A l’époque Muromachi (1333-1573), pour répondre à une hausse importante de la demande de bois, les Japonais développèrent la technique Daisugi 台杉. Cette technique de sylviculture permet de produire de manière durable du bois de qualité rapidement, sur un espace réduit, et sans abattre l’arbre-mère.
Depuis plusieurs siècles, le cèdre du Japon « sugi » (ou cèdre Kitayama) est apprécié dans l’Archipel pour la construction de bâtiments et la fabrication de meubles. Cette variété de bois offre à la fois longueur, résistance, solidité, croissance rapide et facilité à être travaillé. Il pousse particulièrement bien dans les montagnes de Kitayama au nord de Kyoto où ils ont été plantés en grand nombre.
Toutefois, les strictes conditions environnementales nécessaires à sa croissance (climat doux, pluie abondante, faible altitude) et le peu d’espace disponible empêchèrent son exploitation massive alors que la demande de bois grandissait au cours des XIVe et XVe siècle.
L’influence de la cérémonie de thé qui se répandait alors dans la haute société entraîna en effet la construction de pavillons dédiés dans un style architectural à la fois simple et raffiné, le « sukiya-zukuri ». Mais ces habitations particulières, résidences palatiales, temples et sanctuaires nécessitaient aussi quantité de bois pour leur édification. Il a donc fallu trouver un moyen d’en produire davantage.
Puisqu’il était impossible d’étendre la surface des forêts de cèdres, les Japonais de l’époque Muromachi (1333-1573) ont alors décidé de cultiver l’arbre verticalement, c’est l’apparition de la technique Daisugi 台杉 qui signifie « plateforme de cèdre ».
Au départ, un jeune cèdre âgé de 5 à 6 ans sert de support de culture « toriki ». On en conserve le tronc et les branches basses et on élague toutes les autres, à l’exception de trois ou quatre au sommet. Celles-ci seront retaillées environ deux ans plus tard, lorsque leur extrémité aura atteint un diamètre de 3 à 4 cm. Toutes les branches latérales sont coupées pour privilégier les pousses verticales.
Après une vingtaine d’années de taille régulière, celles-ci seront prêtes à être coupées et utilisées. Pendant environ 300 ans, l’arbre-mère produira ainsi régulièrement du bois. A terme, en multipliant le nombre de cèdres taillés en Daisugi, il devint possible de récolter une plus grande quantité de bois et plus rapidement que pour un abattage pur et simple en coupe rase d’une plantation d’arbres. Et ainsi de sauvegarder la forêt et son écosystème.
L’intérêt du Daisugi est donc multiple : le cèdre-mère prend un minimum de place pour donner un rendement de bois maximum tant en terme de quantité que de temps tout en étant de meilleure qualité. Car les longs troncs poussés verticalement, bien ronds et sans nœud présentent une meilleure flexibilité, résistance et densité, les rendant d’autant plus idéales pour la fabrication de poutres et de piliers.
On réservait dès lors les plus belles pièces de cèdre pour les poteaux (tokobashira) du « tokonoma », cette alcôve ornementale où il est de coutume d’exposer un rouleau suspendu et une composition florale d’ikebana en rapport avec la saison. Et malgré le déclin de l’architecture traditionnelle (pour une modernité souvent sans âme) au Japon, le bois de cèdre y reste très apprécié en ébénisterie.
De loin, le Daisugi donne l’impression de voir plusieurs arbres là où il n’y en a en fait qu’un seul. Cet aspect particulier de ‘bonsai géant’, ‘d’arbres poussés sur un arbre’ fut aussi cultivé dans un but uniquement esthétique pour agrémenter les jardins ornementaux.
Les Japonais ne sont pas le seul peuple à avoir eu l’idée de cultiver les arbres verticalement. Des techniques voisines ont aussi vu le jour en Occident.
Déjà dans la Rome antique on pratiquait l’écimage qui consistait à couper la cime d’un arbre pour limiter sa hauteur et faciliter la récolte de fruits. Puis, au Moyen-âge européen, sont apparus le taillis (laisser pousser des rejets sur une souche) et la trogne pour récupérer du bois de chauffage. Et si ces méthodes sont tombées en désuétude de ce côté du monde, le Daisugi, lui, perdure dans les montagnes de Kitayama.
Le Daisugi devrait même nous inspirer pour repenser notre dévorante industrie forestière moderne et la rendre plus durable et écoresponsable alors que la déforestation mondiale progresse de façon dramatique et écocidaire.
– S. Barret
Photo d’en-tête : Wikimedia Commons