L’affaire avait fait l’effet d’une bombe en juin 2022. Souvenez-vous : une ancienne maiko de Kyoto révélait avoir subi de graves violences psychologiques et sexuelles durant les quelques mois passés au sein de son hanamachi. Nous avions été les premiers à en parler en Francophonie. Deux ans et demi plus tard, la jeune femme est toujours déterminée à poursuivre son combat contre les abus dont les femmes sont victimes malgré les menaces dont elle a fait l’objet et la loi du silence imprégnant le milieu.

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C’est le 26 juin 2022 que Kiritaka Kiyoha a levé le voile sur le sombre décor de sa vie de maiko. Elle racontait comment, durant les sept mois qu’elle a passés comme maiko, elle avait subi des attouchements de la part de clients, dû boire de l’alcool à outrance, supporter la tyrannie de l’okasan de son okiya (maltraitance psychologique, faible argent de poche, vente de sa virginité, imposition d’un protecteur) ou encore prendre un bain de force avec un client. Nous avions relaté ses confidences dans un long dossier, de même que les nouveaux témoignages et conséquences qui allaient suivre.

Après plus de deux ans, Kiritaka Kiyoha reprend publiquement la parole malgré les risques de raviver harcèlement et menaces à son encontre. Une nouvelle interview vient d’être publiée ce 6 février sur le site Livedoor News. Elle y relate les répercussions de ses révélations sur le monde du hanamachi, sur sa propre vie mais aussi son parcours depuis lors et ses projets : la poursuite du manga relatant son expérience : « Kyoto Hanamachi, l’Enfer sur Terre » et une intervention au Comité des Droits de l’Enfant en 2026.

Nous vous proposons une traduction de cet article afin de vous faire un avis neutre.

Source : Livedoor News ; Kiritaka Kiyoha en photo.

 


« Des acteurs venaient aussi aux banquets… » Une ancienne maiko révèle les sombres réalités du monde du spectacle

Une ancienne maiko ayant dénoncé les « ténèbres » du quartier des plaisirs s’est confiée à Bunshun Online.

  • Elle se souvient : « Des acteurs et des idoles venaient souvent aux banquets. »
  • Certains clients, croyant que les maiko étaient des prostituées, s’attendaient ouvertement à des relations sexuelles.

« À 16 ans, on me forçait à boire jusqu’à l’ivresse »

L’ancienne maiko de Kyoto (25 ans) qui a dénoncé les abus du hanamachi* revient sur les répercussions de son témoignage : « J’ai reçu des menaces de mort… »
*(quartier des plaisirs traditionnel)

📅 6 février 2025 – 11h00
📰 Bunshun Online

🌸 Extrait du premier article :

« On a failli me vendre ma virginité pour 50 millions de yens », « Certaines ont été mises enceintes dans des bains publics… » Une ancienne maiko (25 ans) raconte pourquoi elle a dénoncé la face cachée du hanamachi.

En juin 2022, une publication sur Twitter (aujourd’hui X) a provoqué une onde de choc. L’auteure ? Kiritaka Kiyoha, une ancienne maiko de Kyoto, aujourd’hui âgée de 25 ans. Elle y révélait les abus subis par les jeunes maiko : consommation forcée d’alcool, harcèlement sexuel… Plus de deux ans après, que pense-t-elle de son acte de dénonciation ?

💬 L’interview (2ᵉ partie)

– Les abus ont-ils diminué après votre dénonciation ?

🔴 Kiritaka : « Selon des personnes encore dans le milieu, rien n’a changé. La loi interdit aux moins de 18 ans de travailler après 22h, donc les couvre-feux ont été renforcés. Mais en ce qui concerne l’alcool et le harcèlement sexuel, ils sont toujours omniprésents.
Je ne suis pas surprise. Le hanamachi ne change pas facilement. »

– Comment les autres maiko ont-elles réagi à votre témoignage ?

🔴 Kiritaka : « Beaucoup de jeunes maiko n’ont pas accès aux téléphones portables, donc plusieurs ne l’ont pas vu. Mais celles qui ont pu le lire m’ont dit : « Je pensais être la seule à trouver ça anormal. Grâce à toi, je me sens soulagée. »

On attend des maiko qu’elles soient comme des éponges blanches : absorber sans poser de questions et se conformer aux désirs des hommes.
Même si elles ont des doutes, elles n’ont personne à qui en parler et finissent par douter de leurs propres pensées. Depuis mon témoignage, le nombre de maiko qui démissionnent a augmenté. C’est une bonne chose. »

Nous ne voulons pas que davantage de jeunes filles soient forcées de participer à des spectacles sexuels.

