Depuis 1908, le Brésil a connu plusieurs vagues d’immigration japonaise, au point de devenir la première communauté nippone en dehors du Japon (entre 1,5 et 2 millions de Brésiliens d’origine japonaise). Quelle est leur histoire ? Et quelles sont les perspectives d’avenir pour ces nippo-brésiliens ? Fascinante et méconnue histoire des Nikkei ou Nissei brésiliens.
Après des décennies de réticence, de politiques protectionnistes et une attitude de fermeture vis-à-vis de l’extérieur, le Japon s’est ouvert sur le monde à la fin de l’ère Edo (1603-1868) sous la pression des États-Unis. Soucieux de moderniser le pays, mais également de soulager la pression démographique interne, le Japon de la Restauration Meiji s’est alors ouvert à l’émigration.
L’immigration japonaise au Brésil : une longue histoire parfois tourmentée
Débutées en 1895 par un traité d’amitié favorisant les échanges diplomatiques et commerciaux, les relations nippo-brésiliennes se sont très vite renforcées. C’est dans ce contexte que le Kasato Maru, bateau de 123m de long, est arrivé au port de Santos le 18 avril 1908, avec à son bord 791 fermiers venus d’Okinawa.
Le Brésil ayant, à cette époque, besoin de main d’œuvre pour son secteur agricole suite à l’abolition de l’esclavage, ces ouvriers agricoles qualifiés étaient alors une aubaine pour le pays. Par la suite, et jusque dans les années 80, environ 260 000 Japonais sont arrivés au Brésil. Cette longue période a été marquée par plusieurs vagues d’immigration successives, avec des pics d’arrivées dans les années 1920 et 1950.
Si, dès leur arrivée, les immigrés japonais ont été perçus comme d’excellents travailleurs, ne rechignant jamais à la tâche, très qualifiés, honnêtes et disciplinés, leur intégration ne s’est pas faite sans difficultés. En effet, la barrière de la langue et les différences culturelles immenses à l’époque entre les deux populations ont créé de nombreux malentendus et conflits.
De plus, ces travailleurs agricoles et leurs familles ont longtemps vécus dans des conditions précaires, avant de créer des communautés prospères et solidaires leurs permettant d’améliorer grandement leur confort de vie et de garder un lien avec leur culture d’origine : écoles enseignant le japonais, associations culturelles et sportives…
La Seconde Guerre mondiale fut également un épisode douloureux pour cette communauté qui a alors subi discriminations, persécutions, confiscations, voire même internements et expulsions, et ce en raison de l’alliance du Brésil avec les USA entrés en guerre contre le Japon impérial. Mais assez vite, la société brésilienne a reconnu l’apport des Nikkei au développement économique et culturel du pays, ainsi que leur intégration. En témoigne l’élection de Yukishige Tamura au poste de conseiller municipal de São Paulo dès 1948. Mais aussi les nombreuses célébrations culturelles nippo-brésiliennes, mises en place par les autorités locales au fil des ans, dans le but de mettre en avant cette communauté.
Les Nippo-brésiliens d’aujourd’hui : une intégration réussie
Aujourd’hui, la communauté Nikkei la plus visible au Brésil se trouve à São Paulo. C’est notamment dans le quartier de Liberdade que l’on retrouve le plus de traces de la culture japonaise : musée de l’immigration, restaurants, boutiques et épiceries vendant des produits japonais… Mais l’on retrouve d’autres lieux célébrant la culture nippone un peu partout dans la ville, à l’image de la Japan House sur la célèbre Avenida Paulista, ou encore le pavillon japonais dans le parc d’Ibirapuera.
Tout au long de l’année, une variété d’événements autour de la culture japonaise sont également organisés dans la ville : festivités traditionnelles que l’on retrouve au Japon (Hanami, Tanabata Matsuri…), expositions artistiques, concerts, démonstrations d’arts martiaux…L’événement majeur restant le FESTIVAL DO JAPÃO, ayant lieu chaque année au mois de juillet et rassemblant plus de 150 000 visiteurs sur plusieurs jours.
