Si au printemps les Japonais vont contempler les cerisiers en fleurs, l’été venu ils partent volontiers à la recherche des lucioles qu’ils nomment « hotaru » ! Ces insectes partagent avec les sakura cette beauté unique et une durée de vie éphémère d’une dizaine de jours à peine…
Dans la littérature traditionnelle japonaise, en particulier la poésie, les lucioles sont une métaphore de l’amour passionné. Les Japonais y voient également la manifestation des âmes des guerriers morts au combat, tout comme les pétales de cerisiers symbolisent la vie éphémère des samouraïs. Un célèbre chant d’adieu, « Hotaru no Hikari » (La lumière de la luciole) fait référence à cet insecte décidément porteur de sentiments variés bien que le chant écossais dont il est inspiré ne fasse pas mention de lucioles.
Cette allusion manifeste à la mort est aussi évidemment présente dans le chef d’œuvre d’animation de 1988 « Le Tombeau des lucioles » (火垂るの墓) réalisé par Isao Takahata qui nous a quitté le 5 avril 2018. Probablement le chef d’œuvre le plus triste jamais réalisé par le Studio Ghibli. Sur la pochette officielle du film, on observe d’ailleurs que les « hotaru » sont indifférenciables des bombes que larguent les avions. La fin du film est également évocatrice de cette transformation vers le monde des esprits.
Une tradition ancienne
La tradition de chasser les lucioles nommé « hotaru-gari » remonte à l’époque Edo (1603-1868). C’était un passe-temps apprécié des classes aisées qui aimaient les capturer dans de petites boites à l’aide d’un éventail comme en témoignent les nombreuses estampes ukiyo-e qui ont immortalisé ce sujet. De nos jours, même si certains enfants courant toujours après les insectes, la chasse a laissé la place à la contemplation, l’appareil photo a remplacé les cages.
Des festivals sont aujourd’hui organisés pour contempler les lucioles entre fin mai et fin juin. Le plus célèbre se déroule à Tatsuno dans la préfecture de Nagano où plus d’un million de lucioles sont présentes chaque année ! La ville de Fussa, près de Tokyo, est aussi connue pour son festival des lucioles lors duquel a lieu un lâcher de 500 lucioles. Un peu plus artificiel donc, mais néanmoins apprécié des Japonais. Les villes de Tamba dans la préfecture de Hyôgo et Miyoshi dans la préfecture de Tokushima ont aussi un matsuri dédié aux lucioles.
À Kyoto, on peut se rendre le long du Chemin de la Philosophie ou au parc Uji pour avoir le chance d’en observer. À Osaka, rendez-vous à l’Expo Park, le fameux parc commémoratif de l’exposition universelle de 1970. Des soirées sont également organisées au jardin Sankeien de Yokohama entre la fin mai et début juin. Bref, avec un peu d’organisation et un bon timing, il est tout à fait possible d’observer ce spectacle partout à travers le Japon. Mais attention, ceci est très éphémère, bien plus que le sakura.
En matière de photographie, expérience, technique et dextérité sont requises pour obtenir ces clichés dont se dégagent à la fois la beauté et un sentiment de mélancolie. Et quand bien même montages et pauses longues sont nécessaires pour obtenir de tels clichés (car de telles visions sont invisibles à l’œil nu), cela n’enlève rien à leur charme. La photographie n’est-il pas aussi l’art de transcender la réalité au delà des limites humaines ?
On finira malgré tout en partageant nos doutes et nos craintes. Apercevoir des lucioles se fait de plus en plus difficile avec le temps. Vivant majoritairement dans les campagnes à proximité des cours d’eau, elles sont aujourd’hui menacées par la disparition de leur habitat et les pollutions agricoles, mais aussi par un commerce qui approvisionne certains hôtels et restaurants désireux d’embellir leur jardin avec des lucioles vivantes. Dans tous les cas, la nature résiste bien difficilement au poids des ambitions humaines. Ici comme ailleurs, le Japon entre peu à peu en résistance écologique.
https://www.youtube.com/watch?v=O69PhjhbWEc
S. Barret
Sources : thoughtco.com / spoon-tamago.com / vivrelejapon.com
Photographie d’entête : Wasabitool Photography