La nouvelle a de quoi retourner le cœur des amoureux du monde des geiko et de leurs apprenties maiko qu’on imagine si pures et ingénues. À seulement 22 ans, une ancienne apprentie a décidé de se lancer dans le monde de la pornographie. Une solution plus « simple » qu’une vie de maiko, selon elle. Un choc pour les aficionados qui n’étonnera pourtant qu’à moitié…
Une Maiko de Kyoto est devenue actrice de films pour adultes fin mai 2024. L’annonce a fait vivement réagir les Japonais sur les réseaux sociaux et grincer quelques dents à Gion qui peine à préserver une image chaste. Pour cause, le contraste est saisissant. Comment passe-t-on de jeune apprentie dédiée aux Arts japonais délicats à une actrice porno spécialisée dans les scènes de viols ? À 22 ans seulement, la jeune Kanoko Kagawa assume son choix radical dans les médias japonais. Elle exprime notamment sa démarche dans une interview pour Yahoo Japan.
« En dépit d’avoir tout donné en tant que Maiko, je ressentais des frustrations dues à mes échecs répétés. »
Dès la sortie du collège, soit vers 17 ans, Kanoko s’est investie dans un parcours artistique avec l’espoir de devenir populaire. Elle réussira à intégrer le prestigieux parcours de Maiko à Kyoto, à la fois extrêmement prisé, mais paradoxalement en voie d’extinction tant les candidates sont peu nombreuses. Après avoir emménagé dans une okiya (置屋/maison de geisha), elle s’est consacrée à l’apprentissage des arts traditionnels pendant quelques années, mais la tâche lui était pénible et les échecs nombreux. Au milieu de sa formation, elle prend soudainement la fuite et de s’inscrire dans une agence de films X quelques années plus tard. Pourquoi la jeune fille a-t-elle choisi de devenir actrice de films pour adultes ? Sa réponse dévoile la rigueur du métier de Maiko et l’envers d’un décor idéalisé. Voici une traduction de son interview au Japon.
Nous aimerions une réponse honnête : étiez-vous vraiment une Maiko ?
« Oui, après avoir terminé le collège, j’ai été Maiko tout ce temps. En réalité, je rêvais de devenir idole, mais je me suis dit que ce n’était peut-être pas réaliste avec mon potentiel. En cherchant un domaine aussi éclatant, je pensais que devenir Maiko était un travail que je pouvais faire. »
En considérant que vous deviez danser et avoir une période d’apprentissage, cela semble un choix assez similaire mais audacieux, non ?
« J’admirais les femmes fortes de caractère. J’avais envie de m’entraîner dans un endroit strict dès mon jeune âge. Je me suis demandé quel était le lieu le plus rigoureux à Kyoto et la réponse était évidente : le quartier des geishas, donc être Maiko. »
Avez-vous envisagé d’aller au lycée ?
« Pas vraiment. Je pensais qu’on pouvait toujours étudier en tant qu’adulte, et cette opinion n’a pas changé. Ma mère n’était pas particulièrement contre, mais mon père voulait que je mène une vie stable et m’a suppliée d’aller au lycée. Finalement, je suis devenue Maiko sans son consentement et, après environ deux ans et demi à ignorer ma famille, il a fini par accepter. »
Comment avez-vous trouvé le travail de Maiko que vous aviez entrepris avec tant de détermination ?
« Dès le début, je savais que je ne pourrais pas faire cela toute ma vie. En fait, je ne m’intéressais pas du tout aux arts traditionnels. Je n’ai appris que les bases comme la danse, la cérémonie du thé et quelques instruments. D’autres filles apprenaient le shamisen ou la flûte, mais pas moi. »
Étiez-vous une Maiko populaire ?
« J’ai eu la chance d’apparaître à la télévision et dans des publicités, mais pour être honnête, je n’étais pas vraiment une grande star. J’avais atteint un certain niveau, mais aller au-delà demandait un talent que je n’avais pas. Les filles vraiment populaires aiment profondément les arts et leurs yeux brillent pendant les entraînements. C’est ce qui me manquait. »
Comment se déroule une journée typique pour une Maiko ?
« Je me réveillais vers 7h avec le bruit de l’aspirateur, puis j’aidais au ménage. Après le petit-déjeuner, les cours commençaient de 9h à 14h. À partir de 17h, nous allions dans les maisons de thé et revenions vers 1h du matin pour nous démaquiller et dormir. »
Un emploi du temps bien chargé. Avez-vous des jours de congé ?
« En principe, nous avions deux jours de congé par mois, mais dans notre maison, cela dépendait de l’humeur de notre aînée qui pouvait décider soudainement : ‘Tu peux te reposer aujourd’hui’. Lors de ces jours de congé, je rentrais souvent chez moi. Mon aînée n’aimait pas que les jeunes Maiko se promènent près du quartier des geishas pendant leurs jours de congé, donc elles étaient pratiquement forcées de rentrer chez elles. Pour moi, qui viens de Kyoto, c’était facile, mais pour celles qui venaient d’autres régions, c’était plus compliqué. »
C’est vraiment une société hiérarchisée. De plus, les Maiko vivent en communauté, n’est-ce pas ?