– Des jeunes filles continuent pourtant d’être attirées par cette profession

🔴 Kiritaka : « À cause des films et des mangas, certaines veulent devenir maiko comme on voudrait être une idole. Je ne veux pas briser leurs rêves, mais elles doivent connaître la réalité avant de s’engager. Personne ne devrait être forcé à des services sexuels contre sa volonté. »

Le harcèlement sexuel existe aussi dans le monde du spectacle

🔴 Kiritaka : « Depuis quelques années, les dénonciations se multiplient dans le showbiz. Des femmes ont révélé les pratiques de « livraison » d’animatrices et d’actrices aux célébrités. C’est une avancée.

Quand j’ai parlé en 2022, ce n’était pas pour « changer les choses ». Je voulais simplement que les victimes puissent dire : « C’était injuste » sans peur ». Peu importe le domaine, les femmes sont souvent exploitées et tout le monde détourne les yeux. J’ai moi-même été junior idol dans mon enfance et je savais que ces abus existaient dans le monde du spectacle… »

– Avez-vous vu des célébrités se comporter de façon inappropriée avec les maiko ?

🔴 Kiritaka : « Oui. Beaucoup d’acteurs et d’idoles venaient aux banquets, mais je refusais de les servir. Certains étaient respectueux, mais d’autres se comportaient comme des prédateurs. Ils parlaient de leurs films et de leur célébrité, puis s’approchaient en disant : « Tu es chanceuse d’avoir un homme aussi célèbre qui te touche. »

Certains croyaient que nous étions des prostituées et disaient : « Les chambres ont bien deux futons côte à côte, non ? » Sous-entendu : ils s’attendaient à des rapports sexuels. »

– Pourquoi ces abus restent-ils cachés ?

🔴 Kiritaka : « Parce que si une fille ose parler, elle est détruite. Regardez les victimes d’agressions dans le showbiz : on les accuse de « faire ça pour la gloire » ou d’avoir tendu un « piège à hommes riches ». Quand j’ai posté mon premier message, j’ai écrit : « Peut-être que je vais disparaître de ce monde après ça. »

Et peu après, j’ai reçu des menaces de mort. J’étais enceinte de mon deuxième enfant et j’ai eu très peur. »

– Avez-vous pensé à arrêter votre combat ?

🔴 Kiritaka : « Oui. Mais je me suis battue pour mes enfants. Je refuse que d’autres jeunes filles vivent ce que j’ai vécu. En septembre dernier, j’ai soumis un rapport à l’ONU dénonçant les violations des droits humains des maiko. Je prépare aussi une intervention pour le Comité des Droits de l’Enfant en 2026. »

– Avez-vous changé depuis votre témoignage ?

🔴 Kiritaka : « Oui. Avant, je cachais mon passé et je me sentais seule. Les gens me disaient : « C’est formidable d’avoir été maiko ! », mais je ne pouvais pas leur raconter l’envers du décor. Ce silence était insupportable. Maintenant, je peux parler et on me dit « Tu n’as rien fait de mal. » Ma peur a disparu. »

– C’est la fin d’un cauchemar ?

🔴 Kiritaka : « Je fais encore des cauchemars, mais seulement deux fois par an.
Avant, on m’interdisait de porter autre chose qu’un style « jeune fille sage ».
Aujourd’hui, je porte ce que je veux, même des mini-jupes, qu’on me défendait avant.»

– Et maintenant ?

🔴 Kiritaka : « Je suis divorcée et mère célibataire. Avant, j’étais mariée à un homme 20 ans plus âgé, et j’acceptais de lui être soumise. Mais grâce au féminisme, j’ai appris que je méritais mieux.

Ma vie est mouvementée, mais je vais continuer à parler. En 1995, une ancienne maiko avait déjà dénoncé ces abus dans le livre « La révolte d’une maiko ». Aujourd’hui, je raconte mon histoire dans une bande dessinée (« Kyoto Hanamachi, l’Enfer sur Terre »). J’espère que d’autres témoins oseront parler. »

– Votre livre est-il en vente à Kyoto ?

🔴 Kiritaka : « Bien sûr que non ! (rires) Depuis mon témoignage, je n’ai pas mis un pied à Kyoto. Après mon premier post, plusieurs médias m’avaient invitée, puis ont annulé sous pression. Que mon livre ait pu voir le jour est déjà un miracle. »

🎤 Fin de l’interview.

Le manga de Kiritaka Kiyoha « Kyoto Hanamachi, l’Enfer sur Terre », dont le 1er tome est sorti le 30 janvier 2025

Nous ne manquerons pas de nous tenir informés -et de vous relayer- des futures actualités se rapportant au combat de Kiritaka Kiyoha.

S. Barret

Source de l’image d’en-tête : flickr