On croirait entendre une mauvaise blague et pourtant… Une société japonaise spécialisée dans la chasse à la baleine vient d’inaugurer des distributeurs automatiques de viande de baleine en barquette. Objectif : relancer sa consommation en berne alors que la majorité des Japonais ne mangent aujourd’hui plus de cétacés. Un choix qui pose fortement question alors que le Japon avait pratiquement abandonné la chasse à la baleine.

Il y a quelques jours à peine, le Japon remportait la Coupe du monde de la pâtisserie, et ce pour la 3eme fois. Thématique du concours ? Le changement climatique dont la préservation de nos océans fait intégralement partie.

Le fabuleux montage pâtissier vainqueur du prestigieux concours représente notamment une baleine majestueuse luttant contre le réchauffement climatique. Un très beau message d’espoir pour un pays dont les rapports avec les cétacés sont pour le moins compliqués… Il n’aura pourtant fallu que quelques heures pour réduire à néant ces efforts de communication.

Crédit : AFP/Jeff Pachoud

En effet, les véritables baleines, du moins celles qui ont survécu à la folie des hommes jusqu’à nos jours, ont vraiment du souci à se faire. La Kyodo Senpaku Corporation, une société spécialisée dans la chasse de trois types de baleines et la vente de leur viande, vient d’inaugurer un troisième distributeur automatique de viande de baleine dans la ville de Yokohama, dans l’attente de multiplier les nouveaux points de vente.

L’information peut sembler anecdotique mais s’inscrit dans une guerre économique contre le vivant qui passe par une diabolisation des écologistes et une falsification des faits scientifiques par les entreprises.

Source photo : dokodemogo.jp

Pour cause, l’entreprise en question semble avoir quelques problèmes pour comprendre des notions élémentaires d’écologie. Sur son site officiel, celle-ci consacre un article expliquant très sérieusement comment la consommation de baleine est… excellente pour l’environnement ! Le niveau d’argumentation est tout juste renversant. La Kyodo Senpaku Corporation explique que les baleines mangent beaucoup de poissons chaque jour. Des poissons qui pourraient, selon-elle, être consommés directement par l’Homme à sa place…

La baleine est ainsi perçue comme une compétitrice directe dans l’accès aux ressources marines. Tuer plus de baleines reviendrait donc, selon la société, à préserver les ressources marines et à protéger l’équilibre des écosystèmes marins. À ce titre, la corporation de chasse à la baleine estime que ses activités rentrent dans les Objectifs de développement durable des Nations Unies (SDGs). L’argumentation est à peine imaginable. Heureusement, elle ne résiste pas très longtemps à l’épreuve des faits.

Pour cause, les scientifiques sont formels sur cette question, les baleines sont d’importantes alliées de l’humanité contre le réchauffement climatique. On peut notamment citer l’étude de Lyne Morissette, écologiste spécialiste des mammifères marins, qui exposait en 2014 comment ces mammifères marins assuraient une influence positive puissante sur le fonctionnement des océans. Non seulement les baleines sont individuellement de véritables pompes à carbone, mais en plus, elle fertilisent les océans à une vitesse record.

À titre de comparaison, un arbre absorbe jusqu’à 48 kilos de CO2 par an alors qu’une seule baleine est capable de stocker jusqu’à 33 tonnes de dioxyde de carbone ! Ses déjections permettent d’améliorer la croissance du zooplancton qui est une véritable pompe à carbone biologique mais également une ressource vitale pour les écosystèmes marins. Enfin, quand une baleine arrive naturellement au bout de sa vie, elle continue de jouer un rôle écologique important pendant des mois, leurs carcasses fournissant habitat et nourriture à de nombreuses espèces qui ne vivent que de la décomposition de matières organiques. Sans les baleines, nos océans ne peuvent pas être en bonne santé. Les chasser ne fait que dérégler davantage une nature déjà profondément meurtrie par les activités humaines. Les « arguments » de l’entreprise japonaise sont inaudibles.

