Le tourisme au Japon avait connu un brusque frein après les évènements du 11 mars 2011 mais dés l’année suivante, les chiffres étaient repartis à la hausse. En 2016, le nombre de touristes étrangers avait même dépassé la barre symbolique des 20 millions, objectif du gouvernement pour les Jeux Olympiques de Tokyo de 2020. Confiant, le gouvernement a du coup revu ses prévisions à la hausse, espérant dorénavant atteindre les 40 millions de touristes étrangers pour 2020 et 60 millions en 2030. Mais si une telle fréquentation de l’archipel aura nécessairement des retombées économiques favorables, personne ne semble aujourd’hui songer aux conséquences négatives non négligeables du tourisme de masse…
Les touristes étrangers, et surtout les dépenses qu’ils effectueront lors de leur séjour au Japon, sont devenus une manne économique colossale alors que la dette du pays atteint 250% de son PIB, que la population japonaise décroit année après année et que le gouvernement refuse d’ouvrir les portes du pays à une immigration stricte. Dans l’espoir de renflouer ses caisses sur le dos du tourisme, le gouvernement japonais a même crée en avril dernier une nouvelle taxe de 1000 yen (7,50€) dont devront s’acquitter tous les touristes (japonais ou étrangers) qui quittent le Japon. Cette mesure surnommée « impôt Sayonara » qui entrera en vigueur dès janvier 2019 a été mal reçue par les professionnels du tourisme qui redoutent un effet négatif sur leurs activités.
Mais outre cet apport financier bienvenu, les médias pointent les difficultés rencontrées par de plus en plus de lieux touristiques et de matsuri pour gérer un flux important de touristes, problème qui a pris un nom à part entière : le « kankô kôgai » soit la « pollution touristique ». La ville de Kyôto en est l’illustration parfaite. L’ancienne capitale est une destination touristique prisée au grand dam de ses habitants qui voient une foule de touristes déferler dans les rues, les transports en commun, les restaurants, les sur-peuplant au point de devenir une gêne dans la vie quotidienne des locaux.
Si l’économie locale s’en porte bien, les habitants déplorent les mauvaises manières des touristes étrangers dont le nombre trop élevé ruinent à leurs yeux l’atmosphère raffinée de la cité. À l’image de lieux touristiques prisés comme Venise, Kyôto aurait perdu de sa belle sous le poids du tourisme… Mais sont aussi mal vues des entreprises de tourisme étrangères qui s’installent à Kyôto pour profiter de cet essor et dont les revenus ne bénéficient pas vraiment aux habitants. Outre Kyôto, des lieux comme Tôkyô, le Mont Fuji, Miyajima, Osaka sont aussi concernés par la problématique.
En cause ? Le nombre, mais surtout des infrastructures, même dans les grandes villes, souvent mal adaptées pour accueillir un nombre important de touristes. Les hébergements manquent, au point où les locations d’appartements ou de maisons de particuliers font concurrence aux hôtels et aux auberges traditionnelles, ce qui fait augmenter le prix des locations pour les habitants (phénomène perçu également à Paris). Par ailleurs, un grand nombre de touristes engendre fatalement un grand nombre de déchets, dont le traitement pose également problème. Au Japon, supérettes et magasins sont généralement étroits et les transports en commun peu adaptés à l’affluence de touristes équipés de bagages. La plupart des entreprises de tourisme elles mêmes sont de petite taille et, faute de revenus suffisants, elles ont du mal à s’adapter à l’accroissement du nombre de touristes étrangers. Ce qui conduit parfois à vivre de mauvaises expériences lors des visites organisées et ce sentiment que le Japon n’est pas ce lieu magique et merveilleux qu’on nous vend dans les médias. Pourtant, il suffit de sortir des chemins tracés pour vivre une expérience exceptionnelle sans peser sur les habitants.
Mais malgré les désagréments engendrés par le tourisme de masse, les professionnels du secteur s’accordent néanmoins pour préférer cette situation à son contraire : l’absence de tourisme. L’absence de tourisme signerait en effet la mort des endroits plus confidentiels, fréquentés surtout par les Japonais en nombre déclinant. Il est dès lors important d’y orienter les touristes étrangers pour compenser la baisse des touristes nippons. Et pour se faire, il est indispensable de penser rapidement à l’amélioration des infrastructures, de l’hébergement et des transports.
Un dernier point sensible concerne l’acception des Japonais envers les étrangers dont ils ont souvent mauvaise opinion. C’est particulièrement vrai dans le cas des touristes asiatiques, qui représentent la première origine chez les touristes étrangers alors que 80% des Japonais ont une mauvaise opinion de leur voisin chinois. Et le gouvernement nippon veut justement encourager la venue de touristes continentaux, en autorisant notamment l’ouverture de casinos. Peu lui importe le ressenti de la population avec laquelle il se met en porte-à-faux.
Les Japonais se plaignent aussi fréquemment des manières des touristes étrangers qu’ils trouvent trop bruyants ou à qui ils reprochent de manger dans la rue (comportement impensable pour un Japonais) sans oublier les dégradations dont ils peuvent se rendre coupables : graver son nom sur des arbres parfois sacrés, arracher des branches des cerisiers en fleurs, et autres dégradations. Récemment, c’est le Torii de Miyajima qui était menacé par les touristes qui ont pris l’habitude de placer des pièces dans les fissures de la structure, menaçant son intégrité. Sans parler de la fameuse fête du pénis à Kawasaki, devenue si populaire qu’elle attire des foules étrangères à l’affut du selfie qui fera mouche sur les réseaux sociaux.
Un choc des cultures qui laisse un goût amer à nombre de Japonais qui ont la sensation d’être sacrifiés sur l’autel de l’argent-roi. Un constat également relevé par le célèbre comédien Takeshi Kitano qui a récemment déclaré que le Japon « avait sacrifié son intégrité culturelle pour de l’argent« . On approuvera ou pas cette opinion… Il n’empêche qu’elle révèle un malaise autrement plus profond et difficile à résorber que les problèmes d’infrastructures alors que le gouvernement compte faire rayonner le pays à l’internationale dès 2019 avec la Coupe du Monde de Rugby, puis en 2020 avec les Jeux Olympiques de Tôkyô. On s’attend à une foule de visiteurs jamais vue de l’histoire du Japon…
S. Barret
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Sources : jnto.go.jp / japantimes.co.jp / japantimes.co.jp / lesechos.fr