Fuji TV, l’une des principales chaînes de télévision japonaise, a vu sa crédibilité s’effondrer ces dernières semaines. Fin Janvier, environ 70 grandes entreprises, dont Toyota et Kao, ont décidé de retirer leur sponsoring. En cause, un scandale impliquant un ancien membre de SMAP, issu de Johnny & Associates où s’est déroulé de multiples viols sur mineurs, accusé d’avoir agressé sexuellement une femme japonaise et d’avoir conclu un accord à hauteur de 90 millions de yens pour étouffer l’affaire. En parallèle, la presse a dévoilé l’existence d’un « système de tribut » au sein de Fuji TV, où les cadres de la chaîne utilisaient les présentatrices comme « escortes » lors de rencontres privées avec des célébrités…

Soutenez Mr Japanization sur Tipeee

Il est vraiment difficile d’imaginer à quel point la société japonaise peut être gangrenée par le vice, la corruption et les violences sexuelles, surtout quand on l’observe d’un œil extérieur, influencé par l’image édulcorée qu’en donnent les influenceurs. À l’instar du livre TOKYO VICE, le scandale qui touche Fuji Tv donne un petit aperçu de la situation peu enviable dans laquelle se trouvent les femmes. Dans ce dossier, nous revenons sur cette histoire dérangeante en suivant un ordre chronologique.

Sommaire :

  • L’origine du scandale : un accord secret à 90 millions de yens
  • La révélation d’un « système de tribut » organisé où les femmes sont utilisées comme « cadeau » pour les clients
  • L’impact sur Fuji TV : retraite de Masahiro Nakai et l’exode des sponsors
  • Deux conférences de presse d’excuses interminables
  • Témoignages contradictoires et révélations d’une ex-présentatrice

L’origine du scandale : 90 millions de yens pour un « problème de femme »

Le 19 décembre 2024, le magazine Josei Seven a révélé que Masahiro Nakai (52 ans), ancien membre du groupe SMAP et figure emblématique de la télévision japonaise, avait versé 90 millions de yens (plus de 500.000 euros) pour régler un grave « différend » avec une femme. L’article indiquait également que plusieurs employés de Fuji TV étaient impliqués dans cette affaire.

Masahiro Nakai dans une publicité pour une app.

Masahiro Nakai, connu pour ses talents d’animateur et sa carrière brillante, était une figure incontournable de l’industrie du divertissement. Son visage est connu de tous et il bénéficie d’une influence importante dans la société japonaise. Cependant, ce scandale a entaché son image et a eu des répercussions bien au-delà de sa personne.

L’incident remonte ainsi à juin 2023. La victime, désignée sous le pseudonyme de X, devait initialement assister à dîner avec plusieurs personnes, dont un cadre masculin de Fuji TV. Cependant, tous les autres participants auraient curieusement annulé à la dernière minute… La jeune femme va ainsi se retrouver seule avec Nakai qui va l’emmener dans son appartement. C’est ici qu’elle subira une série d’actes sexuels non consentis. Suite à cet incident, la victime fut bien décidée à réclamer justice en faisant appel à un avocat. Masahiro Nakai va lui proposer un versement de 90 millions de yens en échange de son silence.

Cette révélation a rapidement attiré l’attention du public, affectant gravement l’image de l’animateur télé. Par la suite, le magazine Shūkan Bunshun a rapporté que cette histoire n’était pas un incident isolé. Des cadres de Fuji TV avaient déjà « offert » des présentatrices à Nakai par la passé. D’autres victimes ont partagé leurs expériences dans des témoignages au mode opératoire similaire. Masahiro Nakai aurait ainsi organisé une série d’abus sexuels sur des jeunes présentatrices, sélectionnées notamment pour leur beauté comme c’est souvent le cas à la télévision Japonaise.

Le « système de tribut » mis en lumière

Le « système de tribut » tel que décrit dans les médias japonais fait référence à une pratique où les cadres de Fuji TV invitaient des présentatrices et des employées féminines à des dîners et des réceptions très « select » en présence de célébrités et de sponsors. Les « jolies présentatrices » servaient ainsi de cadeau-humains à des individus influents qui déterminent l’avenir de la chaîne de télévision, notamment par leurs investissements. Bien que des rumeurs circulaient depuis longtemps dans l’industrie du spectacle, les récents reportages et révélation ont exposé des détails concrets de cette pratique.

