Depuis que l’humanité a eu besoin du chat pour garder son grain, le petit félin domestique a partagé la vie de civilisations de par le monde et les millénaires. Le chat généra fascination, peur, adoration ou rejet. Il imprima sa griffe dans des mythes et des croyances, allant jusqu’à coloniser internet à notre époque contemporaine. Mais quelle a été son influence dans la culture japonaise en particulier ? Focus.
Historiquement, le chat a accosté au Japon en même temps que le Bouddhisme, soit au VIème siècle. Il se voit introduit à la cour impériale de l’époque Heian en 999 quand l’empereur Ichijô en reçoit un pour ses 13 ans. Au fil des siècles, les croyances japonaises basées sur leurs comportements ou leur apparence vont marquer le chat d’une vision positive ou négative.
« le chat a accosté au Japon au VIème siècle ».
Entre histoire et fantasme : le Maneki neko (招き猫)
Parmi les premiers comportements félins qui effrayaient les Japonais ? Le chat dressé sur ses pattes arrières pour lécher l’huile des lampes, utilisées à l’époque Edo (1603-1868). Les Japonais y voyaient l’annonce d’un événement étrange dans cette posture inhabituelle pour un quadrupède.
Plus prosaïquement, ces lampes à l’huile de poisson attiraient les chats mal nourris qui y puisaient un apport de protéines. Selon une vieille croyance, si un chat passe sa patte sur son visage, c’est le signe qu’un visiteur va arriver. Mais le même geste est également annonciateur de pluie à venir d’après un ancien proverbe chinois.
Aussi, leur longue queue n’était pas appréciée des Japonais d’Edo qui y voyaient la présence d’un pouvoir de métamorphose. Elle était alors coupée et la sélection génétique aidant, une race de chat japonaise, le bobtail, vit le jour. Une courte queue enroulée sur elle-même caractérise cette race. Et lorsque sa fourrure est tricolore ‘miké’, on l’assimile au porte-bonheur Maneki neko (招き猫).
Car aux mots « chat » et « Japon », il y a d’ailleurs de fortes chances pour que la première image qui vienne à l’esprit soit justement celle de l’ultra célèbre maneki neko (招き猫) , le « chat qui invite ». On retrouve cette figurine dans nombre de commerces, restaurants ou maisons pour attirer le succès des affaires et la chance. Le marketing a décliné cette figure en une infinité de goodies, faisant varier sa pose (patte gauche ou droite levée, ou les deux, voire les quatre !) et sa couleur à laquelle se rattache un attribut.
Mais le modèle typique du Maneki neko est un chat au pelage blanc avec des tâches rousses et noires. Il est muni d’un collier rouge avec une clochette, lève une patte et tient de l’autre une pièce d’or ‘koban‘ de l’époque Edo (1603-1868).
Si la première trace écrite du maneki neko fut retrouvée dans un article de journal daté de 1876, son origine exacte reste floue. On pense qu’il se popularise dans la seconde moitié de l’époque Edo (1603-1868) et surtout au début de l’ère Meiji (1868-1912). Le nouveau gouvernement, tout à sa volonté de moderniser le pays au niveau des pays occidentaux, interdit les porte-bonheur à connotation sexuelle dans les quartiers réservés. Le maneki neko les aurait alors remplacés, sa patte levée rappelant le geste d’invitation à entrer. Puis, il conquit les autres commerces.
Des légendes tentent aussi d’expliquer son origine. Parmi les plus célèbres, celle du chat du temple : le chat d’un prêtre très pauvre attire un homme riche qui cherchait à se protéger d’une tempête sous un arbre. Le voyageur prit en réalité le geste du chat nettoyant le visage avec sa patte pour une invitation et vint s’abriter dans le temple. Mais la foudre frappe alors l’arbre qui l’aurait tué s’il y était resté. En guise de reconnaissance, il décide de rénover le temple et le prêtre ne manqua plus de rien.
Selon une autre histoire, une vieille femme dût vendre son chat car elle ne pouvait plus le nourrir. Le chat lui apparut en rêve et lui ordonna de confectionner sa statue pour la vendre. La vieille femme obéit et les statues se vendirent si bien qu’elle devint riche.
