La crise du coronavirus a durement affecté les milieux artistiques et culturels japonais. Elle a mis au chômage nombre d’artistes et d’intermittents du spectacle. Les mesures de distanciation sociale prises pour endiguer la propagation du virus ont vidé les musées, les salles de spectacles et de cinéma…quand ceux-ci n’ont tout simplement pas été fermés ! Même chose pour les grands évènements culturels. Cette situation inédite a entraîné un manque à gagner important pour ces établissements et personnes dont certains se retrouvent en situation financière délicate, voire catastrophique. Chose inédite, l’État japonais et les municipalités ont décidé de mettre en place des programmes d’aide financière en leur faveur…

Voilà une nouvelle qui va sans doute rassurer les acteurs des vies culturelles et artistiques japonaises alors que ces secteurs sont d’ordinaire vus comme non-prioritaires pour recevoir un soutien public. Cela n’a pas empêché le gouvernement japonais d’affecter 55,9 milliards de yens de son deuxième budget supplémentaire de l’exercice 2020 pour soutenir ces secteurs souvent jugés non-essentiels à l’économie. Et pourtant, qu’est-ce que le Japon, et son tourisme, sans la Culture ?

Un responsable de l’Agence des affaires culturelles a ainsi déclaré : « Nous aimerions cibler presque toutes les personnes impliquées dans les arts et la culture ». Un panel qui comprend des artistes de rue, des membres de compagnies de cirque, des disc jockeys, des comédiens, des arrangeurs de fleurs, des photographes et des joueurs de go… pour ne citer qu’eux. Aussi musiciens et artistes indépendants à court de liquidités ont droit à jusqu’à 200 000 yens chacun (en plus de l’aide individuelle de 100 000 accordée à tous les résidents). Des groupes artistiques et culturels d’un maximum de 20 membres pourront recevoir jusqu’à 1,5 million de yens pour acheter le matériel nécessaire à la poursuite de leurs activités.

Source : flickr

Pour pallier à l’annulation des spectacles, des concerts, des représentations théâtrales, des films etc. durant la fermeture des salles puis à l’obligation (durant un temps encore indéterminé) de laisser des sièges libres entre les membres du public à leur réouverture fin mai, de nombreux services de streaming ont été mis en ligne. Il était notamment possible, il y a quelques semaines, d’assister à d’importantes représentations de Kabuki en live sur Youtube ! Un dispositif qui recevra aussi des subventions ciblées du gouvernement. Celui-ci a fait approuver par le Parlement début juin une subvention de 25 millions de yens pour les services de streaming en ligne pour les concerts et autres spectacles artistiques tenus sans public.

Mais outre le gouvernement, les municipalités sont nombreuses à s’engager sur des initiatives variées pour venir en aide à leurs acteurs artistiques et culturels : la ville de Sapporo et la préfecture d’Akita ont commencé à financer des représentations en ligne gratuites sans public physique. La préfecture d’Osaka et la ville de Fukuoka subventionnent l’installation de matériel de tournage et les coûts de production de spectacles virtuels dans de petites salles de concert et théâtres.

À Hakodate (Hokkaido) la ville a crée un programme télévisé spécial accueillant des artistes locaux qui seront rémunérés. Le programme, lui, sera financé en partie avec les 5,48 millions de yens que la municipalité a débloqués de son budget supplémentaire pour l’année 2020.

Façade du théâtre Kabuki-za à Tokyo. Source : flickr

Pour venir en aide aux artistes indépendants et aux groupes d’artistes, la préfecture d’Aichi a décrété un plan d’aide visant à augmenter de 100 millions de yens le budget destiné à l’achat d’œuvres d’art pour son musée préfectoral d’art durant les trois années à venir. Le gouvernement d’Aichi a en outre décidé d’accorder une aide financière (appuyée par des dons) pouvant atteindre 200 000 yens à chacun des artistes.
Lors de levées de fonds effectuées via des programmes de financement participatif, les groupes artistiques et culturels verront leurs frais de commissions pris en charge par la ville de Tsukuba.

À Kobe, des donateurs pourront prétendre à une exonération fiscale s’ils font des dons pour soutenir le secteur de l’art et de la culture local, une spécificité qui s’inscrit dans le cadre d’un régime fiscal dit de la ville natale nommé « furusato nozei ».

Tous les spectacles de danse du printemps des hanamachi de Kyoto ont été annulés en 2020. Ici le Miyako Odori des maikos & geikos de Gion en 2013. Source : flickr

Le milieu des geishas a aussi été durement touché : les clients ne pouvaient plus commander de banquets et organiser des rencontres avec les artistes. C’est l’activité de tout un secteur déjà précaire qui a été mis à l’arrêt, touchant non seulement les geishas elles-mêmes mais également tous les commerces, professions et établissements dont l’activité est liée à la leur : restaurants, traiteurs, ochaya, coiffeurs, bars… Pour leur venir en aide, la ville de Kanazawa a donc prévu de consacrer une part de son budget annuel à destination des geishas mais aussi d’autres artistes locaux œuvrant dans toute forme de divertissement traditionnel.

Ainsi, 38 geishas ont reçu une aide de 240 000 yens pour les aider à payer leurs frais et formations. Une somme sur laquelle aucun compte ne leur sera demandé. Un responsable de la ville a marqué son soutien en leur faveur en déclarant que les geishas de Kanazawa sont « un élément important de notre culture et un élément essentiel du tourisme local », « Nous espérons que (l’aide financière) les aidera à cultiver leur art en ces temps difficiles. »

À Kyoto, ville qui rassemble les geishas les plus prestigieuses du Japon, la fondation soutenant les hanamachis de Kyoto, Ookini Zaidan, a mis en vente des objets dont des masques confectionnés par les maikos et geikos elles-même (voir ci-dessous) et un crowdfunding a été mis en place. Le renommé quartier tokyoïte de geishas d’Asakusa a également ouvert son propre crowdfunding.

Les autorités japonaises, tant au niveau national que régional, semblent avoir parfaitement conscience de l’importance de la culture et l’art nippon dans le rayonnement national et surtout international (et qui contribue au tourisme, un domaine sur lequel le gouvernement mise beaucoup depuis quelques années). D’où la mise en place de ces mesures de soutien exceptionnelles qui, on l’espère, aideront leurs bénéficiaires à faire perdurer leur art au-delà de la crise sanitaire.

Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que l’exceptionnalité d’une telle aide en dit aussi long sur le regard des autorités sur la Culture en dehors d’une période de crise exceptionnelle. Pour cause, matsuris et évènements culturels sont plus que jamais sur le déclin au Japon. Faut-il attendre que le domaine de la culture soit au bord du précipice pour comprendre qu’elle symbolise aussi l’esprit d’une société, notamment à travers les matsuri rassembleurs, offrant des divertissements complexes qui élèvent la société jusqu’à un niveau international ? On ne peut qu’espérer pour le Japon que l’aide à la Culture reste active après la fin de cette pandémie.

S. Barret

Image d’en-tête (flickr CC) : Sculpture « Yellow Pumpkin » de Yayoi Kusama à Naoshima.


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