Photographie par Mattia Panciroli

Imaginez la situation : un décideur d’une grande entreprise de voitures japonaises veut faire la pub de son dernier modèle sur une grande chaîne de télévision nationale. Des centaines de millions de yens sont en jeu. Pour le convaincre de dépenser son argent ici et pas ailleurs, la chaîne de télévision en question invite le décideur à une « petite sauterie » en présence d’une jeune journaliste sexy. Celle-ci se voit ainsi contrainte de jouer l’escorte-girl d’un soir avec la pression économique et sociale de répondre aux exigences du client. Oui, c’est particulièrement malsain bien que tristement commun dans les affaires au Japon.

Un producteur publicitaire bien informé a déclaré dans les médias japonais :
« Tout le monde dans l’industrie était au courant. Que cela s’appelle « tribut » ou non, ces réceptions explicites étaient monnaie courante. Les bénéficiaires étaient souvent complices, liés par des intérêts économiques communs, ce qui explique leur silence. Beaucoup de présentatrices démissionnent de la chaîne rapidement, non seulement pour valoriser leur carrière, mais surtout parce qu’elles en ont assez d’être traitées comme des hôtesses. »

En d’autres termes, nous sommes face à une situation proche du trafic sexuel organisé impliquant de nombreuses personnes influentes de la haute société japonaise, stars, millionnaires, chanteurs, etc. Dans ce contexte, des Japonaises prises pour cibles pour leur beauté sont entraînées dans des lieux privés et des soirées alcoolisées où des abus divers se produisent en parfaite connaissance de cause, le tout au profit de Fuji TV.

Le témoignage choquant d’un ancien présentateur

Le site d’information Pinsba News a interrogé Yutaka Hasegawa (49 ans), un ancien présentateur de Fuji TV devenu homme d’affaires. Hasegawa a confirmé que ces pratiques existaient depuis des décennies !

« Il était courant que de jeunes présentatrices soient invitées à des dîners avec des joueurs de baseball professionnels. Parfois, ces rencontres menaient même à des mariages. Récemment, les dîners avec des hommes d’affaires sont devenus plus fréquents. Les présentateurs masculins étaient également sollicités. J’ai moi-même été invité à un dîner avec une femme PDG sponsor, où j’ai été contraint de subir des avances déplacées. À l’époque, je pensais que c’était une façon de soutenir les efforts du département des ventes. »

Selon lui, ces dîners étaient une manière pour Fuji TV d’obtenir des exclusivités et d’assurer la promotion de ses jeunes talents. Cependant, il estime que l’évolution des normes sociales et la prise de conscience des jeunes générations ont rendu ces pratiques obsolètes et inacceptables.

L’impact sur Fuji TV : le départ de Nakai et la fuite des sponsors

Cette série de scandales a causé des dommages considérables à Fuji TV. Aujourd’hui, le média peine a fonctionner. Premièrement, sous le feu des critiques, Masahiro Nakai a annoncé sa retraite soudaine le 23 janvier 2025 via son site officiel. Il a présenté ses excuses, assumant l’entière responsabilité de ses actes. Toutes ses émissions ont été immédiatement annulées, causant des pertes importantes non seulement pour Fuji TV, mais aussi pour d’autres chaînes de télévision.

Simultanément, la fuite massive des sponsors s’est accélérée. Plus de 75 entreprises, dont Toyota, Seven & i Holdings et NTT Docomo, ont suspendu leurs campagnes publicitaires sur Fuji TV. En conséquence, Fuji Media Holdings a drastiquement révisé ses prévisions de bénéfices annuels, les réduisant de 29 milliards de yens à seulement 9,8 milliards de yens. Soit 60% de perte.

Deux conférences de presse d’excuses comme seuls les Japonais savent en faire

Au Japon, dire « pardon » est parfois plus efficace que de faire face à la Justice… Mais les excuses sont-elles vraiment sincères ? Est-ce un jeu d’acteur ? Le mea-culpa public suffit-il à essuyer les larmes des victimes de viols ?

Le 17 janvier 2025, le président de Fuji TV, Koichi Minato, a tenu une conférence de presse bien particulière. Celle-ci s’est déroulée à huis clos, excluant les médias indépendants et limitant l’enregistrement. Face aux critiques légitimes de cette pratique, une seconde conférence a été organisée le 27 janvier, rassemblant 437 journalistes de 191 médias, y compris internationaux. Cet événement a duré plus de 10 heures (!!!), jusqu’à 2 h 23 du matin le lendemain, témoignant de la gravité de la crise au cœur de Fuji TV.

Source photo : Smart-flash.jp

Lors de cette conférence, les dirigeants de Fuji TV ont reconnu leurs erreurs et ont annoncé leur démission. Ils ont également promis de coopérer pleinement avec un comité externe pour enquêter sur les faits et prévenir de futurs incidents.