« le chat apparaît aussi sous la forme d’une créature maléfique, doté de pouvoirs surnaturels tels les yôkai »
Mais dans le folklore japonais, le chat apparaît aussi sous la forme d’une créature maléfique, doté de pouvoirs surnaturels tels les yôkai Bakeneko (化け猫), Nekomata (猫又) ou Kasha (火車) dont les descriptions peuvent s’entremêler.
Les yôkai : le chat bénéfique ou maléfique
Le Bakeneko se présente comme un chat ayant la faculté de se redresser sur ses pattes pour prendre forme humaine. On lui prête aussi la faculté de parler. Le Bakeneko est redouté pour sa proportion à hanter les maisons, à lancer des malédictions sur ses habitants et parfois à tuer son maître ou prendre possession de son corps. Bakeneko se traduit parfois « chat-fantôme » car les Japonais pensent qu’il s’agit d’un chat revenu se venger d’une vie antérieure malheureuse ou d’une mort brutale. Selon une autre superstition, un chat domestique peut devenir un Bakeneko à partir de l’âge de 12 ou 13 ans (selon les localités).
Des contes, dont certains adaptés au théâtre Kabuki, font mention du Bakeneko, comme la série des Méfaits du monstrueux chat des Nabeshima (Nabeshima bakeneko sôdô 鍋島猫化け騒動).
Dans l’un des plus connus, « O-Toyo », la favorite du daimyô Mitsuhige Nabeshima, est tuée par un Bakeneko qui prend sa place. Le seigneur ne s’aperçoit pas de la supercherie et tombe malade. Son sommeil se troublant d’affreux cauchemars, des guerriers fidèles décident de le veiller durant la nuit. Mais tous s’endorment mystérieusement sauf un, répondant au nom d’Itô Sôda, qui a l’idée de s’entailler la jambe pour que la douleur le tienne éveillé. Il voit ainsi la favorite entrer dans la pièce, mais il l’empêche d’approcher de son seigneur pendant plusieurs nuits. Se faisant, Mitsuhige recouvre ses forces. Itô Sôda finit par se rendre auprès de la favorite et lui tranche la tête. Là, il voit non pas le cadavre d’une femme mais d’un énorme chat noir qui venait chaque nuit boire le sang de son maître.
Parmi les Bakeneko, les individus les plus âgés et pourvus d’une longue queue sont susceptibles de devenir des Nekomata. D’où une croyance populaire de l’époque Edo et répandue dans tout le Japon déconseillant d’élever un chat de nombreuses années. Reconnaissable à leur queue double ou fourchue, le Nekomata tue les humains et se repaît de leur chair.
« Aussi, le fait de couper la queue d’un chaton devait éviter sa transformation… »
Il peut aussi s’agir directement d’un chat âgé, certains spécialistes liant le Nekomata au Bakeneko quand d’autres y voient une créature à part entière. Aussi, le fait de couper la queue d’un chaton devait éviter sa transformation…
Le Nekomata dispose également d’un pouvoir de nécromancie, lui permettant de ressusciter les défunts et de les animer via des danses rituelles. Son pouvoir dépend de son âge et des violences qu’il a subies avant de muter. Enfin, le folklore japonais réunit parfois le Nekomata avec le Kasha, un yôkai voleur de cadavres afin de se nourrir ou de les habiter.
Il est à remarquer que les caractéristiques des yôkais Bakeneko et Nekomata tirent leur inspiration du comportement naturel des chats. Ainsi, leur capacité à se dresser sur deux pattes pour lécher l’huile des lampes mentionnée plus haut. Ou encore leur excellente vision nocturne, leur très grande agilité, leur talent pour la chasse, leur tempérament mystérieux et indomptable, soit autant d’éléments énigmatiques (et donc source de fantasmes) aux yeux des Japonais d’autrefois.
Chat-muse : l’inspiration artistique
Ainsi que les illustrations précédentes le montrent, le chat n’a pas laissé indifférent les maîtres de l’estampe qui se sont aussi plu à le représenter dans ses comportements typiques. Impossible d’être exhaustif tant le sujet pourrait faire l’objet d’un ouvrage entier, alors nous nous contenterons d’en citer les plus caractéristiques. Ainsi, la chasse à la souris par Ohara Koson dans les années 1930 ou celle de Kobayashi Kiyochika ci-dessous.
