Vous le savez, Poulpy adore les kimono et autres artisanats traditionnels gravitant autour : obi, kanzashi ou encore inro et netsuke (régulièrement proposés sur notre page Tipeee). Mais il est un sujet qu’il n’avait pas encore abordé et qui permet au kimono d’être ce vêtement unique : la manière dont le tissu est ornementé. Aujourd’hui donc, découverte des plus belles techniques de teinture et de tissage !

Au fil des siècles, les artisans japonais ont développé une grande variété de techniques pour embellir les étoffes avec de multiples motifs. Deux grands procédés de base se distinguent : l’ato-zome, la teinture de fils déjà tissés – comme le yûzen (友禅) – ou son inverse, le saki-zome, le tissage de fils déjà teints – tel le kasuri (絣).

Les motifs peuvent être teints soit directement sur le tissu à la main ou au pochoir, soit par ligature des fils ou du tissu ou encore par application d’une réserve de pâte de riz (une technique artisanale permettant d’éviter que le colorant se diffuse sur des zones prédéfinies) . Enfin, l’étoffe peut se voir rehaussée par l’ajout de feuilles d’or ou d’argent (surihaku) et de broderies (nuihaku) en fils couchés, laqués, d’or (kinshi), d’argent, ou de couleur.

A partir de toutes ces notes, les artisans composent une mélodie aboutissant à des kimonos uniques, à la splendeur sans cesse renouvelée, qui n’a de limite que leur imagination et leur savoir-faire.

Un petit point vocabulaire 

-armure : le mode d’entrecroisement des fils de trame et de chaîne. Il existe 3 armures principales : la toile, le sergé et le satin.
-crêpe : tissu léger à l’aspect ondulé
-satin : tissu lisse et uni qui prend le nom de son armure
-pongé : tissu uni, léger et souple avec une armure de toile en laine et bourre de soie
-taffetas : tissu de soie avec une armure de toile unie.

-fil de chaîne : fil tendu sur le métier à tisser
-fil de trame : fil passé par le tisserand entre les fils de chaîne

– écheveau : Assemblage de fils de chanvre, de soie, de laine, de coton repliés en plusieurs tours, afin qu’ils ne se mêlent pas. 

4 techniques de Tissage

1. Nishijin ori 西陣織

Cette technique complexe de tissage, spécifique au quartier ‘Nishijin’ de Kyoto, donne l’impression que l’étoffe est brodée. Le nishijin ori est réputé pour ses motifs élaborés, utilisant souvent des fils d’or et d’argent.

Coussin en soie nishijin ori. Collection particulière

Les plus beaux kimonos de mariage ‘uchikake’, obi, costumes de Nô et robes de moines bouddhistes sont réalisés en nishijin ori.

2. Kasuri 絣織り

Le Kasuri est une technique de teinture par réserve. Ici, les fils de trame et/ou de chaîne sont teints selon un motif défini avant d’être tissés grâce à une ligature : on enroule les écheveaux de fils (de trame et/ou de chaîne) d’un fil résistant très serré. Ainsi, lorsque les écheveaux seront plongés dans la teinture, les parties dissimulées par le fil protecteur n’absorberont pas la couleur.

Les contours des motifs apparaissent flous car les fils se déplacent légèrement durant le tissage. Cette technique demande une grande vigilance pour ne pas intervertir les écheveaux de fils teints au moment de les tisser ensemble et de retrouver le motif choisi sur l’étoffe finale.

Motif en kasuri. Source : , flickr

Le kasuri est apparu sur l’archipel des Ryûkyû (Okinawa) vers le XIVe ou XV siècle lorsque le commerce se développa avec l’Asie du Sud-est. Puis il est remonté sur l’archipel nippon au point d’être largement connu des artisans japonais au XVIIIe.

3. Tsumugi 紬織り

Il s’agit d’un pongé de soie tissé à partir de fils de soie de moindre qualité (cocons défectueux, bourre de soie) filés à la main. Des écheveaux de fils sont teints avant le tissage pour réaliser des motifs. La texture rugueuse et l’aspect mat de ce tissu sont appréciés pour les kimonos décontractés dans un style à la fois rustique et élégant.

