Début février, les Japonais célèbrent la venue de la nouvelle année et du printemps avec la fête de Setsubun 節分. Et au Japon, ce renouveau se célèbre en jetant des haricots séchés pour chasser les démons ! Toute une symbolique qui survit toujours aujourd’hui au grand regret des enfants…
Le nouvel an en février ? Mais pourquoi diantre ? C’est simple, le Japon n’a adopté notre calendrier grégorien que depuis 1872 ! Auparavant, le pays vivait depuis 692 (époque Nara) au rythme du calendrier lunaire chinois qui divisait l’année selon sur les phases de la lune. Calendrier pour lequel le changement de saison constituait un moment clé de l’année. Les kanjis du mot Setsubun 節分 signifient d’ailleurs explicitement « division de saison« . D’où la tenue de quatre célébrations annuelles qui ont fusionné au fil des siècles pour ne plus concerner que le début du printemps « risshun » 立春 qui marque aussi celui de l’année.
Dès l’origine, le cœur de cet évènement était de chasser les mauvais esprits, le changement de saison étant réputé pour être propice à la survenue des démons et des maladies, et c’est cet aspect qui fut préservé jusqu’à nos jours. Pratique née au sein de la noblesse de cour d’Heian (794-1185), elle s’est démocratisée auprès du peuple à l’époque Edo (1603-1868). La célébration du Setsubun a lieu généralement la veille du printemps, le 3 février, voire le 2 ou le 4 certaines années. Le Setsubun est aussi appelé « fête du lancer de haricots », en référence à sa coutume la plus emblématique, le « mamemaki » 豆撒き.
Tout est dans le nom ! « Mamemaki » soit maku (semer 撒く) et mame (haricots 豆). Pour faire fuir les démons et les mauvais esprits, les Japonais doivent leur jeter par la fenêtre des haricots de soja grillés en criant « Dehors les démons ! Dedans le bonheur ! » (« Oni wa soto ! Fuku wa uchi !« ). La puissance d’exorcisme des haricots peut sembler bien mystérieuse aux non-Japonais jusqu’à apprendre qu’elle provient d’un jeu de mots dans la langue de Mishima : si un « haricot » (mame) entre dans « l’œil d’un démon » (ma-me), le « démon est anéanti » (ma-me). Ne jamais négliger le pouvoir des mots !
Toute la famille, en particulier les enfants, se prête au jeu : un adulte, généralement le père, se costume en ogre pour effrayer ses enfants qui ne manqueront pas de l’arroser de haricots ! Il faudra ensuite ramasser les haricots et en manger autant que l’on a d’années au compteur (et si possible un de plus!) pour se prémunir de la maladie. Selon les régions, les haricots de soja sont aussi disposés sur l’autel familial en guise d’offrande et ils peuvent être de nos jours remplacés par des cacahuètes.
Le Setsubun est également pratiqué dans les écoles. C’est même un très grand moment pour les enfants qui doivent affronter leurs professeurs déguisés en démons. Un rouge et un bleu, traditionnellement ! Certains enfants hurlent de terreur alors que d’autres combattent avec vaillance en lançant leurs haricots pour protéger leurs camarades. Les démons vaincus font ensuite la paix avec les enfants. L’évènement est pratiquement vécu comme un rite de passage au Japon. En général, les japonais adultes s’en souviennent toujours…
Pour être bien sûr de repousser les démons, il est aussi de coutume d’accrocher une tête de sardine cuite piquée sur une branche de houx (« Hiiragi-iwashi » 柊鰯) comme talisman devant sa porte d’entrée : l’odeur de la sardine attire/repousse l’Oni et le piquant du houx lui crève les yeux !
Ce rituel se déroule également dans les temples et sanctuaires devant une foule de fidèles bien adultes avides d’attraper un des sachets de haricots porte-bonheur lancés par les prêtres, les mikos et parfois des célébrités conviées à l’évènement. Sont aussi organisés des danses folkloriques et de grands brasiers pour purifier par le feu les amulettes de l’année écoulée.
A Kyoto, les maikos et geikos participent activement au Setsubun. Elles exécutent d’abord une danse en public avant de distribuer des sachets de haricots pour le plus grand plaisir de la foule qui se presse particulièrement pour en recevoir un de leurs mains :
La fête se prolonge le soir dans les Hanamachi avec l’Obake お化け. Maikos et geikos ont préparé des numéros costumés en petits groupes qu’elles iront présenter de banquet en banquet toute la soirée. Les clients sont particulièrement friands de ces sketchs quasi privés, parodies de célèbres pièces de kabuki ou de scènes de films pour la plupart. Après la présentation de leurs numéros, elles se voient offrir un verre, reçoivent un pourboire puis continuent leur tournée du quartier.
Si les habitués se pressent pour participer à un ‘ozashiki’ – réservés longtemps à l’avance tant ils sont prisés ce soir-là – ceux qui n’ont pas cette chance devront se contenter d’admirer fugacement les artistes dans la rue lorsqu’elles passent d’un banquet à l’autre dans une joyeuse ambiance.
Enfin, qui dit évènement festif dit forcément plat dédié ! On pense par exemple à la soupe zôni pour le réveillon, les sakura mochi pendant le Hanami…
Le Setsubun est lui l’occasion de se régaler d’un « ehômaki » 恵方巻き, un rouleau de maki. Née à Osaka, cette tradition a été récupérée par la chaîne de superettes Seven Eleven qui lui a substitué son nom d’origine (marukaburi-zushi) pour celui d’ehômaki sous lequel on la connaît désormais dans tout le pays.
Pour se garantir le bonheur durant l’année, ce très long maki doit être composé de sept ingrédients (en référence aux Sept Divinités du Bonheur) puis mangé d’un coup, en silence, tout en étant orienté dans une direction de bonne augure qui change chaque année. Et n’oubliez pas de faire un vœu !
Une fois ces rites accomplis pour chasser les démons et attirer la chance, l’année peut enfin commencer sur de bonnes bases !
S. Barret
Photo d’en-tête : Patrick Vierthaler ; Flickr CC