Ou encore, le Chat à la fenêtre d’Utagawa Hiroshige en 1857 de sa série Cent vues célèbres d’Edo, symbolisant l’attente. Leur malice à notre égard a été retranscrite par Utagawa Kuniyoshi en 1854 avec ce chat joueur suspendu au kimono d’une courtisane ou cet autre en pleine attaque datant de 1852. Dehors, le chat aime fureter tel le chat noir et le plan de tomates de Shotei Takahashi en 1931. Kitagawa Utamaro préfère représenter une Courtisane avec un chat en laisse. Et après toutes ces activités épuisantes, le chat mérite une bonne sieste, comme l’illustra Kawanabe Kyosai entre 1885-89.
Plus incongrue, cette oeuvre de Kobayashi Kiyochika en 1879, dont les deux chats sont trompés par le réalisme d’une peinture d’un coq & d’une poule.
Enfin, mentionnons la mise en abyme humoristique du chat formé d’autres chats de Utagawa Yoshifuji en 1847 et sa Tête de la sorcière chat, également en 1847, du même style mais plus effrayante.
La star de la pop-culture
« Le pokémon Mentali, avec sa queue fourchue, s’inspire du yôkai Nekomata tout comme le démon Matatabi dans Naruto »
La pop-culture japonaise récente puise dans ce riche folklore et l’on retrouve ainsi le maneki neko à travers des mangas, anime ou jeux-vidéo. L’un des plus célèbres étant sans doute le pokémon Miaouss. Le pokémon Mentali, avec sa queue fourchue, s’inspire du yôkai Nekomata tout comme le démon Matatabi dans Naruto. Un Nekomata apparait dans le jeu-vidéo Final Fantasy XIII-2, dans la série Blue Exorcist avec le démon Kuro et via Blair de Soul Eater qui en possède les pouvoirs.
Son homologue le Bakeneko est au cœur du roman light-novel Bakemonogatari de Nishio Ishin, adapté en manga et en anime. Il inspire aussi Miaou de One Punch Man et Morgana du jeu-vidéo Shin Megami Tensei : Persona 5, désignée sous le terme de Bakeneko en version japonaise.
Le Bakeneko matsuri dans le quartier tokyoïte de Kagurazaka célèbre ce yôkai chaque mois d’octobre. Ce yôkai s’incarne aussi dans le film d’animation Anzu, chat-fantôme et le Chat-bus de Mon voisin Totoro. Pour rester dans l’univers du studio Ghibli, citons Le Royaume des Chats, adaptation du manga Baron, neko no danshaku (Baron, le chat baron), où une jeune lycéenne accède à un monde fantastique peuplé de chats anthropomorphiques après avoir sauvé la vie d’un chat.
Au cinéma, le film Kuroneko de Kaneto Shindô reprend la thématique de l’esprit vengeur : sauvagement assassinées par des samourais, deux femmes reviennent de la mort sous forme d’esprits-chats pour tuer tous les samouraïs qui croiseront leur route.
La figure du chat apparaît dans la littérature japonaise à travers les trois cents haikus que lui dédia le poète Issa Kobayashi (1763-1828).
Dans un chapitre du célèbre Dit du Genji écrit par Murasaki Shikibu au XIème siècle, un chat attire l’attention d’un personnage sur une princesse dont il tombe amoureux, ce qui découlera sur des événements tragiques. Un des épisodes du roman parmi les plus illustrés et parodiés par les artistes.
Autre grand classique, le roman satirique de Natsume Soseki Je suis un chat paru en 1905, où un chat pompeux jette un regard acerbe sur la société d’alors.
Pour conclure, comment ne pas mentionner la mascotte Hello Kitty, deuxième licence la plus rentable au monde après Pokémon, qui se décline en séries d’animation, en jeux-vidéo et bien sûr en innombrables produits dérivés. Définitivement, les chats ne sont pas prêts de disparaître de nos vies et de nos imaginaires.
– S. Barret
Image d’en-tête : détail de Hino Moto no Keko, par Tadanori Yokoo, 1997