Il est très commun pour les étrangers de se voir refuser l’accès à des salles de musculation, piscines municipales ou onsens. Pourtant, rien de xénophobe : ceci se résume à l’histoire du tatouage dans l’archipel. En effet, porter un tatouage aisément visible au Japon est passible de sanctions informelles ou formelles. Aujourd’hui, les tatoueurs entendent bien sortir de cette crise qui touche leur art comme leur mode de vie. Alors que plusieurs affaires sont portées en justice, les tatoueurs japonais entrent en résistance.

Malgré son âge millénaire, l’opinion des Japonais sur le tatouage reste profondément enracinée dans le passé de cet art. Dès le XVIIe siècle, il fut historiquement associé au crime : le tatouage était utilisé afin qu’une marque reconnaissable poursuive les criminels japonais à vie. Aujourd’hui, les tatouages restent surtout dans l’imaginaire collectif comme étant associés à la mafia japonaise : les Yakuzas. En effet, un des cachets de cette organisation, qui a longtemps fait régner la violence et la criminalité au Japon, était de couvrir intégralement le corps de ses membres de tatouages traditionnels japonais (l’Irezumi). Ainsi, les tatouages étaient, et sont encore pour beaucoup, liés à la dangerosité des Yakuzas, qui, malgré son affaiblissement, existe toujours de manière assez importante et visible. Il est clair que les antécédents historiques sont encore considérablement présents dans l’imaginaire et la loi japonaise, empêchant les préjugés autour du simple tatouage de disparaître.

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Un métier difficile dans une société normée

La condition des tatoueurs et des tatoués japonais n’a rien à voir ainsi avec celle qu’ils pourraient avoir dans nos pays. Dû aux préjugés, les tatoués sont stigmatisés et discriminés : en 2012 par exemple, le maire d’Osaka, Toru Hashimoto, a demandé à tous les employés municipaux de révéler leur(s) tatouage(s), et de quitter leur travail immédiatement s’ils en avaient. De même, les tatoués sont empêchés d’entrer dans certains lieux qui les forceraient à révéler leur tatouage, tel que les onsens, les piscines ou les salles de musculation. Encore aujourd’hui, pour ouvrir un simple compte en banque, il faut déclarer ne pas appartenir à une mafia : autant dire que les tatouages traditionnels japonais donnent la puce à l’oreille…

Les tatoueurs (qui portent souvent eux-mêmes des tatouages) combinent la plupart du temps les sanctions citées ci-dessus et les nombreuses liées à leur profession. En effet, la loi oblige l’obtention d’un diplôme de médecin pour pouvoir légalement tatouer. Pourtant, les deux professions paraissent sans lien : les tatoueurs sont des artistes et non des médecins. Par conséquent, la grande majorité des tatoueurs n’obtiennent pas ce diplôme et exercent leur art dans l’illégalité en dépit de leurs compétences. Plusieurs problèmes en résultent : le premier concerne les normes d’hygiène, qui n’existent officiellement pas au Japon (l’hygiène étant naturellement intégrée dans la culture). Cela peut amener à des situations dangereuses, telles que la propagation de certaines maladies.

Source : savetattooing.org

Le second concerne le mode de vie des tatoueurs. En effet, à cause de ce refus des autorités japonaises de reconnaître le tatouage comme un art, ces artistes sont obligés de vivre clandestinement via le faible bouche-à-oreille qui existe au sein de la communauté japonaise. Le plus paradoxal est que, bien que les autorités soient souvent au courant des activités de ces professionnels (tout comme celles de la mafia), très peu d’arrestations sont faites. Cela renforce cette zone grise de l’industrie du tatouage au Japon qui la rend possible sans la reconnaître.

Pourtant, quelques perquisitions sont faites, comme pour montrer l’exemple. Ce fut le cas du tatoueur Taiki Masuda, basé à Osaka. Par la suite, il a décidé d’attaquer en justice les autorités japonaises au nom de sa profession, lassé et mécontent de la situation. La première audience s’est déroulée le 26 avril 2017 et plusieurs ont suivi dans le mois de mai et juin. L’issue du procès risque ainsi d’avoir des conséquences importantes sur toute la profession déjà en difficulté. Jusqu’ici, aucun jugement n’a été rendu public pour le moment. Afin d’augmenter ses chances de gagner le procès, et à l’approche des Jeux Olympiques de Tokyo, il entend réunir des soutiens extérieurs via sa campagne internationale « save tattooing » (sauvez le tatouage).

Un documentaire pour soutenir les tatoueurs japonais

Un réalisateur japonais a décidé de suivre cette campagne et d’en faire un documentaire. Il s’appelle Hyuo Yamamoto, et lui et son équipe suivent l’affaire depuis un an et demi. Il explique :

« Ils devraient pouvoir gagner ce procès, mais il y a de nombreux autres points en jeu. Le groupe s’attend à ce que le procès aille jusqu’à la Cour suprême et que, si Taiki l’emporte, les autorités fassent encore appel. S’ils perdent, les conséquences seront lourdes pour les artistes tatoueurs. Ils devront devenir complètement clandestins, comme en Corée du Sud . Ça ne va pas disparaître, mais une grande partie de la jeune génération va abandonner. Ces jeunes ont l’impression qu’ils n’ont pas d’espace pour continuer à travailler au Japon. De 70 à 80 % des clients sont étrangers, donc beaucoup d’artistes envisagent déjà de quitter le pays. »

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Bien que la vision du gouvernement japonais ait commencé à évoluer, en demandant par exemple aux Onsens d’autoriser les touristes tatoués ou en fournissant des bandages pour les cacher, il est clair que le procès pourrait avoir de nombreux effets bénéfiques, tant pour les Japonais que pour les touristes. Les normes d’hygiènes s’officialiseraient et les citoyens arborant des tatouages ne seraient plus stigmatisés et discriminés, permettant aux mentalités d’évoluer en harmonie avec l’industrie touristique croissante de leur pays.

Certains événements délicats liés au tourisme sont, en effet, arrivés par le passé, comme en 2013 où une femme néo-zélandaise s’est faite expulser d’un bain public à Hokkaido, à cause du tatouage traditionnel maori qu’elle avait sur le visage, donc impossible à camoufler. Le pays s’est vu accusé de discrimination culturelle, et pourrait continuer à l’être s’il ne change pas rapidement. En effet, les Jeux olympiques de 2020 arrivent à grands pas et nombreux seront les athlètes et touristes tatoués à fouler le sol japonais. Si Taiki Masuda perd son procès entre temps, les autorités japonaises vont devoir s’armer de toute leur imagination pour que la situation stagne sans faire de scandales. D’ici là, on ne peut que souhaiter bon courage aux rares tatoueurs japonais entrés en résistance…

Salomé Grouard


Sources : metrotime.beobservers.france24.com / savetattooing.org / japantime.co.jp / All pictures from Savetattooing.org