Détail d’un kimono en soie tsumugi. Collection particulière

Vieux de 1300 ans, l’Ôshima tsumugi de la région de Kagoshima est l’un des tissus les plus réputés au monde. Le Yûki tsumugi des villes de Yûki et Oyama est inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2010.

4. Tissage uni

D’autres techniques de tissage permettent d’obtenir un tissu uni qui pourra ensuite être décoré (ou non) avec de la teinture, de la broderie, des feuilles d’or ou d’argent. Parmi les étoffes plus courantes :

-Chirimen (丹後ちりめん) : crêpe de soie dont les fils sont soumis à une torsion très forte ou un chauffage pour les déformer et obtenir un tissu à l’aspect ondulé.

-Habutae (羽二重) : type de taffetas uni, lisse et lustré de qualité supérieure.

-Omeshi (()) : crêpe de soie de haute qualité.

-Rinzu (綸子) : luxueux satin de soie damassé, caractérisé par le contraste entre le fond mat de la trame et les motifs brillants de la chaîne.

Teintures

1. Yûzen 友禅染

Le yûzen est une technique inventée au XVIIe siècle à Kyôto par Miyazaki Yûzensai (1654-1736), un peintre d’éventails qui souhaitait pouvoir peindre directement sur la soie. C’est une technique que l’on retrouve sur les kimonos de haute qualité car elle mêle plusieurs méthodes décoratives : teinture par réserve de pâte de riz ou de ligature, broderie, teinture au pochoir, peinture au pinceau, application de feuilles d’or et de fils précieux… Cette diversité lui permet de figurer des motifs expressifs très détaillés.

Les plus belles pièces nécessitent l’intervention successive de plusieurs artisans spécialisés à chacune des nombreuses étapes. On débute par le report du contour général des motifs sur le tissu grâce à une encre naturelle qui partira lors du rinçage à l’eau. Puis ces larges zones destinées à recevoir les motifs sont recouvertes d’une épaisse couche de pâte de riz. Ainsi, elles resteront blanches lors de la teinte de l’arrière-plan. Une fois la couleur du fond appliquée, le tissu est placé dans un bain de vapeur pour la fixer. Puis on rince l’étoffe pour en retirer l’excédent de teinture et la pâte de riz.

Les contours détaillés des motifs sont dessinés à l’encre lavable puis retracés de pâte de riz. Une fois séchées, ces lignes de pâte éviteront à la couleur de déborder lors de l’étape suivante de la teinture. Teinture qui est soit appliquée à la main au pinceau (tegaki yûzen), soit au pochoir (kata yûzen).

Le tissu fait de nouveau un séjour dans un bain de vapeur pour fixer les nouvelles couleurs puis est lavé et étiré pour retrouver sa forme un peu malmenée lors des étapes précédentes. Il ne reste plus qu’à poser les touches finales : broderies au fil précieux ou de couleur, application de feuilles d’or…

Pan de kimono teint en yûzen. Collection particulière

Il existe deux types de yûzen : le kyô yuzen et le kaga yûzen. Le premier est propre à Kyôto et on le retrouve évidemment sur les kimonos des geikos et maikos de la ville. Le second provient de Kanazawa et se distingue du kyô yuzen par un rapport coloré plus vif et une couleur employée de manière plus abstraite, aux touches décoratives. Le yûzen est aussi très présent sur les extravagants costumes de scène du théâtre Kabuki.

2. Shibori 絞り染め

Cette teinture par réserve est l’une des plus anciennes techniques au monde. Il s’agit de protéger certaines parties du tissu pour qu’elles n’absorbent pas la teinture. On procède par la ligature d’un fil de soie très serré, par enroulement autour d’un cylindre ou par pression entre deux planches pour obtenir des effets variés (bandes, pointillés).

Une fois la teinture effectuée, fixée à la vapeur et le tissu étendu, on obtient une surface en léger relief, en particulier lorsque les points noués sont minuscules. Cette texture fait partie intégrante du tissu, il ne faut surtout pas le repasser !