Graphique de l’entreprise Kyodo Senpaku Corporation mettant en cause les baleines dans la baisse de productivité de la pêche industrielle.

Mais le président de la Kyodo Senpaku Corporation n’en démord pas, il faut relancer la consommation de baleine au Japon quoi qu’il en coûte, même si les Japonais s’en sont largement détournés au profit d’autres viandes. Les enjeux sont donc économiques pour la corporation. Pour cause, alors que le secteur voit venir sa fin, la seule option pour les chasseurs est d’amener la viande de baleine au plus proche du consommateur et d’en faire une promotion agressive, le tout sur fond de protectionnisme culturel voire même de posture victimaire vis à vis des écologiques.

En effet, Hideki Tokoro, le président de la corporation qu’on voit ci-dessous avec un bonnet de baleine, estime que les activistes animaliers sont les seuls responsables de la baisse de la consommation de baleine. Pour cause, les grandes surfaces renoncent de plus en plus à vendre des cétacés empaquetés. « Il y a beaucoup de grands supermarchés qui ont peur d’être harcelés par les groupes anti-chasse à la baleine, donc ils n’utilisent pas de baleine. Il y a donc beaucoup de gens qui veulent manger de la baleine mais qui ne peuvent pas le faire », estime l’entrepreneur.

Hideki Tokoro présentant de la viande de baleine.

Pour lui, cette baisse de la demande n’aurait ainsi rien à voir avec le fait que la viande de baleine a globalement un goût amer en bouche, n’est pas rentable pour les grandes surfaces et n’arrive pas à rivaliser avec des viandes rouges classiques, moins chères et plus savoureuses pour le consommateur japonais. Cela n’aurait rien à voir non plus avec l’évolution naturelle des mœurs devant l’observation scientifique qu’une tradition appliquée à l’échelle de la grande consommation est plus néfaste qu’autre chose.

Accuser publiquement les écologistes japonais semble pour le moins étrange sachant que les groupes d’activistes sont ultra-minoritaires au Japon, voire inexistants. Leurs actions sont strictement encadrées par la police et profondément pacifistes, bien plus que partout ailleurs dans le monde. Difficile d’imaginer que trois slogans scandés à petite voix à l’abri des regards puissent changer quoi que ce soit au marché national. Mais cette posture semble avant tout un attribut commercial cherchant activer une réactance chez le consommateur qui voit sa « culture » menacée.



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Concrètement, de nos jours, la majorité des Japonais ne consomment pas de baleine. Celle-ci est naturellement abandonnée dans les rayons des grandes surfaces qui ne veulent plus prendre de risque de pertes économiques importantes sur ce type de produit.

Les chiffres officiels viennent le confirmer. En 2021, la consommation de baleine au Japon était officiellement de 1 000 tonnes. A titre de comparaison, les Japonais ont consommés 2,6 millions de tonnes de poulet et 1,27 million de tonnes de bœuf cette même année. Selon une grande étude d’opinion datant de 2012 (la dernière disponible sur ce sujet délaissé), 27% des Japonais seulement étaient en faveur de la chasse à la baleine. La majorité, plus de 55% des interrogés, s’étaient dit indifférents à la question. Excepté chez quelques restaurateurs spécialisés, la baleine ne fait plus partie des plats communs des Japonais. Impossible donc de parler d’une culture nationale pour une pratique alimentaire pratiquement éradiquée de l’histoire moderne du Japon.

De la viande de baleine en super marché à Tokyo. Crédit : Mr Japanization.

Mais il ne faut jamais dire jamais ! Le Japon est toujours sous tutelle d’un gouvernement très conservateur. En 2019, le Japon se retirait de la Commission baleinière internationale qui interdisait la chasse à la baleine depuis 1986 pour ré-autoriser officiellement cette pratique. Un revirement qui avait alors choqué le monde entier, motivé par des relents politiques réactionnaires et l’espoir de relancer ce secteur économique moribond. L’entreprise Kyodo Senpaku Corporation vise l’installation une centaine de distributeurs à travers le pays dans les cinq années à venir.


Sources :