« la culture brésilienne a plus généralement absorbé quelques éléments de l’identité japonaise »
Mais en dehors des frontières de la communauté nikkei, la culture brésilienne a plus généralement absorbé quelques éléments de l’identité japonaise, essentiellement dans la partie sud et sud-ouest du pays. D’abord culinairement parlant avec les yakisobas, tempuras et sushis, assez populaires dans différentes régions du pays. Mais aussi via la consommation de certaines denrées apportées ou popularisées par les migrants nippons : riz, soja, choux, radis, carotte, concombre, melon, pastèque…
C’est également le cas dans le domaine de l’art où origami et ikebana connaissent un certain succès. Mais c’est enfin dans le sport que l’on retrouve l’un des plus grands apports culturels des immigrants japonais : le judo. C’est l’une des activités sportives les plus pratiquées dans le pays, et le Brésil a créé sa propre variante de ju-jitsu. On retrouve également des Brésiliens d’origine japonaise un peu partout dans le pays, notamment à Curitiba, Maringa et Londirna (Sud du Brésil), ainsi qu’à Campo Grande (Ouest du pays).
Malheureusement, en dehors de São Paulo (qui concentre environ 20% des nippo-brésiliens), il sera bien plus difficile de s’immerger réellement dans cette culture Nikkei. En effet, la jeune génération s’étant parfaitement intégrée, elle ne ressent plus le besoin de vivre de façon communautaire dans des quartiers à part du reste de la population brésilienne. On peut donc se poser la question de l’avenir de cette communauté nikkei. Va-t-elle demeurer une culture à part entière ou finir par se fondre définitivement dans l’identité brésilienne ?
L’exemple de Liberdade, et des changements qui se sont produits depuis plusieurs décennies dans ce quartier, semble apporter une partie de la réponse. Autrefois comparable à un mini Tokyo, le quartier a perdu nombre de ses lieux rythmant la vie quotidienne nikkei. Si on y retrouve toujours une offre pléthorique de restaurants et commerces spécialisés, la plupart des écoles et lieux culturels (dont cinémas projetant en langue japonaise) ont depuis fermé. Au point que le quartier ressemble aujourd’hui surtout à un centre commercial à ciel ouvert, et que l’on peut considérer qu’il ait perdu un peu de son âme.
Mais d’un autre côté, après un net recul de l’apprentissage et de l’utilisation du japonais au sein de la communauté au fil des décennies, on constate actuellement un regain d’intérêt de la part des jeunes Nikkei pour la langue et la culture de leurs ancêtres. En témoigne les nombreux événements culturels évoqués plus haut, mais également le succès des cours d’apprentissage du japonais chez cette génération qui n’avait plus la possibilité de l’apprendre à l’école.
Difficile d’apporter une réponse tranchée et de prédire son évolution, comme souvent lorsque l’on évoque des sujets identitaires et culturels. Mais se pourrait-il que pour certains l’avenir se trouve en fait ailleurs ?
Vers un retour aux sources : le pari ambitieux du gouvernement japonais
Depuis 1985, le Japon étant régulièrement confronté à des pénuries de main d’œuvre et un vieillissement de sa population, le gouvernement nippon a adopté une nouvelle stratégie vis-à-vis des Nikkei brésiliens. Le but affiché étant de rapatrier une partie de ces derniers dans le but de revitaliser la population et l’économie japonaise. Le parti pris étant que les Nikkei seraient plus facilement intégrables car ayant gardé un lien avec les coutumes japonaises.
Toute une série de mesures a donc été mise en place afin d’inciter les Nippo-brésiliens à venir s’installer au pays du soleil levant : assouplissement des conditions d’obtention de visas, cours de langue et formations professionnelles, soutiens financiers au déménagement et l’installation…
Le gouvernement japonais a également tenté de promouvoir la culture japonaise au Brésil, à travers l’organisation d’événements culturels, et ce pour favoriser le sentiment d’appartenance et d’identité chez les Nikkei. On peut parler également du programme annuel qui permet aux Nikkei d’Amérique du Sud et centrale de venir visiter le Japon.