Ce jour là, les questions des journalistes ont mis en évidence des contradictions et un manque de transparence de Fuji TV, alimentant davantage la défiance du public et des sponsors. Même après ces excuses publiques, des entreprises comme Nippon Life Insurance ont exprimé leur insatisfaction, estimant que Fuji TV n’avait pas su dissiper les inquiétudes sur sa gouvernance et son respect des droits humains.

Des informations contradictoires et de nouveaux témoignages

Alors que Fuji TV tentait de gérer la crise, de nouvelles informations ont émergé, semant encore plus de confusion…

  • Le magazine Bunshun modifie son reportage initial. Initialement, Bunshun avait rapporté que des cadres de Fuji TV avaient « offert » une femme à Nakai. Cependant, le magazine a ensuite rectifié son article, indiquant que la victime avait été invitée par Nakai lui-même, et non par les cadres. On ignore si ce rétropédalage cherche à éviter un procès.
  • Le témoignage d’une ancienne présentatrice. Minako Nakano, ancienne présentatrice de Fuji TV, a carrément nié l’existence d’un « système de tribut ». Elle a déclaré que les dîners étaient courants, mais qu’ils n’étaient pas organisés de manière coercitive. Les nombreux témoignages des victimes et celle d’autres membres de Fuji TV contredisent la présentatrice mais ceci distille tout de même le doute dans l’opinion.

Une critique virulente des médias par Shiori Ito

Shiori Ito, journaliste et figure emblématique du mouvement #MeToo au Japon, a vivement critiqué le traitement médiatique du scandale Fuji TV. Pour rappel, la jeune femme fut elle-même victime d’un viol avec drogue par un journaliste Japonais très connu. Son affaire avait fait grand bruit à l’époque et elle peine aujourd’hui à diffuser son livre au Japon.

Selon elle, derrière cette prétendue médiatisation du scandale, les médias japonais continuent de privilégier la protection des élites au détriment de la transparence et de la justice pour les femmes. Elle dénonce également le manque de protection des victimes dans l’industrie du divertissement, soulignant que ce scandale reflète une culture plus large du silence et d’impunité au cœur de la société japonaise. Elle rappelle que de nombreux abus ont lieux au quotidien et ne concernent pas des célébrités. Il est vital, pour elle, de prendre aussi en compte les souffrances que subissent les femmes japonaises en général.

Photographie de Shiori Ito

Conclusion

Les scandales qui frappent Fuji TV impliquant Masahiro Nakai ont mis une nouvelle fois en lumière des problèmes structurels profonds dans l’industrie médiatique japonaise. Ces incidents soulèvent des questions cruciales sur les droits des femmes japonaises en général et l’éthique en entreprise.

Si les allégations selon lesquelles les présentatrices étaient utilisées comme « hôtesses » pour des riches sponsors et célébrités sont avérées, c’est le triste signe que la haute sphère du Japon vit complètement dans le passé, perpétrant une forme de patriarcat dans sa forme la plus vile et cruelle.

Ce scandale pourrait marquer un tournant pour l’industrie médiatique japonaise, poussant à une remise en question des pratiques dépassées et à une meilleure protection des droits des femmes. Du moins, il faut l’espèrer… Le rapport du comité externe, attendu fin mars, sera déterminant pour l’avenir de Fuji TV et de l’industrie dans son ensemble. Car, alors que la société prend conscience de la réalité, les abus sur les femmes seront de plus en plus intolérables.

En fin de compte, il faut retenir que cette affaire dépasse le simple cadre d’un scandale médiatique. Elle interroge les valeurs fondamentales de la société japonaise dans son ensemble et la capacité des entreprises à évoluer vers des pratiques plus justes et transparentes. On se demande parfois si c’est seulement possible ?

Alors que la précarité gagne du terrain et que le gouvernement, très à droite, refuse d’apporter des aides sociales efficaces, le pays assiste aussi à une explosion de la prostitution banalisée chez les jeunes, parfois encore mineurs. Tout est fait pour que les femmes, mais aussi des jeunes hommes en situation de fragilité, soient la cible de prédateurs avec du pouvoir financier. Ici autant qu’ailleurs, c’est l’argent qui dicte les comportements.

– Yuki


Cet article a été rédigé par Yuki-chan. En situation de précarité, nous la rémunérons grâce à vos dons. Merci pour votre bienveillance.

> Je soutiens Yuki et l’équipe <


Sources

Share News Japan
中日スポーツ
NEWSポストセブン
日刊ゲンダイ
ピンズバニュース
中日新聞
Diamond online
Smart flash
知り得NET
文春オンライン
NEWSポストセブン
DETAIL TBS NEWS DIG
JIJI.COM
NHK
20min