Il existe de nombreuses déclinaisons du shibori (miura shibori, kumo shibori, nui shibori, arashi shibori, itajime shibori…). Mais le plus célèbre et facilement identifiable est le kanoko shibori, avec son aspect de taches de faon, perfectionné par les artisans de Kyôto à l’époque Edo (1603-1868).

Un kimono entièrement réalisé en kanoko shibori vaut une petite fortune de par le temps et la précision nécessaire pour nouer le tissu.

Détail d’un haori en kanoko shibori. Collection particulière

La teinture au pochoir ‘suri hitta’ imite l’apparence du shibori, sans sa texture.

3. Tsujigahana 辻ヶ花

C’est une technique mixte née à l’époque Momoyama (1573-1603) durant laquelle l’art shibori était très prisé. Les artisans ont imaginé combiner le shibori à d’autres techniques pour compenser ses motifs aux contours flous. Ils ajoutèrent donc des motifs nets, peints au pinceau et à l’encre de Chine. L’intérêt de ce mélange résidait dans le contraste entre le flou du shibori coloré et la netteté du trait au pinceau noir.

Détail d’un kimono contemporain en tsujigahana dans une composition typique de l’époque Momoyama. Source : Kimono Art traditionnel du Japon, page 76

Puis, les dessins gagnèrent de la couleur, des ombrages et des touches de broderie, ce qui amoindrit le contraste initial. Le shibori s’étendit hors de son cadre sur toute la surface. Initialement rehaut ponctuel, la broderie devient systématique. Cette évolution aboutit au ‘nui shibori’ : un mélange de shibori et de broderie, qui remplace désormais le tsujigahana.

4. Katazome 型染め

Il s’agit d’une technique de teinture au pochoir par réserve de pâte de riz qui permet de reproduire des motifs répétitifs avec précision sur toute la surface du tissu. Le pochoir (katagami) est découpé dans du papier japonais ‘washi’, il doit être renforcé avec plusieurs couches puis imperméabilisé au jus de kaki. Il lui faut être suffisamment solide pour résister à toutes les étapes répétées du katazome.

Vient son utilisation. Le pochoir est posé sur le tissu, puis on y applique de la pâte de riz qui protégera les zones évidées de la teinture. On procède à la teinte du fonds, puis on lave le tissu une fois la teinture sèche.

Ce procédé rappelle beaucoup le yûzen. Comme pour celui-ci, chaque étape (découpe, renforcement, imperméabilisation du pochoir, application de la pâte) est réalisée par une personne dédiée. Mais à la différence du yûzen, le katazome présente généralement deux couleurs : celle du fonds et le motif en blanc crée par la protection de pâte de riz sur le pochoir. Les yukata confectionnés de manière traditionnelle ont recours au katazome.

La répétition à l’identique du motif au pochoir sur toute la surface du tissu nécessite une grande habilité : une légère variation de pression sur le pochoir lors de l’application de la pâte suffit à altérer le motif.

5. Bingata 紅型染め

Cette technique de teinture au pochoir originaire d’Okinawa se caractérise par ses couleurs très vives. Elle peut combiner trois méthodes : la réserve par empâtement au pochoir, la peinture au pinceau et l’impression directe au pochoir. Le bingata représente principalement des motifs issus de la nature : animaux, eau, fleurs, paysages.

Bingata des Ryûkûy. Source : , flickr

Toutes ces techniques brièvement présentées ici illustrent la grande richesse développée par l’artisanat japonais au fil des siècles. Si de nos jours, les kimonos se font rares au quotidien, les artisans se sont adaptés et proposent de nouveaux objets (porte-monnaie, pochettes, abat-jour, housses…) permettant de garder ces traditions vivantes.

S. Barret


Bibliographie

Kabuki, costumes du théâtre japonais catalogue d’exposition – Artlys, Fondation Pierre Bergé & Yves Saint-Laurent

Kimono Art traditionnel du Japon de Sylvie et Dominique Buisson – Edita Bibliothèque des Arts

Kimono, Au bonheur des dames catalogue d’exposition du Musée national des arts asiatiques Guimet – Gallimard (2017)

Kimonos Art Déco – Tradition et modernité dans le Japon de la première moitié du XXème siècle dirigé par Annie Van Assche – 5 Continents Editions

Image d’entête @Nigel Goodman/Flickr