« Oui, et dans notre maison, les Maiko ne s’entendaient pas du tout entre elles. On ne me disait même pas les horaires des cours et on ne m’aidait pas dans mes pratiques artistiques. Devant les clients, nous faisions semblant d’être amies, mais en réalité, c’était un monde très compétitif. »
N’avez-vous jamais eu envie de quitter ce milieu ?
« Je n’avais jamais travaillé ailleurs, donc je pensais que c’était ainsi dans tous les milieux professionnels. »
Y a-t-il vraiment eu des incidents avec les clients, comme on en entend parler récemment ? (Référence à une Maiko forcée à prendre un bain avec un client).
« Non, absolument rien de tel. Notre maison était très stricte sur ce point et suivait la règle : ‘Vendez votre art, mais ne vendez pas votre corps !’. Je n’avais donc aucune information ou connaissance à ce sujet. Quand j’ai entendu parler de ces scandales sur Internet, j’ai été très surprise. Je pense que ces pratiques varient énormément selon les maisons et les quartiers. »
Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a conduit à débuter dans l’industrie des films pour adultes ?
« J’avais une silhouette plus ronde auparavant, mais j’ai soudainement beaucoup maigri l’été dernier. J’ai alors pensé : ‘Je veux faire des films pour adultes ! Maintenant, je pourrais y arriver !’ et j’ai cherché une agence par moi-même et postulé. »
Vous n’avez ressenti aucune hésitation ?
« Quand j’étais à l’école primaire, il y a eu une période où les films pour adultes étaient très populaires parmi mes camarades. Bien que ce ne soit pas permis, je regardais secrètement des sites gratuits et j’étais déjà très intéressée par ces sujets. Je n’avais aucune expérience sexuelle jusqu’à 19 ans et, étant Maiko, je ne pouvais pas avoir de petit ami, donc je pensais que je finirais ma vie ainsi. Mais après ma première expérience, j’ai commencé à rencontrer différents hommes pendant mes jours de congé. À ce moment-là, j’avais quelque part en moi l’idée que je ferais peut-être des films pour adultes un jour. »
Cette intuition est devenue réalité avec vos débuts le 14 mai. Comptez-vous poursuivre dans cette voie ?
« Autant que possible, oui. Je veux rencontrer de nouvelles personnes et élargir mon monde. En tant que Maiko, même en travaillant dur, j’avais des frustrations dues à mes échecs, mais depuis que je suis devenue actrice de films pour adultes, je ressens que je fais un travail réel. Je vais continuer à m’efforcer de devenir une actrice que tout le monde soutient. »
(Interview par Chiyoko Mochizuki)
Idoles, chosification et commerce des corps
Le parcours de Kanoko Kagawa est-il si surprenant ? On le sait, le Japon déborde de jeunes filles dont le rêve est de devenir une « idole » et de briller dans les yeux du public. C’était le cas de Kanoko. Très vite, après avoir tourné le dos à leurs études et parfois leurs familles, les prétendantes font face à une réalité plus sombre et tragique : les débouchés sont rares et les prédateurs sexuels sont légion. La société japonaise objectifie les jolies jeunes filles tels des jouets sexuels, en particulier pour des hommes mûrs ayant accès à un capital financier plus important, donc du pouvoir sur elles.
Par ailleurs, les possibilités de carrières classiques pour les femmes japonaises restent limitées et les salaires sont de loin inférieurs à ceux des hommes. La culture créant de la culture et des comportements validant celle-ci, ce climat patriarcal et de soumission pousse naturellement des jeunes à s’objectifier pour briller en société et gagner facilement de l’argent. Une marchandisation des corps dans un contexte de perte de sens, de crise économique profonde et de capitalisme total. Car le monde de la pornographie n’est pas que mise en scène. Les actrices japonaises vendent aussi leurs services sexuels à de riches clients.
Aujourd’hui, Kanoko Kagawa n’est pas seulement une ex-Maiko devenue actrice de films pornos. Elle a intégralement incarné son personnage en idole sexuelle, tant sur le plan professionnel que personnel. Sur sa page Twitter, elle affiche avec fierté aimer avoir avec des rapports avec des hommes bien plus âgés, son penchant pour le masochisme et la biastophilie. La biastophilie est une déviation sexuelle dans laquelle le plaisir vient du spectacle du viol. Considérée comme maladie mentale en occident, cette pathologie émane notamment de traumatismes non-soignés.
Ainsi, dès ses premières vidéos pour adultes, Kanoko Kagawa « joue » la victime de violences physiques de la part d’hommes d’âge mûr et subit de multiples viols à l’écran. Elle enchaîne également les vidéos déguisée en Maiko, ce qui ne manque pas d’alimenter le mythe de la geisha prostituée. Le viol est un thème toujours en vogue chez les hommes japonais, alors que les violences sexuelles bien réelles restent une problématique nationale qui génère bien peu d’indignation.
Marquée par des vidéos de viols durant son enfance, Kanoko alimente à son tour cette sous-culture malaisante et pourtant si banale au Japon. C’est ce que le consommateur attendait d’elle. C’est ce que Kanoko a décidé d’incarner. La culture du viol comme produit marchand à part entière. « It’s easy, when you are big in Japan… »
Source : Yahoo Japan