voyage de Chihiro », c’est que la plupart de l’action se passe exclusivement dans un seul endroit. C’est inhabituel pour les films de Miyazaki – la plupart d’entre eux se déroulent au-dessus des montagnes et à travers les nuages, dans les airs et sous terre. Mais celui-ci a un cadre théâtral de base – le bain public lui-même. J’ai donc décrit comment je pensais que, si mes designers pouvaient créer un bain public sur scène, alors ce serait la réponse. Et j’ai décrit à peu près comment je pouvais le faire. Et ça leur a quasiment suffi. »
L’Anglais leur confie également combien il est admiratif des personnages que Miyazaki a créés et combien ce serait fabuleux de les voir interprétés par de vrais acteurs. Le Japonais trouve l’idée intéressante et donne son feu vert immédiatement. Un comportement loin de ce que l’on pourrait attendre du maître, si on en croit la rumeur.
Bourru et exigent ?
Le réalisateur de Mon Voisin Totoro, en dépit de son grand sourire, a en effet la réputation de ne pas être facile à convaincre et pas toujours de très bonne humeur. Pourtant, face à Caird, il s’est montré doux comme un agneau et à l’écoute.
« Ce n’est pas un grincheux. Il peut avoir une réputation curieuse par rapport à sa façon de répondre aux journalistes. Parce que je pense qu’il n’est probablement pas à l’aise pour s’expliquer et expliquer son processus. Tout dans le travail d’Hayao vient du dessin d’images, et c’est une occupation silencieuse. Vous n’avez pas besoin de mots pour décrire comment vous créez des images, tout est dans les images.
Alors j’imagine qu’il peut être un peu fatigué qu’on lui demande d’expliquer intellectuellement ce qu’il fait, ou de trouver une façon de décrire son processus. Je peux très bien imaginer que cela peut être difficile pour lui. Alors que s’il parle simplement à un autre artiste, comme moi ou n’importe qui d’autre dans notre profession, nous parlons simplement du travail et de la façon dont NOUS le faiSONs d’une manière technique. Il est beaucoup plus à l’aise avec ça, je pense. Il a été absolument charmant avec moi. »
De plus, le Japonais a laissé carte blanche à Caird, conscient que ce dernier se montrerait respectueux de l’œuvre originale. Comme il considérait Le Voyage de Chihiro comme un des plus grands films de l’histoire, ça n’a pas été trop dur. Il ne restait plus qu’à créer la pièce, coincée elle aussi entre deux mondes…
Le Voyage de Chihiro n’oublie pas ses racines
John Caird a beau être britannique, il ne voulait surtout pas enlever le Japon de l’ADN de la pièce. Déjà en la faisant jouer par des acteurs japonais, mais aussi en restant fidèle à l’art théâtral japonais, du Nô au Bunraku et ses marionnettes. Ce qu’il souhaitait également, c’est ne pas s’éloigner des valeurs philosophiques de l’archipel. La simplicité et l’esprit Zen.
« Ce qui me fascine, c’est la relation forte entre les anciennes traditions théâtrales japonaises et le shintoïsme, la religion et la philosophie. Ils sont tous connectés. (…) Il y a un lien si fort entre le théâtre japonais traditionnel et la pensée Shinto- même le sumo est liée au kabuki. Les costumes sont les mêmes. Le hanamichi, la passerelle qu’ils utilisent dans le théâtre kabuki, est en fait dérivée du sumo. Nous l’avons donc utilisé pour faire le pont entre le monde extérieur et les bains publics. C’est une façon d’incorporer des aspects de la culture japonaise sur scène, de sorte que vous sachiez toujours que vous êtes au Japon, dans un monde japonais authentique. »
Est-ce que Miyazaki a aimé le résultat final ? Difficile à dire car personne ne sait s’il l’a vu. Pourtant, une séance spéciale de la pièce a été proposée aux employés du studio Ghibli et plus de 200 ont fait le déplacement. Et nous, quand est-ce que nous pourrons la voir ? La version filmée avec 14 caméras devrait sortir en digital le 18 juillet ! Avec des sous-titres français ? Rien n’est moins sûr à ce jour, mais il y en aura au moins en anglais…
Un travail quoi qu’il arrive extraordinaire que nous avons hâte de découvrir. En attendant, vous connaissez la théorie selon laquelle Aru serait le frère décédé de Chihiro ? On vous la raconte ici.
Stéphane Hubert