L’affaire avait fait grand bruit en août dernier : plusieurs universités de médecine japonaises avaient avoué avoir volontairement baissé les notes de candidates à leur concours d’entrée pendant plusieurs années pour assurer un taux de réussite masculin plus élevé : entre 20-30% de femmes contre 70-80% d’hommes. Une répartition stable depuis une vingtaine d’années qui interrogeait dans le milieu et chez les étudiants surtout en comparaison des pourcentages dans les autres pays de l’OCDE. Parmi les universités coupables de cette discrimination, l’université de médecine de Tokyo vient de publier les chiffres de ses derniers examens d’admission. Et cette année, suite à la refonte du système, le taux de réussite des femmes dépasse celui des hommes. Et combien de destins brisés pendant toutes ces années ?
Quatre universités s’étaient retrouvées accusées de pratiques discriminatoires envers les femmes suite à une étude du ministère de l’Éducation : l’université de médecine de Tokyo, l’université Juntendo, l’université Kitasato et l’université de médecine Sainte Marianna (par ailleurs la seule ayant démenti les accusations). Accusions qui se verront confirmées par les faits.
Différentes « justifications » avaient été mises en avant pour expliquer cette différence de traitement. L’université Juntendo prétendait ainsi rééquilibrer les chances entre hommes et femmes ces dernières étant soi-disant avantagées par des capacités de communication naturellement supérieures à celles des hommes. Une affirmation qui laisse pour le moins perplexe. De même que celle affirmant que les longs et durs horaires de travail seraient mieux supportées par les hommes surtout dans certaines spécialités comme la chirurgie. Les excuses sont faites pour s’en servir. Mais venant de hautes autorités universitaires, on ne peut que s’en étonner doublement.
Par ailleurs les femmes n’étaient pas la seule catégorie de candidats à être sous-notées. Faisaient aussi les frais de cette pratique, les étudiant(e)s qui se représentaient à l’examen après avoir échoué précédemment. L’université de médecine de Tokyo, particulièrement au cœur du scandale, a avoué avoir baissé les notes des candidat(e)s qui avaient déjà raté l’examen trois fois. Elle craignait de voir sa réputation baisser, ayant noté que ces candidats étaient plus nombreux à échouer ensuite à l’examen national des médecins praticiens.
La même université a admis avoir truqué son concours d’entrée depuis au moins 2006 pour que les femmes ne puissent obtenir qu’au mieux 80/100 points même si elles avaient répondu correctement à toutes les questions. Le but était de limiter à 30% le pourcentage maximum d’étudiantes féminines. La raison en est d’ordre purement culturel. Au Japon, les femmes ont tendance à arrêter leur métier après être devenues mères. Il s’agit encore aujourd’hui d’une « obligation sociale » tacite, héritée du patriarcat, à laquelle la plupart des femmes sont contraintes de se soumettre peu importe leur désir. Officiellement, les dirigeants estimaient devoir limiter le nombre de femmes médecins pour à long terme éviter une pénurie de spécialistes. Pourtant, on constate aujourd’hui que nombre de femmes japonaises trouvent un équilibre – souvent précaire au même titre que les hommes – entre leur investissement au travail et leur vie privée.
Depuis la révélation de ces discriminations, qui avait notamment valu de plates excuses publiques des responsables, le concours d’entrée a été repensé en urgence à l’université de médecine de Tokyo. Cette mauvaise publicité avait valu à l’université une chute des candidatures de plus de 60% faisant baisser le nombre de postulants à 470 femmes et 771 hommes. Soucieuse de restaurer son image entachée, la direction de l’université a décidé de publier les résultats de l’examen d’entrée 2019 en mai plutôt qu’en juillet, date habituelle. Sans surprise, les résultats réels sont très éloignés des précédents.
L’occasion de montrer que les pratiques douteuses ont été éradiquées en dévoilant pour la première fois un pourcentage de femmes admises légèrement supérieur à celui des hommes avec 20,2% de réussite féminine, soit 0,4 point de plus que pour les hommes. La réforme de l’examen que la nouvelle présidente Yukiko Hayashi a assuré être dorénavant « juste et impartial » semble avoir porté ses fruits. Suite au scandale, l’université avait décidé d’admettre 44 candidats recalés injustement ces deux dernières années ; sur ce nombre 24 (dont 16 femmes) se sont finalement inscrits. De plus, 101 autres candidats avaient été invités à se représenter au concours.
Cette manipulation de grande ampleur est révélatrice du profond ancrage des mentalités patriarcales qui perdurent à chaque échelon de la société nippone (et que de plus en plus de femmes contestent). Plutôt que de se demander comment faire pour que les femmes médecins puissent allier leur métier avec leur vie privée, les dirigeants des universités ont « logiquement » choisi de limiter leur nombre. Une solution de facilité qui ne touche pas à la valeur Travail des japonais, quitte à sacrifier carrières et vies privées. La Japan Women Medical’s Association a justement lancé un appel pour que les universités soutiennent les femmes plutôt que de les discriminer. L’association a également décidé de porter plainte contre l’université de médecine de Tokyo.
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Toutefois, le scandale provoqué par la mise au jour de ces pratiques montre aussi une volonté certaine de repenser le système alors que de plus en plus de femmes semblent accéder à des postes hiérarchiques. Des prises de conscience qui devront s’opérer en priorité au sein des établissements scolaires normalement garants d’égalité et de justice entre les étudiants. Augmenter le nombre de femmes à des postes de directions dans les universités et les hôpitaux pourrait aider à faire évoluer les anciennes « habitudes ». Des hôpitaux, dont on espère que l’exemple se généralisera, ont déjà mis en place des horaires aménagés et des garderies.
Le curseur de la responsabilité semble enfin commencer à se déplacer des femmes pour pointer l’inadaptation des conditions de travail et la nécessité de les repenser pour permettre à chacune de concilier vie privée et travail selon son envie et liberté.
S. Barret
Photographie d’illustration entête : des étudiantes à une cérémonie de recherche d’emploi à Tokyo en 2013. AFP PHOTO/Toru YAMANAKA
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