Alors que seulement 4 000 Brésiliens résidaient au Japon avant 1985, dès 1990 leur nombre avait déjà grimpé à plus de 50 000, pour atteindre 200 000 à la fin des années 90. Si les mesures citées plus haut n’y ont pas été étrangères, il faut souligner que la crise économique, frappant le Brésil à cette époque, a également joué un rôle important. Le Japon devenant un espoir d’un meilleur avenir pour de nombreux Nippo-brésiliens englués dans le chômage de masse et l’hyper-inflation.
Néanmoins, dès le début, ces derniers occupent principalement des emplois non qualifiés et répondant au fameux « 3K » : kitsui (difficile), kiken (dangereux), kitanai (salissant). Quand vient la crise financière de 2008, le secteur automobile japonais, employant nombre de ces nikkei brésiliens, est alors durement touché. Ces derniers se retrouvent subitement sans emploi, l’État japonais les invite à quitter le pays en échange d’une aide financière : 50 000 d’entre eux repartent au Brésil.
Mais très vite l’immigration reprend, à un rythme beaucoup moins soutenu néanmoins. Aujourd’hui, on estime qu’ils sont plus de 300 000 dans l’archipel, mais vivant souvent loin des mégalopoles modernes, dans des villes industrielles de seconde zone.
A l’instar de leurs ancêtres arrivés au Brésil au début du XXème siècle, ces immigrés ont connu, et connaissent encore pour certains, des difficultés d’intégration. D’abord car peu d’entre eux avaient une maîtrise suffisante de la langue japonaise en arrivant dans l’archipel. Les enfants de ces derniers ayant d’ailleurs certaines difficultés dans le système scolaire japonais du fait de ce difficile apprentissage de la langue (notamment à l’écrit), ce qui les condamne souvent eux-aussi à des métiers peu qualifiés et précaires.
Mais aussi de par leurs comportements jugés « brésiliens » et très éloignés de la mentalité japonaise. Les stéréotypes sont nombreux, notamment au travail : lents, paresseux, manquant de loyauté et de soin dans ce qu’ils entreprennent. Stéréotypes renforcés par le fait que ces immigrés ont généralement peu de contact avec leurs collègues japonais, car enchaînant souvent des contrats intérimaires.
Dans la vie sociale, les échanges intercommunautaires sont également peu nombreux, et cela vient renforcer les apprioris négatifs à l’égard des Nippo-brésiliens : bruyants, faisant la fête jusqu’à tard le soir, s’habillant sans soin, parlant fort et uniquement portugais…
C’est source d’une grande désillusion pour ces Brésiliens d’origine japonaise vivant dans l’archipel. En effet, ces derniers avaient développé une image idéalisée du Japon et de sa culture, probablement alimentée par la nostalgie de leurs ancêtres.
La société japonaise, de son coté, s’attendait à ce qu’ils embrassent parfaitement la mentalité nippone, oubliant qu’ils avaient une double culture. En découle un conflit binaire entre les deux identités : les Nippo-brésiliens finissant par rejeter l’acculturation pour revendiquer plus fortement leur identité brésilienne, ce qui renforce l’hostilité de la population japonaise à leur égard.
Depuis peu, le Japon a revu légèrement sa politique d’immigration des Nikkei brésiliens, privilégiant une sélection des profils plus qualifiés et la mobilité étudiante. Si cela pourrait améliorer l’intégration de ces populations dans la société japonaise, du travail reste à faire pour sortir de cette obsession d’homogénéité ethnique et culturelle qui freine systématiquement ce processus.
Compte tenu de son déclin démographique, et du besoin de renouveler sa population active, le pays du soleil levant n’a pas vraiment d’autres choix que d’investir dans une société plus inclusive et où la coexistence multiculturelle est possible.
– Clémence Marchal
Image d’entête @Marcelo de Troi/Flickr